Chapitre 40

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Écrit en écoutant notamment : Noisecontrollers – All Night Long

Dimitri et sa mère sont particulièrement attentifs, suspendus aux lèvres de l’animateur.

  • Alain-Fournier ! s’écrie Valérie après que Samuel Étienne a mentionné « Le Grand Meaulnes » dans sa question.

La réponse à la question suivante est trouvée par Dimitri avant tous les candidats. Je ne suis pas tellement étonné que Kungs, le célèbre DJ français, soit apparu immédiatement dans sa tête. Après une dizaine de questions, notre Antony favori est à la traîne, mais son cas ne semble pas encore désespéré. Par contre, vu sa rapidité, Valérie devrait s’inscrire à l’émission ; elle ferait fortune.

  • Question à trois points : qui est ce champion d’échecs, né à Tbilissi en 1929, qui devient…
  • Tigran Petrossian ! hurlé-je instinctivement.

Dimitri et Valérie me regardent avec des gros yeux avant que ma réponse soit confirmée quelques secondes plus tard.

  • Très cultivé, en plus, ce Martial ! dit Valérie.
  • Euh… c’est plutôt un coup de chance…
  • Et modeste !

Trop gêné par ces compliments, je détourne le regard vers Dimitri, mais il secoue simplement la tête pour me renvoyer vers sa mère. Les deux se sont mis de mèche pour m’embarrasser au maximum ! La meilleure option que je trouve pour contenir ma gêne est de me reconcentrer sur l’écran de télévision.

Au final, je me prends au jeu et tente de répondre au maximum de questions, même s’il est rare que je trouve la réponse avant les candidats, ou bien Valérie.

***

Nous longeons les quais en direction de mon appartement. Il fait bien plus doux qu’à Prague, mais de fréquentes averses tombent sans prévenir, si bien qu’il est difficile de faire un kilomètre à pied sans être rincé. La boue qu’elle charrie donne à la Loire une teinte beaucoup plus sombre que cet été.

Dimitri a prévu de récupérer les affaires dont je l’ai délesté tout à l’heure, puis de repasser à l’hôpital plus tard dans l’après-midi. Nous sommes encore restés une heure après la fin de l’émission à discuter avec Valérie ; j’ai rarement autant parlé de moi en si peu de temps ! Ils ont eu droit à ma fameuse histoire du lycée, celle de ce forum malsain que j’avais lancé avec mon pote de l’époque. Dimitri buvait mes paroles tandis que sa mère souriait en secouant la tête.

  • Bon, bienvenue dans mon modeste appart' ! dis-je en poussant ma porte.
  • Modeste… pas si modeste quand on est encore étudiant comme moi !
  • C’est vrai… déjà, j’ai la chance d’avoir un lit double.
  • Très intéressant, tout ça !

Je le mène dans la pièce principale, qui comprend à la fois le séjour et la cuisine, seulement séparés par un bar à l’américaine. Jusqu’à présent, j’ai peu profité de celui-ci dans son utilisation générique ; il faut absolument que je fasse venir mes amis parisiens pour une soirée.

  • Et voilà, toutes tes affaires sont là.

Dimitri est en train de regarder partout, sauf dans la direction que je désigne.

  • Il est stylé, le plateau d’échecs, s’écrie-t-il en s’approchant de l’étagère.
  • Carrément ! Il est fait en buis, c’était un cadeau d’anniversaire, il y a quelques années. Tu t’y connais ?
  • Pas du tout ! Mais toi, on dirait que oui.

Il a maintenant saisi un de mes livres favoris et en feuillette les pages, remplies de diagrammes de jeu et de photos historiques.

  • Je peux te montrer les bases, proposé-je en récupérant en plus la boîte de pièces.
  • Je suis chaud !

Je passe rapidement un coup de torchon sur ma table.

