Château-Suif

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Nous arrivâmes le soir même en vue du château.

Comme son nom l’indiquait, il était taillé dans une pierre noire et terne. De loin, il paraissait à l’abandon, sans aucun signe d’activité humaine. Les herbes envahissaient même le pied de ses tours et de ses murs. La herse, tordue, gisait à quelques pas de l’entrée principale qui restait ainsi ouverte en permanence. Plus loin, derrière le mur d’enceinte, on ne pouvait distinguer aucune lumière et les fenêtres étaient obstruées par des barricades de bois.

Nous étions allongés dans l’herbe haute, sur une petite colline.

  • Qu’en penses-tu ? murmura Silence.
  • Je ne vois aucune trace d’activité récente, ce qui confirme les rapports. Seul un petit groupe pourrait passer inaperçu.
  • Bon point. Que révèle ta vision magique ?
  • Comment diable… mais je m’interrompis en me mordant les lèvres, je ne pouvais pas me permettre d’élever la voix ici.
  • Comment suis-je au courant pour tes dons magiques ? reprit-il doucement.
  • Oui.
  • Premièrement à cause de ta réaction lorsque j’ai créé le portail ce matin, avant même qu’il n’apparaisse. Ensuite, tu dégages un énorme pouvoir lorsque tu es surprise ou effrayée.

Visiblement, je ne maîtrisais pas mon pouvoir aussi bien que je voulais le croire. Au moins n’y avait-il aucune trace de reproche ou de condescendance dans sa voix. Aussi ravalai-je une remarque acerbe et me concentrai sur Château-Suif.

Le sort de clairvoyance était relativement simple à cette distance. Une petite partie de mon énergie suffit à tisser les contours du sortilège. Le silhouettes floues des formes vivantes alentours se dessinèrent, telles de petites taches de couleurs en surimpression sur le paysage extérieur.

  • Je ne distingue qu'un vampire dans le donjon, au centre. Les autres sont répartis dans les dépendances tout autours. Personne ne semble garder l’enceinte ou l’entrée.
    Dans le bâtiment carré, je suppose qu’il s’agit d’une étable, il y a une vingtaine d’humains adultes. Ils ne bougent pas beaucoup et, vu l’heure, ce n’est probablement pas parce qu’ils sont couchés. Donc je suppose qu’il s’agit de prisonniers.
    Il y a aussi un animal de la taille d’un gros chien qui gambade à l’extérieur, mais ce n’est probablement qu’une bête sauvage.

Après un dernier regard circulaire, je laissai le sort se déliter en douceur, prenant garde à dissiper toute l’énergie latente pour ne pas signaler notre position à un mage curieux.

  • C’est bien. J’ajouterais juste qu'ils ont masqué toutes les fenêtres de la tour alors que les autres n'ont que le rez-de-chaussé d'obstrué. L'endroit doit les intéresser.

Étrange vu qu'il n'y avait qu'un vampire à cet endroit, mais tout à fait vrai.

  • Que sais-tu des vampire jeune fille ?

Ça, c’est une question qui était dans mes cordes. J’avais toujours eu un faible pour les créatures magiques et la bibliothèque des Ailes Noires ne manquaient pas d’information à ce sujet.

  • Ils sont immortels, mais doivent boire du sang frais pour se nourrir, de préférence le sang d’un être pensant. Leurs force, perception et vivacité sont supérieures à celles d’un homme, mais loin de ce que prétendent les légendes. D’ailleurs, ils ne craignent que l’argent et la lumière du soleil, contrairement aux croyances populaires.
  • Exact. La nuit va bientôt tomber. Que suggères-tu ?

Là, j’avoue que la question me prit de court. N’était-ce pas à lui de décider de la marche à suivre ?

