Chapitre 2

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La première chose que je remarquai en me réveillant était que je n’étais plus entouré d’arbres et d’énormes fougères mais que j’étais plutôt allongée, seule, sur un confortable lit qui m’était inconnu. Je me relevai vivement. La lumière du jour traversait la fenêtre sur ma gauche et venait s’écraser sur le sol meuble de la petite pièce, juste devant le lit posé contre le mur opposé.

Je réalisai bien vite que quelqu’un, ou quelque chose, m’avait transporté durant mon sommeil, ou ma perte de connaissance si je voulais être précise. Je devrais avoir peur, et avoir envie de fuir mais j’étais trop occupée à m’intéresser à là où j’étais et à quoi pouvait bien ressembler la créature qui m’avait amené ici pour ressentir ce type de sentiment. Ma curiosité avait donc prit le dessus. Et puis, si la créature avait voulu me tuer, je serais déjà morte me dis-je en mon for intérieur.

Cet être me ressemblait-il ? A-t-il aussi deux yeux, deux mains et deux pieds ? Parlait-il ma langue ? Tant de questions se mettaient à fleurir dans mon esprit. J’en deviendrais presque enthousiaste. Je me levai doucement et me dirigeai vers la fenêtre. À travers la vitre, je vis une grande plaine d’herbes fraîches et la forêt au loin. J’étais donc enfin sorti de ces effrayants bois. J’en avais presque envie de pleurer de joie. Je ne rencontrerais plus ces étranges bêtes de la nuit.

Je me mis à observer la plaine. Une étonnante tranquillité se dégageait de la vue. Je croirais pouvoir entendre le vent qui agitait les hautes herbes dehors produisant un doux murmure. Cela me donna envie de sortir un instant pour écouter cette mélodieuse chanson. Puis, alors que j’observais toujours par la fenêtre, un bruit venant de derrière la porte en bois sur ma droite vint perturber le silence. Je m’en doutais fortement mais je n’étais pas seule dans la maisonnée. Je m’approchai de la porte et tendis ma main vers la poignée. Je ressentis alors une certaine anxiété à me retrouver face à l’inconnu. Et s’ils étaient plusieurs ? Cela serait encore plus intimidant.

J’avais attendu cela toute ma vie mais alors que le moment était venu, j’avais peur qu’on me rejette ou d’être mal accueilli. Je me souvenais des histoires qui se racontaient de génération en génération à propos des Envahisseurs venus des Cieux. On les disait cruel, sans pitié et se réjouissant de la souffrance d’autrui. Je ne savais pas depuis combien de temps ces histoires tournaient dans la tribu, sûrement longtemps. Peut-être que les envahisseurs étaient parti, ou mort ou bien peut-être qu’ils étaient encore là et il existait des choses bien pire que la mort m’avait un jour dit ma grande sœur sans pour autant me dire à quoi cela correspondait. Puis je me rappelais pourquoi j’étais partie, que j’étais condamné de toute façon et que si je ne faisais rien, rien ne pourrait empirer mais rien ne pourrait s’améliorer non plus. Mes choix n’étaient peut-être pas les meilleures mais au moins, j’aurais essayé.

Je baissai alors la poignée et poussai la porte lentement en espérant faire le moins de bruit possible pour ne pas être remarqué directement. Par la porte entrebâillée, je distinguai une pièce assez spacieuse regroupant le salon, la salle à manger et la cuisine. De là où j’étais, je n’apercevais que le bout d’un canapé beige mais je pouvais clairement voir la cuisine et surtout la personne qui s’y affairait. Elle était de dos et ne semblait pas encore m’avoir vu. La lumière entrait par des fenêtres disposées au-dessus du plan de travail. Une lampe à huile éteinte était posée sur une petite table en bois placé entre le canapé et la cuisine.

