Chapitre 22

5 minutes de lecture

Ecrit en écoutant notamment : Mariana BO – Cantus

Nantes, 18 février 2011

Daniel se réveille brutalement, la respiration haletante. Ses draps sont trempés de sueur. Son téléphone indique trois heures et demie du matin. C’est complètement incompréhensible ! Il est pourtant en totale sécurité ici, en France, depuis cinq mois ! Comparé à ses activités d'espionnage actif à Minsk, il n'a vraiment rien à craindre !

Depuis plusieurs semaines, ses cauchemars reviennent de plus en plus régulièrement. Alors qu’il est assis à son bureau des services de police de Minsk, deux officiers le saisissent et l’emmènent sous le regard insultant de ses collègues. On le traîne dans les escaliers en lui esquintant les coudes et les genoux, avant de le jeter comme un clébard dans le coffre grillagé d’un fourgon. Les virages, empruntés à vive allure, le projettent contre les barreaux en fer.

Il est conduit en interrogatoire. À côté de l’officier se tient cette salope d’Oleg, ce maudit agent d’entretien qui l’a dénoncé. Dans un élan de rage, il tente de se jeter sur lui, mais ses jambes semblent liées l’une à l’autre, et il s’effondre de manière pitoyable sous ses rires. Oleg s’amuse même à lui écraser le visage au sol à l’aide de ses bottes.

On l'escorte vers une cour pavée infestée de mauvaises herbes. De longues traînées verdâtres ornent les quatre murs, en tout point identiques. Au milieu du carré est planté un grand poteau en fer rouillé. Des chaînes partent de son sommet, tels des tentacules, emprisonnant un corps sans vie. Daniel ne peut s’empêcher de vomir devant la peau noircie qui se craquèle sur le visage figé par la terreur. On détache la précédente victime telle un ver de son hameçon de pêche pour venir l’enchaîner à son tour. Un sac opaque est jeté sur sa tête, ne l’empêchant pas d’entendre le peloton d’exécution se mettre en place à quelques mètres de lui. C’est la fin.

Il se réveille chaque fois à ce moment, lorsque les détonations des kalachnikovs le transpercent. Dans son lit, il peine à comprendre comment il a pu rester en vie, et ne peut s’empêcher de passer ses mains sur tout son corps, pour s’assurer que son sang ne se déverse pas hors de ses artères.

Ce n’est plus possible de continuer ainsi. Impossible de maîtriser cette peur, complètement irrationnelle et insensée. Comment arrivait-il à gérer sa situation sans problème tant qu’il était à Minsk ? Pourquoi son corps le lâche-t-il maintenant ? Pourquoi son esprit a-t-il besoin d’inventer les détails les plus macabres possibles ? Il n’y a plus aucune raison pour ça ! Depuis plusieurs semaines, il s’endort chaque soir avec la boule au ventre, la peur de se réveiller en sursaut comme à l’instant.

Il faut agir. De deux choses l’une : il va cesser toute activité en lien avec son pays d’origine, et surtout aller consulter un spécialiste. Il prend directement un rendez-vous sur Internet, au plus tôt possible.

***

***

Il s’agit de terminer correctement ma partie face à ce champion départemental des moins de neuf ans. Il ne nous reste que nos tours, que nous faisons coulisser sans relâche pour tenter de subtiliser un pion ou l’autre de l’adversaire. Après une vingtaine de coups dans le vide, il faut se rendre à l’évidence, le petit ne se laissera pas avoir. Nous finissons par répéter la même position trois fois, synonyme de match nul. Je peux m’en mordre les doigts !

Comme le match d’à côté vient à peine de commencer, nous décidons de jouer notre deuxième partie, en échangeant les couleurs. Mon adversaire ouvre par le système de Londres. C’est une de mes positions favorites avec les blancs, ce qui fait que je maîtrise aussi parfaitement les défenses à jouer avec les pièces noires. Je capture rapidement un pion, puis un deuxième. Liam semble désemparé et décide de jouer son va-tout en concentrant toutes ses forces du côté de mon roi. Mais à trop réfléchir à l’attaque, on oublie souvent ses arrières : il me laisse jouer une fourchette imparable, qui se mue en violente contre-attaque au fur et à mesure des coups.

Un match nul et une victoire, rien n’est scellé, mais j’ai fait un premier pas vers la qualification. Je serre néanmoins la main de Liam en le complimentant sur son jeu. À son âge, je jouais encore aux petites voitures dans ma chambre.

Je m’en vais défier la seule fille de notre groupe et me commande un mojito sans alcool. Tant que j’ai mes chances pour progresser dans le tournoi, je vais éviter de noyer mes neurones dans l’éthanol. J’ai du souci à me faire, car elle n'a fait qu'une bouchée de mon crush – oui, j’ai le droit de l’appeler comme ça ! –, qui avait pourtant l'air costaud. D’ailleurs, elle a attaché ses cheveux comme si elle s’apprêtait à s’élancer sur une épreuve de course à pied. Il faudra monter les barbelés.

Je résiste pendant une vingtaine de coups, mais comme face à Daniel, la forteresse que j’ai bâtie autour de mon roi se transforme en tombeau. Je suis maté en force dans le coin de l’échiquier ; un vrai désastre. Elle ira très loin dans le tournoi ; la différence de niveau que j’ai observée doit être au minimum de quatre cents points Elo. Même leur fameux « Pirate », la star aveugle du bar, devra batailler s’il compte la vaincre.

***

Le garçon que je dois affronter pour le dernier duel de cette poule n’est pas dans les parages : soit il est parti aux toilettes, soit il est allé s’aérer l’esprit dehors. Je vais vérifier son prénom sur les affiches au comptoir : Alexis ; oui, c’est bien ce que j’avais vu tout à l’heure. De retour à nos tables, j’observe les parties entre la fille qui vient de me battre et l’enfant de huit ans. Sans surprise, le deux à zéro est rapide. Je fais les comptes dans ma tête et comprends vite que la deuxième place de la poule, synonyme de qualification pour les phases finales, se disputera entre Alexis et moi.

C’est à ce moment qu’il décide d’arriver, un verre à la main. Je décide de l’interpeller directement par son prénom en espérant que ça aura son petit effet psychologique, comme si je m’étais renseigné en avance sur lui et son jeu.

  • Alexis, ravi de jouer cette partie contre toi !
  • Ah, merci !

Je lui écrase longuement la main, tel Macron avec Donald Trump lors de ce fameux sommet du G7 où notre président avait imprimé la marque de ses doigts sur ceux de son homologue.

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