Rencontre avec Elsa

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— Vous êtes mort, monsieur Billetcognitif.

— Ah bravo, la Mort est madame Lapalisse.

— Vous êtes un peu rude, monsieur Billetcognitif. Je ne suis là que pour aider.

— Et elle continue à enfoncer des portes ouvertes, la psychopompe. Je suis rude, je suis mort, l’eau, ça mouille… Laissez-moi deviner, aux journées portes ouvertes, vous faites souvent défonceuse de portes, non ?

— Quand vous aurez fini de faire votre ours mal léché, nous pourrons éventuellement commencer.

— D’abord, si je suis mal léché, à qui la faute, hein ? C’est comme quand un idiot insulte une femme de mal baisée. À qui la faute là aussi ?

— Vous racontez des inepties, monsieur Billetcognitif. Vous êtes mort, ce n’est pas une soirée micro libre pour vos jeux de mots.

— À ma décharge, c’est ma première fois, j’ai jamais été très bon, les premières fois. Il suffit demander à… Bref, tous mes jeux de mots, ça va me valoir un aller simple pour un cercle spécial de l’enfer, non ?

— Avez-vous fini de déblatérer ?

— Bof, c’est mon côté chameau. Et puis, j’ai toute l’éternité devant moi, laissez-moi le temps de m’échauffer. Euh, au fait, j’ai bien toute l’éternité devant moi ? Alors, il y a quoi à l’ordre du jour le plus long, exactement ? Un triathlon autour du Styx ? Une soirée fondue-merguez avec Satan ? Une chevauchée sur fond de Wagner avec Val Kilmer ? Ne me dites pas que je recommence à zéro avec la même calvitie et mon intolérance au lactose, mais dans le corps d’un chihuahua. J’ai un peu de karma sur internet, ça peut peser dans la balance ?

— Vous êtes athée, monsieur Billetcognitif. Il n’y a rien de tout cela au programme. Il n’y a que le néant pour vous.

— C’est tout ?

— Oui, monsieur Billetcognitif.

— Y a-t-il la moindre chance que je mette la main sur cette liste des choses à emporter sur une île déserte ? J’ai dû l’écrire en 2003, il y avait plein de bouquins que j’étais censé lire. Si j’avais su, je l’aurais mise à jour.

— Il n’y a pas de liste. Il n’y a que le néant, monsieur Billetcognitif.

— Dites, Elsa… Je peux vous appeler Elsa ? Vous feriez une très bonne reine des neiges. Votre technique pour jeter un froid est impeccable.

— Vous faites à nouveau le chameau, monsieur Billetcognitif.

— Elsa, admettez, votre programme est décevant. Et dites-moi, puisqu’on est entre nous, c’est laquelle, la religion ultime, celle qui garantit le maximum d’avantages pour un investissement minimal sur toute une vie ou au moins après un peu de jeûne intermittent dans les dernières années ?

— Aucune, monsieur Billetcognitif. Le néant est le même pour tout le monde.

— Attendez, pourquoi vous m’avez dit “vous êtes athée, il n’y a que le néant” si c’est pareil pour tout le monde ?

— J’aime bien regarder l’expression de suffisance quand j’annonce à quelqu’un qu’il avait raison. Ne me jugez pas, l’éternité est très longue, je prends mon pied comme je peux.

— Pas de jugement, on a chacun nos paraphilies, tant que ça reste entre adultes consentants. Donc, par exemple, à un croyant, vous lui dites “allez par-là et votre âme sera jugée” ?

— Non, je leur annonce que c’est le néant et qu’ils ont cru à un ami imaginaire. Oui, j’aime aussi voir l’expression de décomposition ou de soulagement des croyants selon qu’ils sont persuadés mériter le paradis ou l’enfer.

— Jugement mis à part, vous avez l’air de bien vous emmerder quand même.

— J’ai bien Netflix, mais après quinze jours…

— C’est pas faux, ça tourne vite en rond. Cette conversation me rappelle le film Rencontre avec Joe Black, mais vous faites un très mauvais Brad Pitt.

— Parce que vous seriez plus convaincant à la place de Claire Forlani, monsieur Billetcognitif ?

— Comment…  ? Ah oui, Neflix. Ça va, pas la peine d’être désagréable. Il y a un autre truc qui me chiffonne. S’il n’y a rien que le néant après la mort, pourquoi on se parle ?

— Nous ne nous parlons pas. Je ne suis pas là. Ce sont les dernières impulsions dans votre cerveau qui hallucinent cette conversation, monsieur Billetcognitif.

— Ça veut dire que… je ne suis pas encore mort ?

— Si. Imaginez que votre existence est un véhicule lancé à grande vitesse sur une route. Si ce véhicule était détruit au cours d’un accident – non ce n’est pas la circonstance de votre mort –, la force d’inertie lui ferait encore parcourir une très courte distance. C’est ce qui arrive à votre activité cérébrale éparpillée sur l’asphalte de la… vie… Je ne sais pas terminer mes analogies.

— C’était pas trop mal. Dites-vous que vous ferez mieux la prochaine fois. Et donc après, il n’y a rien ?

— C’est ça.

— …

— Vous êtes soudain bien silencieux, monsieur Billetcognitif.

— C’est rien, je cherchais quelque chose de spirituel en guise de derniers m…

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