Malgré mes piètres connaissances du monde extérieur, je pouvais quand même dire que la personne en face de moi était un homme de par sa carrure. Je me sentis un instant soulagé. En effet, même s’il avait une peau plus sombre que la mienne et qu’il possédait de longs cheveux tressés d’un bleu sombre, il ressemblait à un être humain. D’après les récits, les Envahisseurs possédaient des ailes blanches dans leur dos, ce qui me faisait penser qu’il n’était peut-être donc pas mon ennemi. Pendant un certain temps, je l’observais cuisiner sans bouger, et alors que je me disais que je devrais peut-être agir, dire quelque chose, ce fut la voix grave de l’inconnu qui brisa le silence. Il avait parlé sans se retourner vers moi et je n’avais rien compris. Sa langue m’était inconnue. Je restai muette. Une boule d’angoisse se forma dans mon ventre. Comment allais-je faire si nous ne pouvions pas communiquer ? S’il ne parlait pas la même langue que moi, il était fort peu probable que je puisse comprendre et interagir avec les autres habitants de l’extérieur. Tout cela ne s’annonçait pas bien. Le silence s’étira entre nous deux.

- Tu devrais venir t’asseoir. J’ai préparé à manger, prononça-t-il alors.

Il se retourna vers moi et me fixa de ses yeux noirs en souriant gentiment. Je me vis mal continuer à me cacher derrière la porte de cette façon et entra dans la pièce principale. Je me sentis un peu mal à l’aise d’avoir été prise en flagrant délit d’espionnage et je ne savais pas quoi dire.

- B...bonjour.

Ma voix était plus timide que je ne l’aurais voulu mais je ne pouvais pas nier le fait que la situation me stressait. Il s’approcha de la table, posa sa main sur le dossier d’une des chaises et m’incita à venir plus près pour m’asseoir d’un mouvement de sa main libre. On aurait dit que chacun de ses gestes était mesuré, comme s’il se trouvait en face d’un animal apeuré dont il voudrait gagner la confiance. Je m’approchai lentement de la table et m’assis sur la chaise en face de lui sans dire un mot. Ce fut alors qu’il se retourna vers le plan de travail, prit une assiette ainsi que des couverts et vint les placer devant moi avant de s’asseoir en face de moi. Dans le plat, je pouvais voir des bouts de viande rouge ainsi que divers légumes ayant l’air succulent, le tout en salade, mais je devais bien avouer que tout pouvait être bon vu la faim qui me tiraillait l’estomac.

- Merci.

L’inconnu me dévisagea un instant, un éternel sourire sur les lèvres.

- Une des langues antiques. Cela faisait tellement longtemps que je ne l’avais pas entendu. Que c’est nostalgique.

Je ne compris pas ce qu’il voulait dire. De quelle langue antique parlait-il ? Ma langue ? Cela avait-il un rapport avec le fait que je n’avais pas compris ce qu’il disait un peu plus tôt. Les questions se bousculaient dans mon esprit.

- Mange d’abord. Tu en as besoin. On aura tout le temps de parler après, reprit l’inconnu comme s’il lisait dans mes pensées.

Devant mon hésitation, il ajouta :

- Rien n’est empoissonné, je te l’assure.

Et à ces mots, il prit un morceau de viande dans l’assiette et le mangea.

- Tu vois.

Pour être honnête, l’idée qu’il puisse m’empoisonner ne m’avait pas traversé l’esprit. C’était une idée logique mais mon cerveau devait gérer trop d’informations en même temps en ce moment pour que cette supposition me vienne instinctivement à l’esprit. Je regardais à nouveau l’assiette puis priais machinalement.

- Seigneur Dragon Fidlyhriane, je vous remercie de nous accorder ce repas et puissiez-vous bénir nos sols et la bonne récolte.

Je me mis ensuite à manger et, comme je l’avais imaginé, la salade était bonne. Tandis que je mangeais, mon hôte ne dit mot et se contenta de me regarder déjeuner, un coude posé sur la table et le menton dans le creux de sa main. La situation était assez gênante mais je n’avais pas avalé quelque chose de correcte depuis des jours et cette salade tombait à point nommé. De plus, cela me permit de le détailler plus précisément. Il avait la peau grise et était habillé d’une tunique à manches longues et d’un pantalon brun jaunâtre ressemblant aux habits que pouvaient porter les agriculteurs dans mon village. En complément de cela, il ne portait que deux bracelets manchettes noirs. En regardant avec plus d’attention le dos de ses mains, j’avais l’impression que celles-ci possédaient des incrustations de petites pierres colorées sous la peau et il me semblait qu’il possédait la même chose sur le front. Je n’avais jamais entendu parler d’une telle pratique mais après tout, je ne savais rien de l’extérieur. Ses iris étaient si foncé que je n’arrivais pas à distinguer ces dernières de ses pupilles et dans son cou, je pouvais apercevoir vaguement des marques noires sortir du col de son vêtement. Les humains de l’extérieur n’étaient donc pas tous morts et étaient bien différents de nous. Pourtant, ces traits harmonieux lui procuraient un charme certain que les différences physiques n’occultaient en rien. Une fois que j’eus fini, il débarrassa mon plat et revint s’installer à la table.