  • Tant que nous ne sommes pas repérés, nous ne risquons pas grand chose de nuit, mais nous aurions un avantage certain de jour. Donc je pense qu’il vaut mieux attendre demain matin.
    Une observation plus longue pourrait aussi nous renseigner sur leurs actions et leurs habitudes.
  • Je suis du même avis. Allons chercher un coin abrité où nous installer. Nous les surveillerons à tour de rôle.

* * * * *

Les alentours de Château-Suif étaient entièrement constitués de toundra, pas un terrain idéal pour s'abriter du vent et de l'humidité. En désespoir de cause, nous avions installé une tente de voyage dans une légère dépression, un bas d'une des rares collines de la région. Elle ne protégeait pas vraiment des intempéries, mais au moins était-elle invisible des alentours, et à fortiori du château.

Je pris le premier tour de garde. Silence s'était proposé, mais je n'avais pas particulièrement sommeil.

La colline, bien qu'elle mérite à peine ce nom, donnait un peu de hauteur et de visibilité. Je m'y était donc installée, enroulée dans une épaisse couverture. La nuit était particulièrement obscure, la lune cachée par les nuages. Je dus user une nouvelle fois de ma vision magine.

Du côté de la place-forte, il n'y avait pas grand chose à observer. Les vampires s'étaient réveillés et vacquaient à leurs occupations, mais ils se déplaçaient somme toute très peu.

Tout en continuant mon observation magique, je tentais de faire le tri entre les faits et les légendes. Le nord du continent était une zone très peu peuplée et globalement inexplorée. Chateau-Suif était d'ailleurs la seule construction humaine à des kilomètres à la ronde, et probablement la plus septentrionale. J'avais lu de nombreux récit sur la zone, mais je ne retirais finalement que bien peu d'informations utiles.

Vue d'ici, la région semblait surtout déserte.

Soudain, j'entendis un bruissement à quelques pas derrière moi. Mes réflexes me permirent tout juste de bondir de côté et d'esquiver la geule pleine de long crocs brillants qui passa à deux doigts de ma gorge. Malheureusement, ils ne furent pas suffisant et une lourde forme noire me cloua au sol avant que je ne puisse me relever.

Dans la nuit noire, je ne distinguais que les contours de la bête, grande et féline, ainsi que ses deux yeux jaunes qui reflétaient le peu de luminosité ambiante, à seulement quelques centimètres au dessus de moi. Mes armes étaient inaccessibles, bloquées par mon poids, et celui du monstre.

Terrifiée, je contenais difficilement ses assauts, tentant de maintenir sa large gueule le plus loin possible. Mes pouces se resserrèrent sur la gorge du félin, dans une vaine tentative d'étranglement, mais il ne s'en aperçut même pas.

Après quelques secondes de lutte, il cessa d'essayer de me déchirer la gorge de ses crocs et releva légèrement la tête, me toisant d'un regard mauvais.

Au même moment, la lune apparut entre deux nuages, ce qui me permit enfin de distinguer mon agresseur. Son poil n'était pas entièrement noir, mais tacheté et recouvrait l'ensemble de son corps, de la tête à la queue. Mon regard se riva d'ailleurs sur cette celle-ci, excessivement longue, au moins deux mètres de muscles vigoureux... et terminée par une lame qui brillait à la clarté de l'astre.

La créature me maintenait toujours immobile. Sa lame décrivit un arc de cercle paresseux au dessus de nous, me laissant cruellement prendre conscience de ses intentions et de mon impuissance. Mes yeux restaient rivés aux siens, affamés et hautains alors que je cherchais désespérément une issue.

Brusquement, une corde claqua non loin et les deux yeux jaunes s'écarquillèrent de surprise. Lentement, la bête s'affaissa sur le côté, sans un bruit. Ce n'est qu'alors que j'aperçus la longue flèche empennée de noir qui dépassait de son poitrail, fichée en plein coeur.

