Chapitre 27

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Écrit en écoutant notamment : Dirpix - Equinox

Sur le chemin vers le campus où loge Alexis, je repense à l’appel de ma mère et au bourbier qui se profile. Je me demande comment les acteurs de notre studio abordent ces questions avec leurs propres parents – même si ça reste un job étudiant.

Je devrais demander à Dimitri, la prochaine fois qu’on se croise. En même temps, ça serait une super occasion pour relancer la conversation après le malaise qui s’est installé – surtout par ma faute. À l’heure qu’il est, lui doit être en train de chatter avec des clients ou bien de profiter de plaisirs charnels avec un autre gars. Ce n’est pas moi qui perturberais sa routine.


***


Je descends du tram à l’arrêt le plus proche de son école d'ingénieur. Le coin est relativement calme ; il est vrai qu’en général, les fêtes étudiantes se tiennent plutôt le jeudi ou le vendredi. Alors… selon Alexis, il suffit de traverser l’avenue et de longer les limites du campus sur une centaine de mètres. Je repère un panneau qui indique « Résidence 2 » et suis le chemin jusqu’à l’entrée du bloc d’appartements. Je le préviens par message que je suis arrivé et tape déjà le digicode qu’il m’a fourni : 1664, super original pour des étudiants !

Des pas pressés résonnent dans les escaliers du bâtiment. Vu l’écho qu’il y a, on ne doit pas beaucoup dormir les soirs de fête, ici… Une odeur tenace d’alcool m’agresse les narines, et mes baskets s’arrachent avec difficulté de couche de bière séchée qui stratifie le sol. Aux quatre coins du hall, des cadavres de boisson réunis dans des sacs de courses attendent sagement d’être sortis.

  • Hello Martial ! Comment ça va ?

Alexis se précipite sur moi pour me faire la bise.

  • Super ! Dis-donc, y a personne qui fait le ménage ici ?
  • Ah si, mais seulement le lundi en général… On finit par s’habituer à vivre trois jours par semaine dans ce champ de bataille. Enfin, t’as dû connaître plus ou moins la même chose ?
  • C’est vrai, même si j’étais dans des blocs calmes, en général. Je dois surtout un fier tribut à certains de mes potes très fêtards, qui m’ont amené dans toutes les bonnes soirées de l’école.
  • Je te montre le verger avant que la nuit tombe ?
  • Allez !

Nous cheminons au milieu de plusieurs laboratoires qui dépendent de l’école, puis autour du stade en synthétique qui doit aussi bien servir aux équipes de foot que celles de rugby. Un petit sous-bois, délimité par la rivière Erdre au fond, abrite une clairière parsemée de tables en bois. Je me régale en observant Alexis déambuler devant moi dans un slim blanc. Sa démarche légère me plaît.

  • Et voici notre… parcelle ! dit-il en me désignant une courte rangée de pommiers. Ça n’a l’air de rien, mais c’est du boulot.
  • Ah j’imagine ! Je crois que je n’ai même jamais jardiné de ma vie.
  • Des potes de l’association ont aussi installé une ruche là-bas. Regarde, c’est l’espèce de cube en bois avec un couvercle.
  • Trop stylé !
  • Ouais, en plus, ça garantit la bonne pollinisation de nos arbres. À la base, on voulait se lancer dans un poulailler, mais l’école a refusé. C’est sûr que les abeilles prennent moins de place et sont plus silencieuses.
  • Eh ben, je ne sais pas si l’asso écolo de mon école faisait tout ça. Ils étaient plutôt du genre à taguer le logo d’Extinction Rebellion sur tout le campus.
  • Haha, je connais, c’est plus militant !

***


Nous revenons sur nos pas dans une ambiance entre chien et loup.

  • Je me souviens plus si tu me l’as déjà dit, tu as commencé à travailler où, en fait ? me demande-t-il.
  • Je suis dans une petite boîte, je m’occupe de faire de la data, ça me plaît pour l’instant.
  • Ok !

Je détaillerai plus tard si le jeu en vaut la chandelle.

Pour l’instant, je me laisse volontiers emporter par l’enthousiasme contagieux d’Alexis. Il faut dire que cette passion se partage mieux que le code informatique. Aujourd’hui, j’ai passé trois heures sur un projet personnel où je développe une intelligence artificielle qui joue au célèbre jeu Doodle Jump. Je doute que l’algorithme NEAT, Neuroevolution of augmenting topologies pour les intimes, passionne grand monde.

  • Du coup, là, tu verras mes amis ; mes colocs ne sont pas là ce soir, dit Alexis alors que nous atteignons le troisième étage.
  • D’accord ! Sache que c’est normal si je ne parle pas des masses. Je ne suis pas toujours très à l’aise avec autant de nouvelles personnes.
  • Alors on a de la chance de t’avoir, c’est ça ?
  • Exactement !

Je n’oserais pas lui dire que j’ai accepté en grande partie pour les effets aphrodisiaques de son corps, et surtout ce fameux sticker multicolore sur son téléphone, qui me donne de l’espoir dans mon entreprise.

  • Si jamais tu te fais chier, t’as qu’à faire signe, on se fera une petite partie d’échecs. Même s’ils se foutent du jeu en lui-même, ça les intéressera de voir un « match au sommet ».