- C’…c’était bon…merci, bafouillai-je.

Je ne savais pas par où commencer. Dans la tribu, on se connaissait vite entre agriculteurs et mon côté curieux et aventurier n’avait jamais fait l’unanimité. Je ne savais donc pas vraiment comment bien engager une conversation avec un inconnu.

- De rien. Mes récoltes sont bonnes cette année alors autant en profiter pleinement.

Il s’était redressé et avait à présent joint ses mains sur la table.

- Et merci pour…m’avoir sauvé dans la forêt.

- Je n’allais pas laisser une jeune fille inconsciente dans les bois et puis tu aurais pu tomber sur des phosphopanthères si la nuit était tombée. Elles s’aventurent rarement aussi près des plaines mais cela peut arriver.

- Des phosphopanthères ? demandais-je, ne sachant pas de quoi il s’agissait.

- Ce sont les prédateurs de la région, de gros félins à la peau noire et communiquant entre eux via un jeu de couleurs au niveau d’une crête sur leur dos. Tu devrais faire plus attention à l’avenir. Elles sont réputées agressives.

Donc c’était le nom des créatures que j’avais rencontrées à peine sortis du village. Je ne comprenais toujours pas comment j’avais pu en réchapper et ce que cet homme me disait me plongeait encore plus dans l’incompréhension.

- J’y penserai, répondis-je.

Puis je me rendis compte que je ne connaissais toujours pas son nom et me dis à moi-même qu’il avait dû me trouver fort impoli. Toutefois, je me demandais également si les gens de l’extérieur portaient des noms étranges ou même si j’arriverais à prononcer leurs noms.

- Euh…hm…je m’appelle Keenat. Est-ce que tu as un nom ? Désolé de me présenter aussi tard…

- Ce n’est rien. Tu peux m’appeler Kahar.

Kahar. C’était simple mais tout de même beau comme prénom.

- Et donc Keenat. Tu avais des questions à me poser ?

Je hochai la tête pour confirmer mais je ne savais pas par où commencer.

- Tu vis seul ici ?

Mieux valait que je commence par des questions simples.

- Oui. C’est calme. Peu de personnes passent par ici, seuls quelques groupes de nomades parfois. C’est parfait comme cela.

- Et tu n’es pas triste d’être toujours tout seul ?

Il parut surpris par ma question et je me sentis soudainement bête d’avoir posé une question si personnelle sans réfléchir. L’imaginer passé toute sa vie seule, sans personne, me faisait mal au cœur.

- De…de la famille ? continuai-je dans l’espoir de briser ce silence gênant.

- Tu sais où tu te trouves?

- Ah…non.

Je me sentais mal. Pourquoi avais-je dit une chose pareille ? Et plus important encore, ma propre ignorance me choquait.

- Où sommes-nous ?

Il fallait changer de sujet.

- Dans le Nord du royaume de Granios. Tu connais ?

Je hochai la tête négativement.

- Perte de mémoire donc, affirma-t-il sérieusement.

- Non…c’est pas ça…en fait…on peut dire que j’ai vécu une vie recluse depuis ma naissance et les dirigeants de mon village refusaient tout ce qui venait de l’extérieur alors…je ne connais pas grand-chose mais je veux apprendre tant que j’en ai encore la possibilité. Je suis parti pour cela.

J’espérais avoir été assez clair et que la situation ne lui paraissait pas trop stupide.

- Tu viens donc des profondeurs de la forêt ?

- J’habitais plutôt dans les montagnes mais oui.

- Les montagnes maudites ? demanda-t-il perplexe.

Le nom qu’il venait de prononcer me fit paniquer.

- Hein ? Maudite ? Vraiment ? Les Dieux-Dragons ont vraiment maudit mon village ?

- Calme-toi. Ce n’est qu’un nom pour effrayer les gens et je ne pense pas que les Dieux-Dragons aient quelque chose à voir avec cela.