Mes doigts enserraient toujours la gorge de l'animal. Je les relâchai lentement. En revanche, mon corps continuait à trembler de façon incontrôlable. Silence s'approcha doucement et s'assura de la mort de la créature avant de m'aider à me relever. Heureusement, il était intervenu juste à temps.

Je ne me souviens pas exactement de ce qu'il se passa ensuite. Mon cerveau refusait de fonctionner correctement. Je crois que Silence me guida doucement vers notre campement sommaire et s'assura que je m'endormis rapidement. Mais ma mémoire reste désespérément floue.

* * * * *

Les tremblements passèrent avec la nuit. Je préférais ne pas revenir sur les évènements, me sentant vraiment comme un boulet pour le mercenaire. Ce dernier évita avec tact le sujet.

Nous reprîmes donc position, cachés dans les fougères, face à notre cible.

  • Rien n’a changé depuis hier.
  • Si, répondit Silence d’une voix lugubre. Il manque trois humains.

Probablement vidés de leur sang jusqu'à la dernière goutte. Nous ne devions pas traîner ou il ne resterait rapidement plus personne à sauver.

Timidement, je glissai une remarque :

  • Pour accéder au donjon, les vampires semblent entrer et sortir par la cour intérieure qui est complètement exposée à la lumière du soleil.
  • Tu lis dans mes pensées. La tour est presque vide. C'est notre meilleure chance d'en apprendre plus.

Suite à quoi il se redressa et s’approcha de la muraille à petites foulées. C’est l’estomac noué que je le suivis, tâchant de respirer lentement. Il s’arrêta non loin de l’entrée et patienta quelques instants, les sens aux aguets.

  • Laisse-moi passer en premier et tâche de ne faire aucun bruit, murmura-t-il dans un souffle.

Ensuite, il bondit dans la cour, slalomant pour rester dans les taches d’ombres jusqu’au donjon. Son pas était incroyablement léger. Même sur ses talons, je ne pus déceler aucun bruit. De mon côté, je ne pouvais pas en dire autant. Mais au delà de quelques mètres, personne ne m’entendrait, à fortiori derrière l’épais mur des bâtiment en pierre

Dédaignant la porte renforcée, nous fîmes précautionneusement le tour de la construction. La chance aidant, l’une des fenêtres était mal verrouillée. Silence se glissa dans l’ouverture à pas feutrés, puis m’invita à le suivre.

L’intérieur de la tour était sombre, sans aucun éclairage et sentait le renfermé. Pour y voir quelque chose, je devais écarquiller les yeux à en avoir mal. Mais il était hors de question d’allumer une chandelle : elle signalerait notre position et risquait de s’éteigne au moment le plus inopportun.

Il nous fallut quelques minutes pour faire le tour du rez-de-chaussée. Vide et poussiéreux.

Une volée de marches menaient au premier étage. Celui-ci était composé d’une seule et immense pièce, aux nombreux recoins sombres. J’identifiais une salle d’arme aux râteliers posés contre les murs et aux meubles strictement fonctionnels. Silence fouilla la pièce de fond en comble pendant que je vérifiais les issues. Elle était également vide.

Un escalier, identique au premier, permettait d’accéder au deuxième étage. Nous en avions compté six depuis l’extérieur, plus une terrasse au sommet de la tour.

Bien que nous nous élevions toujours plus haut, j'avais nettement l'impression de m'enfoncer sous terre, dans une cave glacée d'un noir d'encre.

L’absence d'événement était particulièrement stressante. Ma main se crispait de plus en plus sur le pommeau de mon épée d’argent et je sursautais au moindre bruit. La présence de plusieurs rongeurs, probablement des rats, n’arrangeait pas les choses. Somme toute, je n’en restais pas moins silencieuse et concentrée.

Contrairement à l’étage précédent, nous nous retrouvions face à un couloir particulièrement étroit et sans ouverture vers l'extérieur. Silence s’arrêta un instant. Il n’avait qu’une longue épée, ce qui ne serait pas du tout pratique dans un espace aussi exigu. Il n’avait pas l’air enchanté. De mon côté, je sortis une paire de dagues, les mains moites d’appréhension.

