Chapitre 38

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Écrit en écoutant notamment : Klanglos x Dominik Saltevski – Dystopia

Dimitri – VII

Même s’il était clairement torché, Daniel s'est montré super arrangeant : le studio prendra en charge l’intégralité du retour vers la France et Nantes, malgré le coût des billets d’avion en dernière minute. S’il avait dû enchaîner bus et train, comme à l’aller, l’attente aurait été insoutenable. La seule condition exigée par Daniel était qu’il rentre accompagné. Il a vivement protesté en espérant que le trop-plein de bière absorbé par son boss jouerait en sa faveur, mais celui-ci est resté imperturbable.

Dimitri déambule dans la nuit praguoise sans direction précise ; au moins, son envie de vomir s’est calmée. Il ne reste plus qu’à choisir l’heureux élu… Les rues sont calmes, figées par le gel qui s’abat à nouveau sur la capitale. De temps en temps, un moteur vrombit aux alentours, puis le bruit s’évanouit dans la nuit. Les feux de circulation poursuivent leur ballet coloré sans personne à contrôler. L’avion qu’il a trouvé décolle à l’aube, alors rien ne sert d’essayer de dormir.

Tout à l’heure, il avait déjà un mauvais pressentiment en notant l’indicatif en 02 qui s'était affiché sur son téléphone. Le numéro, qu’il a copié sur un moteur de recherche avant de rappeler, renvoyait directement vers le centre hospitalier de l’Hôtel-Dieu, à Nantes.

Son interlocuteur paraissait submergé par les appels à gérer, mais il a pu confirmer que sa mère avait été admise deux heures auparavant. Selon le maigre rapport à sa disposition, elle se trouvait dans un état stable, malgré une amnésie passagère probablement liée à un traumatisme crânien. Les pompiers l’avaient retrouvée inconsciente chez elle, sans qu’on en sache plus pour l’instant, ni sur les causes de l’accident, ni sur l’intervention.

Les scénarios les plus sombres se dessinent dans l’esprit de Dimitri. Certes, les mois passés lui ont prouvé que peu de temps suffisait à la transformer du tout au tout… mais sa mère lui semblait pourtant tellement optimiste il y a sept ou huit heures ! Il appuie sa tête contre les pierres froides d’un immeuble, puis se retourne et frappe de rage un panneau de circulation. La vibration résonne comme un hurlement et l’effraie lui-même.

Ce qui est certain, c’est qu’il doit quitter son job au studio pour passer plus de temps avec elle. Quitte à multiplier des allers-retours depuis la campagne nantaise jusqu’au centre-ville, afin d’assister à ses cours de fac, il faudra aussi laisser son appartement.

***

***

Une sensation répétée de caresses sur le bras oblige mes pensées à émerger, même si mon corps, alourdi par la séance de musculation d’hier, ne risque pas de bouger de sitôt. J’ai l’impression qu’on m’a empaillé avec du plomb.

Des lèvres chaudes se posent ensuite sur mes joues. Je tourne alors la tête et ouvre les yeux d’un coup, pour voir le visage de Dimitri s’éloigner en remontant. Il s’accroupit ensuite à hauteur de mes oreilles :

  • Dépêche-toi de faire des affaires, on prend l’avion dans deux heures. Je t’attends sur le palier.
  • Comment ça ? J’ai rien réservé, moi.
  • Tu m’accompagnes. Et ne t’inquiète pas, tout est en ordre.

Après qu’il est sorti de la chambre, je me redresse difficilement. Ma tête est lourde et j’ai déjà des courbatures aux abdominaux qui limitent mes mouvements. Six heures et demie ! Avec trois heures de sommeil, je vais couler une bielle tôt dans l’après-midi… Heureusement, je n’ai pas trop dispersé mes affaires, ce qui me permet d’être prêt en une dizaine de minutes. Alors que nous nous apprêtions à descendre les escaliers, je me rends compte que j’ai oublié mon casque audio et vais le récupérer à pas de loup pour ne pas réveiller Kenzo et Jordan.