- Pourquoi ?

- Eh bien, on va dire que je ne vénère pas vraiment leur existence.

Je ne pus répondre sur le moment tant sa phrase me perturba. Des gens pensaient donc que les Dieux-Dragons n’existaient pas ? Et une de ces personnes étaient encore en vie ?

- Et les Dieux-Dragons ne t’ont jamais puni pour ne pas les vénérer ?

Il me regarda en souriant. La situation avait l’air de l’amuser.

- Non. Alors qui sait, peut-être ne sont-ils issue que de l’imaginaire collectif ?

Les Dieux ? Inventer de toutes pièces ? Cette supposition chamboulait tout ce qu’on avait voulu m’inculquer étant jeune mais au plus profond de moi, sa question rhétorique répondait à mes doutes. Si les Dieux ne l’avaient pas puni pour le fait qu’il ne les vénérait pas, alors pourquoi nous auraient-ils puni mon village et moi ? Il devait donc forcément y avoir une autre raison que celle de la punition divine qui pourrait expliquer notre mort prématurée. J’avais donc un espoir. Kahar me tira soudain de mes pensées.

- Tu vas bien ? Je ne pensais pas te choquer à ce point. Tu sais, tu fais ce que tu veux. Tu peux continuer à prier tes Dieux-Dragons. Je ne te jugerais pas pour cela.

Il avait l’air intègre. Peut-être pouvait-il m’aider à comprendre l’origine du mal qui me rognait ainsi que mon village ? Je devais au moins demander.

- Kahar.

- Oui ?

- Dans mon village, nous mourrons tous jeunes. Mes propres parents sont mort alors qu’ils n’avaient que vingt-deux ans. On m’a toujours dit que les Dieux-Dragons nous avaient maudit parce que nous ne nous étions pas battu pour eux contre les Envahisseurs venus des Cieux mais peut-être…peut-être que cela n’est pas vrai…peut-être que l’explication est ailleurs…peut-être qu’il y a un remède…

Je me mettais une nouvelle fois à rêver. Seuls les livres que j’avais pu emprunter via Ian témoignaient d’un temps où nos ancêtres avaient vécu plus de vingt ans sans problème mais si eux avaient pu vivre longtemps, pourquoi pas nous, pourquoi pas moi. Six ans étaient trop peu pour découvrir le vaste monde.

- Pour toi, quel est le peuple le plus puissant de Dragonna ? me demanda-t-il.

- Le royaume d’Oléna.

- Et tu viens de parler des Envahisseurs venus des Cieux ?

- Oui ? Pourquoi ?

Je ne comprenais pas le problème de cela. Je ne comprenais pas où il voulait en venir.

- D’après les récrits, expliquai-je, mes ancêtres les auraient fui quand ils sont arrivés sur nos terres et une fois dans les montagnes, ils ne nous ont pas suivit alors nous nous sommes installé là-bas. Il est dit qu’ils étaient cruels, sans pitié, qu’ils contrôlaient les éléments. Personne ne pouvait leur résister et ils ont tout ravagé sur leur passage, pourtant, je n’ai pas l’impression que la terre soit désolée ici. Ils ont réellement fini par partir ?

J’étais contente qu’Ian m’ait appris à lire pour que je puisse en apprendre autant sur mon passé. Quant à Kahar, il avait franchement l’air étonné par ce que je disais. Je ne trouvais pourtant pas que j’avais dit de bêtise, ce n’était que de l’histoire.

- Et tu ne connais rien de ce qu’il s’est passé après ?

- Non. Mes ancêtres ont eu trop peur de revenir sur leurs anciennes terres et ils se sont définitivement installés là-bas.

Kahar se pinça alors l’arrête du nez en soupirant avant de se pencher sur la table et de poser ses mains à plat sur celle-ci. Son regard vint alors se fixer au mien. Cela n’annonçait rien de bon.

- Keenat, débuta-t-il.

Son ton était beaucoup trop sérieux pas que cela ne m’inquiète pas.

- Oui ?

- Je sais pas vraiment comment te le dire non brutalement mais…l’événement dont tu me parles, l’invasion de la planète par les Xerians ou les Envahisseurs venus des Cieux si tu préfères, c’était il y a 3 000 ans. Et ils ont perdu.

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