L’appartement est organisé autour d’une grande pièce centrale : d’un côté la cuisine, de l’autre une baie vitrée qui donne sur les espaces arborés du campus. Des couloirs partent de cet espace principal vers les chambres. Les amis d’Alexis sont allongés sur d’énormes poufs colorés disposés en cercle sur le sol. Je leur lance un regard amical avant qu’il ne se charge de faire les présentations. Comme il me l’avait dit hier soir, ce sont surtout ses amis de l’asso écolo.

  • Et voici mon copain ! dit-il en terminant le tour de présentation par le garçon aux cheveux peroxydés.

Oh merde… Je suis tellement stupide de ne même pas avoir envisagé cette option… Je décide de simplement tendre la main au mec d’Alexis, je serais trop mal à l’aise pour autre chose.

On peut dire que Daniel a eu l’œil lorsqu’il m’a assuré qu’Alexis m’avait plus que dévisagé lors de ma première soirée au bar d’échecs. Mais il faut se résoudre à l’évidence : il n’avait pas spécialement de vues sur moi ; être en couple n’empêche pas de regarder d’autres mecs, pour le plaisir des yeux. Je peux me satisfaire d’avoir suscité au moins cet intérêt, mais en attendant, je fais du sur place.

  • Qui est chaud pour une dégustation de notre tout nouveau millésime 2021 ? s’écrie Alexis.

Il ramène une des grosses cuves bleues sous les réponses enthousiastes de ses amis. Moi, je me contente d’applaudir avec modération. Il ouvre le robinet au bas de la cuve et remplit les verres à la chaîne.

  • À notre invité, Martial !
  • À notre invité ! reprennent-ils en chœur alors que nous trinquons.

Ce cidre maison a une saveur différente de celui qu’on boit habituellement. Le goût de pomme est plus acide et à première vue, il doit dépasser les cinq degrés d’alcool. Malgré mon immense déception, je dois admettre que les potes d’Alexis sont super accueillants et me posent plein de questions pour m’intégrer à leurs conversations. Je garde seulement les mêmes limites qu’avec Alexis concernant mon travail, ici à Nantes.

On finit fatalement par me demander si j’ai une copine. J’aurais juste préféré que la question ne sorte pas directement de la bouche du petit ami d’Alexis !

  • Non, personne en ce moment ! réponds-je avec assurance.
  • Ou de copain peut-être ?
  • Ah… non non !

Ils prendraient évidemment très bien mes préférences masculines, mais je préfère m’abstenir. Je fais déjà de mon mieux pour camoufler ma désillusion.

Je remercie intérieurement la fille qui change de sujet :

  • Et donc, c’est vrai que tu rivalises avec Alexis aux échecs ?
  • Mieux que ça, réponds-je avec fierté.
  • On veut voir, alors !
  • Je suis chaud ! lance Alexis. Tiens Martial, tu peux aller chercher l’échiquier pendant que je ressers tout le monde. Il est sur l’étagère au-dessus de mon lit, tu trouveras tout de suite.

Je me bats contre les plis du pouf qui m’ont absorbé et me dirige vers sa chambre. La pièce n’est pas immense, mais en effet, le salon commun compense largement. Je repère sans difficulté l’échiquier et le saisis. Il a même une pendule ! Maladroit comme je suis, je fais tomber tout un brol en récupérant le sac de pièces. Des préservatifs, tiens tiens… Taille large, intéressant…

Je suis surtout intrigué par une petite fiole à l’étiquette flashy, heureusement bien scellée. Ah ouais, du poppers, carrément… Ce beau couple n’est pas si sage qu’il en a l’air, ou bien ça leur est nécessaire, vu la taille des préservatifs et donc de ce qu’il doivent couvrir. Des images s’allument tout de suite dans ma tête.

Sans même savoir s’il est passif lors de leurs rapports, j’imagine Alexis nu sur le dos, un coussin sous ses fesses. Son petit ami s’est positionné entre ses jambes, prêt à lui faire l’amour. Alexis grimace lors de la tentative d'introduction et porte la fiole devant ses narines avant un deuxième essai. Sa nuque retombe vers l’arrière, et aidé par les vapeurs de nitrite d’alkyle, il se laisse posséder complètement dans un long râle satisfait. Les gémissements qui s'ensuivent traduisent un plaisir croissant et demandent une intensité supplémentaire. Lorsqu’il rouvre les yeux et se redresse pour saisir fébrilement les hanches de son copain, celui-ci l’en empêche d’une main ferme qui appuie entre ses clavicules.

Le film qui se déroule dans mon esprit saute directement vers sa scène finale. La fréquence des va-et-vient croît soudainement et Alexis accélère sa masturbation afin qu’ils atteignent une jouissance simultanée.

Alors que je finis de réparer mes dégâts, mon cœur se tord dans ma poitrine et une sensation de vide tombe depuis mes épaules, à travers mes bras, jusqu’au bout de mes doigts. J’ai compris : je suis amoureux et jaloux. Je laisse l’échiquier et autres accessoires sur les draps avec une seule idée en tête, quitter cet appartement et être seul. Je serais bien descendu directement par la façade extérieure, mais les prises manquent et je dois récupérer mes affaires dans le salon.

  • Tu trouves ? lance Alexis de loin.
  • Heu… oui, j’arrive !

J’ai la flemme de trouver une excuse convenable pour justifier mon départ précipité. J’enfile mes chaussures et attrape ma veste sous le regard surpris du groupe.

  • Désolé, je dois y aller, mais merci à vous tous ! J'espère... vous revoir.

Je fais un vague signe de main collectif et claque la porte de l’appartement derrière moi.

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