Le froid extérieur m’agresse encore plus que ce réveil forcé. Je le sens pénétrer à travers mon pantalon ; les trois couches que je porte sur le haut du corps ne résistent pas mieux. Je suis complètement crispé et avance comme un pingouin. Si seulement je pouvais endurer ces températures glaciales aussi bien qu’eux…

La navette dans laquelle nous montons doit afficher quelques degrés supplémentaires, mais j’espère que j’aurai le temps de m’acheter une boisson chaude avant le décollage. Nous roulons une grosse demi-heure avant d'être déposés devant le terminal numéro un.

  • Porte F… porte F… , se répète Dimitri en regardant son téléphone. Oh là, on n’est pas en avance.

Je peine à suivre son rythme à travers le hall du terminal. En plus, il ne m’a toujours pas expliqué ce que je fais ici, avec lui. Je me doute juste que nous rentrons en France.

  • Merde ! C’était de l’autre côté, je suis un putain d’idiot !
  • Mais non… tenté-je pour l’apaiser.

Il ne me regarde même pas et reprend sa marche folle dans la direction opposée. Nous parvenons trois minutes plus tard devant l’écran qui indique « Nantes ». On fait vraiment au plus court, comparé au trajet aller… Il ne faudra pas s’habituer à ce luxe.

En fait, nous sommes largement dans les temps ; les agents d’embarquement sont encore en train de vérifier les billets et pièces d’identité d’une courte file de voyageurs. Nous traversons ensuite le tarmac jusqu’à la porte arrière de l’avion, montons les escaliers mobiles et gagnons les places indiquées sur nos billets. Dimitri ferme les yeux et expire longuement. J’approche doucement ma main de son épaule en espérant qu’il ne la repousse pas. Il tressaille au moment où je la pose, mais son regard continue de fixer un point devant lui.

Le pilote positionne l’appareil au début de la piste. L’éclairage est coupé, puis les moteurs rugissent en faisant trembler la carlingue et nous arrachent du bitume noir, direction Nantes.

***

Nous retrouvons notre beau pays après deux heures de vol. Rien que pour la bouffe, je suis content de rentrer en France.

  • Direction le CHU, maintenant, dit Dimitri alors que nous quittons l’aéroport.
  • J’y connais pas grand-chose, mais il ne faudrait pas déposer nos bagages avant ?
  • Je sais pas… je veux pas perdre de temps.
  • Ok… au pire, je peux prendre les tiens et les déposer chez moi.

Dimitri réfléchit un instant.

  • Bonne idée. Et puis… rejoins-moi à l’hôpital, après. Appelle-moi quand t’arrives devant, c’est bon pour toi ?

J’acquiesce en récupérant sa grosse valise. Il ne lui faut pas plus de quelques secondes pour filer, me laissant avec le double de bagages. Je m’attends à une belle misère dans le bus et le tram. Alors que je me débats pour trouver la manière la plus pratique de transporter tout ce chargement, une dame d’une soixantaine d’années m’interpelle.

  • Eh bien, jeune homme, vous êtes partis seul au bout du monde ?
  • Mmh, même pas vraiment… J’aide un ami.
  • Si vous rejoignez le centre-ville, je vous aide volontiers.

***

J’arrive à mon appartement trois quarts d’heure plus tard et attrape seulement un sachet de biscuits avant de repartir immédiatement. Je suis profondément touché par la marque de confiance de Dimitri, mais redoute en même temps les heures à venir. Il est quasiment certain qu’un de ses amis, ou un proche, a subi un accident sévère. Je n’ai que quelques arrêts à faire avant de me retrouver face au complexe hospitalier. La taille du bâtiment est carrément intimidante ; en plus, j’ai très peu l’habitude de fréquenter ces lieux. Je sors mon téléphone et appelle Dimitri, comme convenu.

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