Chapitre 24

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Ecrit en écoutant notamment : Orian - Through The Night


Nantes, 2 mars 2011 (suite)


Son plan l’a attendu devant l’entrée du club, quelle politesse ! Ils se saluent d’une bise très sage comparée à leurs ébats de l’avant-veille.

  • J’ai des taz, si t’as envie de planer un peu.
  • Vas-y.

Daniel sait que le produit met une heure à agir : ce sera juste idéal, lorsqu’il sera déjà plongé dans l’ambiance de la boîte. Ils consomment le produit dans un angle de rue à l’abri des regards avant de pénétrer dans le club.


***


Les premières distorsions dans son champ de vision apparaissent comme des mirages furtifs. Est-ce que les cachets feraient déjà effet ? Une volupté s’est emparée de son corps et il n’a aucun problème à embrasser langoureusement son plan au milieu des clients. Lorsqu’il rouvre les yeux, des arabesques colorées se mettent à pulser en cercles concentriques. C’est comme si une pluie fine frappait la surface d’un lac ; chaque goutte explose en dizaines de nouvelles nuances colorées.

Les morceaux rythmés que crachent les enceintes ne sont même pas si différents de ceux à la mode à Minsk. Il se commande un verre supplémentaire et le sirote en analysant la population qui se déhanche sur le dancefloor. Le liquide alcoolisé pétille sur sa langue. Tant pis si le type qui l’a invité a disparu : il n’aurait aucun problème à aller draguer le premier venu. Il lui suffit d’observer un mec deux secondes pour comprendre ses intentions, imaginer les formes que cachent ses vêtements et même ressentir son parfum.


***


Daniel se met à la recherche des toilettes du bar. Il se fraye un passage parmi les corps attirants et s’engouffre par l’ouverture d’une porte. La pièce ne ressemble pas à ce qu’il imaginait : autour de lui sont disposées des palettes de boissons et des piles de chaises. Un bruit répétitif accompagné de gémissements attire son attention. Malgré la pression de sa vessie, il fait le tour de la cloison qui sépare la pièce en deux.

Il tombe sur un jeune mec de dos, pantalon baissé et fesses apparentes, en train de donner des coups de bassins énergiques vers l’avant. Il a tout juste le temps de faire demi-tour et de s’appuyer contre le mur pour observer discrètement la scène. C’est bon, les deux n’ont pas remarqué sa présence. Soudain le mec passif, allongé sur une caisse, les jambes serrées autour des abdos de son complice, décide de se relever pour changer de position. N’empêche, ça devait être horriblement inconfortable. Sauf que ce mec, il le connaît trop bien. Ce connard s’est permis de l’inviter pour ensuite aller se faire tringler en douce !

Daniel ne peut s’empêcher d’intervenir en profitant de l’effet de surprise. Cela n’a pas l’air de déranger l’actif, qui se retourne nonchalamment :

  • Oh, tu nous laisses tranquilles ? Tu vois bien qu’on est occupés ?
  • Certainement pas ! C’est quoi ces conneries ?

Le mec dont Daniel aurait dû s’occuper lui-même daigne à peine tourner la tête pour le regarder et hésite à répondre. Il se tient à quatre pattes, les fesses luisantes de lubrifiant.

Dans un élan instinctif, Daniel bouscule l’ordure qui s’est approprié son plan. Cet abruti tombe par terre et il se jette sur lui pour l’immobiliser. Sa manœuvre de judoka échoue et ils se retrouvent à rouler sur le sol poussiéreux en tentant des crochets pour atteindre le visage ennemi. Malgré la rage féroce qui le motive, Daniel n’arrive pas à prendre le dessus. Du bout des doigts, il se saisit d’une bouteille en verre qui devrait l’aider.

Un pied écrase soudain son bras, l’obligeant à relâcher l’objet contondant, et deux bras vigoureux viennent l’enserrer. Daniel se débat en essayant d’expliquer les raisons de la bagarre, mais le vigile, du haut de ses deux mètres et cent vingt kilos, ne semble pas intéressé.

En moins d’une minute, il se retrouve projeté en dehors de l’établissement. Il trébuche sur le rebord du trottoir et s’étale au milieu de la rue pavée. Le sol mouillé imprègne instantanément ses vêtements. Quelle humiliation. Quelle vie de merde… Se battre pour un simple plan qui l’aurait de toute façon laissé tomber le jour où il aurait trouvé un autre actif pour le contenter… Ses parents auraient honte de lui ; même sa grand-tante adorée, depuis tout là-haut, le désapprouverait.

Il n’a même plus envie de se relever, et encore moins d’aller s’expliquer. Ses membres sont lourds et la drogue n’a pas fini de lui jouer ses derniers tours. Ce ne doit pas être si terrible de passer la nuit ici, des sans-abris y survivent bien.


***


Une voix le tire de sa torpeur en même temps qu'un visage se penche sur son corps recroquevillé. Daniel pousse un grognement de protestation et roule misérablement sur le sol.

  • Allez, lève-toi ! On ne va pas te laisser là ! dit la voix.
  • Non…
  • Soit c’est moi, soit j’appelle les flics. C’est trop dangereux !
  • Mmh…

Daniel consent d'abord à se mettre sur les genoux, puis à se lever complètement en s’accrochant fermement au bras du type. Celui-ci le fait traverser la rue et ils pénètrent dans le bar d’en face.

  • Tiens, assieds-toi à la table ici. J’en ai encore pour dix minutes. Voilà déjà un grand verre d’eau. Bois-le. D’ailleurs, moi, c’est Jonathan.
  • Moi Daniil, enfin Daniel, dit-il en corrigeant immédiatement son accent de l’est.

Il regarde tout autour de lui. Le bar est vide et les seules lumières restantes éclairent le comptoir, où ce Jonathan est affairé à nettoyer et ranger des piles des verres. Il doit être l'un des serveurs, ou plutôt le gérant du bar, pour faire la fermeture. Daniel saisit un des pions de l’échiquier qui se trouve à sa table. Il inspecte la pièce en plastique blanc sous tous les angles et la fait tourner entre ses doigts à la manière d’un stylo. Amusant.

  • Tu sais jouer ? demande Jonathan en se retournant depuis le comptoir.
  • Oui, bien sûr.

Les trente-deux pièces noires et blanches restent sagement inanimées, signe que les effets du taz de début de soirée sont bien en train de s’estomper. Sans qu’il ne les ait anticipées, des larmes se mettent à rouler sur ses joues. Encore sa grand-tante, qui lui avait appris les rudiments du jeu. Elle possédait un échiquier en verre poli hérité de générations encore plus anciennes. Il se souvient des premiers mots de Français appris avec elle : « Roi », « Cavalier », « Roque », « Échec et mat ».

Jonathan s’est assis en face de lui. Daniel aime son visage attentionné et son absence de jugement. Pourtant, il ne doit pas récupérer un type étalé au sol devant son établissement tous les soirs.

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