  • Est-ce que tu connais le mouvement des pièces ?
  • Euh, à peu près, par contre, le truc chelou avec le roi et la tour, je m’en souviens jamais.
  • D’acc ! Regarde, pour le roque, c’est simple : c’est toujours le roi qui bouge de deux cases, peu importe que ce soit à droite ou à gauche. Ensuite, la tour vient simplement se placer de l’autre côté. Y a deux ou trois subtilités dans la règle, mais je t’expliquerai au moment venu… Alors, pour le début, toujours la dame sur sa propre couleur.
  • Ça, je m’en souviens !

Pendant qu’il complète ses deux rangées de pièces, je fais tourner mes cavaliers sur leur case et contemple les finitions léchées de leur crinière.

  • Au début de la partie, il y a trois objectifs principaux. Le premier est de mettre des pions au centre de l’échiquier, dis-je en avançant de deux cases le pion du roi.
  • Ok ! Donc si je fais le même coup en miroir, ça passe ?
  • Yes, parfait. Ensuite, en général, on sort ses cavaliers, puis ses fous. Puis on fait le roque pour mettre son roi à l’abri des attaques immédiates.
  • D’accord, professeur, se marre-t-il.

Après avoir d'abord esquissé une expression vexée, trop premier degré, je décide de rentrer dans son jeu.

  • Ici, c’est l’école soviétique ! asséné-je en frappant la table du poing. Mes élèves ont intérêt à être disciplinés, sous peine de châtiments corporels bien choisis.
  • Ohh, lesquels ?
  • J’aurais envie de dire qu’une bonne fessée remet les idées en place, mais… pour le garçon en face de moi, je saurai être encore plus inventif.

Je suis presque déçu que Dimitri suive assidûment mes explications lors des minutes suivantes. Au fur et à mesure que le champ de bataille évolue, je lui explique quelles tactiques et pièges peuvent être imaginés pour renverser son adversaire, en tâchant de rester basique. De toute manière, à mon niveau, je ne risque pas de trouver de combinaison en dix coups pour délivrer un échec et mat.

Je lui offre les pièces blanches pour une seconde partie, en le laissant libre dans ses choix d'ouverture.

  • Oulah, tu me mets la pression…
  • Souviens-toi juste des trois principes, et tout se passera bien.

En fait, j’ai exactement la même pression lorsqu’il m’arrive de jouer contre des joueurs beaucoup plus forts que moi.

***

  • Eh ben, merci beaucoup pour ce cours, professeur Bordereauvitch, lance Dimitri en se levant.
  • Wow ! Celle-ci, je sens que tu l’as préparée pendant toute la partie !
  • Un peu, mais t’as vu, ça ne m’a pas empêché de faire des bons coups.
  • Ouais ! Et... mine de rien, Bordereauvitch, ça passerait bien comme patronyme russe.
  • T’as prévu d’aller vivre là-bas ? me taquine-t-il.
  • Absolument pas !

Il renfile son blouson et amène déjà ses bagages devant la porte. J’aurais adoré qu’il reste encore, mais d’autres priorités l’attendent. Je le raccompagne en bas de chez moi et lui souris en attendant qu’il se passe quelque chose. Je ne sais pas comment conclure cette journée moi-même.

Ses lèvres se meuvent enfin après une attente interminable :

  • Merci pour aujourd’hui, sincèrement. J’ai de la chance de t’avoir.

Il dépose un baiser fugace sur mes lèvres, me laissant seul avec cette confession. Je vis un rêve éveillé, ce n’est pas possible autrement ! Je reste planté sur le trottoir, ignorant les gouttes qui se remettent à mouiller mes cheveux.

***

De retour chez moi, je range tranquillement le jeu en repensant à ses doigts fins qui déplaçaient les pièces avec hésitation. Une vague de chaleur me parcourt ; j’ai envie de me noyer dans des abîmes de plaisir en pensant à lui, maintenant, tout de suite ! Je sors mon téléphone pour retrouver des photos de lui à Saint-Malo, tout en me caressant le torse. Ce visage est sublime.

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