Mon coeur battait si fort que je croyais en entendre l’écho résonner le long du passage. Un souffle d'air froid caressait de temps en temps ma nuque, me rappelant insidieusement que celle-ci était exposée à l'air libre et sans protection.

Nous reprîmes notre avancée, encore plus lentement et précautionneusement qu’auparavant. J’avais un mauvais pressentiment. Comme si quelque chose clochait, mais impossible de mettre le doigt dessus. Un sentiment très désagréable lorsque vous êtes coincé dans un corridor froid et étroit potentiellement rempli de créatures prêtes à vous sucer le sang...

Silence évoluait prudemment. Pour autant, il ne semblait pas particulièrement affecté par le danger ambiant. Ses gestes étaient lents, mais précis et discrets. Tout mon contraire, à moins que je ne me fasse des illusions et que je sois la seule à entendre mes battements de coeur aussi forts que des tambours de guerre.

Alors que je frissonais de nouveau, je compris soudain ce qui me dérangeait : le mouvement d'air. Comment se faisait-il qu’il y ai un courant d’air alors que toutes les portes et fenêtres étaient fermées ? A moins que...

Instinctivement, je me retournai tout en allongeant mon poing armé le plus loin possible derrière moi, ramenant le deuxième en garde basse, le long du corps. A ma plus grande surprise, une forme pâle apparut alors devant moi. Je ne pus retenir un cri de peur et de surprise alors que ma dague s’enfonçait profondément dans son torse.

Le vampire rugit de douleur, stoppé net dans son élan. Bien que terrorisée, les réflexes inculpés à l'entraînement reprirent le dessus et ma senestre s’abattit en diagonale, tranchant la gorge de mon adversaire qui contemplait sans y croire la poignée d’argent qui saillait de son torse, non loin du coeur.

Aucune goutte de sang ne jaillit de la blessure. Le corps sans vie se contenta de s’affaisser lentement.

Ce n’est qu’après plusieurs secondes que les bruits de combat, derrière moi, atteignirent ma conscience choquée.

Me retournant une nouvelle fois, j'aperçus deux formes floues qui se battaient à quelques pas, à l’embranchement d’un couloir. L’une des silhouettes, manifestement un vampire, était brûlée et une cape qui lui appartenait probablement continuait à se consumer sur le sol, éclairant la scène par en dessous. L’autre, Silence, enchaînait les frappes et les esquives, faisant siffler son épée d’une main.

J’avais du mal à croire ce que je voyais. Le mercenaire virevoltait à un vitesse telle que je peinais à suivre ses mouvements. Il combattait sans un bruit et n'avait aucun mal à suivre les mouvements pourtant inhumains du vampire !

C’est avec stupeur que je me rendis également compte que son épée, aussi sombre que la nuit, rougeoyait et lançait des myriades d’étincelles à chaque fois qu’elle rencontrait la lame, ou la chair, de son adversaire : une lame noire.

Ce type d'arme était rarissime et réputé indestructible. Elles ne pouvaient être forgées que par une magie très puissante et dangereuse. On racontait que la lame buvait littéralement le sang de sa victime à chaque entaille et infligeait une douleur insoutenable, l’épuisant même à partir d’une simple griffure. Pour ce que j’en savais, les Ailes Noires étaient les seules mercenaires à posséder une poignée de ces lames. Silence était bien plus qu’un simple capitaine.

Bouche bée, je ne prêtait d’attention qu’au combat qui cessa brutalement lorsque le mercenaire fit trébucher son adversaire d’un coup de botte vicieux, puis sépara proprement sa tête du reste de son corps dans un mouvement fluide.

Pas le temps pour des réjouissances cependant. Avant que la tête n’aie touché le sol, une main me saisit sauvagement à la gorge.

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