Quelqu’un sonne à la porte d’entrée

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C'était un vendredi soir à 19h30. Tiens, quelqu’un sonne à la porte d’entrée. Juliette était allée ouvrir. C’était un monsieur, âgé d’une soixantaine d’années, un ancien patient. Il était désolé de se présenter si tardivement mais il avait vu de la lumière et avait tenté sa chance. Il avait une rage de dents, il venait de quitter son travail, il ne pouvait pas se libérer plus tôt, il avait vraiment très mal et le lendemain les dentistes seront fermés.Bon on va voir ça, on va faire une radio pour comprendre d’où vient le problème, avait dit Juliette.

Juliette l'avait soigné, c’était son rôle. Ses gestes étaient à la fois doux et assurés. Puisqu’elle avait commencé, autant faire du bon travail. Elle avait soigné la dent malade et lui avait fait un détartrage pour qu’il soit tranquille pendant un bon moment. Après elle était restée un peu discuter avec lui, comme elle le fait avec tous ses patients. Elle avait oublié l’heure, elle avait oublié que Jeff l’attendait pour aller dîner chez des amis. Demain, elle aura le temps de se reposer, pensait-elle.

Vendredi soir, 21 heures. Juliette avait enfin terminé de remplir tous ses dossiers patients. Elle avait consulté une dernière fois ses mails. Surprise, elle y avait trouvé un message du patient qu’elle venait de recevoir. Délicate attention, s'était-elle dit avant de le lire :

« Bonsoir, Je souhaitais tout d'abord vous remercier encore de m'avoir accepté/supporté/soigné sans véritablement de rendez-vous et à une heure quelque peu ennuyeuse. Excusez par avance cette question qui peut vous paraître indiscrète ou pour le moins saugrenue. L'adresse mail que vous m'avez communiquée est une adresse stricto sensu personnelle ? Consultable que par vous ou semi-professionnelle ? Merci. Patrick. »

Juliette s'était demandé si elle rêvait. Quelle drôle de question. Et puis « Patrick ». Même pas Monsieur Machin. On n’a pas gardé les vaches ensemble ! Encore un original. Bon il était temps de rentrer. Jeff doit faire les cent pas à la maison et les amis nous attendent. Il est trop tard pour acheter quelque chose, j’espère qu’il a pensé à sortir une bonne bouteille de vin à offrir.

Une semaine plus tard elle avait trouvé un bouquet de fleurs énorme devant la porte du cabinet, accompagné d’un message plutôt déroutant. C’était ce même patient qui l’invitait en vers à dîner avec lui. Paraphrasant Corneille, elle devenait sa Chimène :

« Pour contenter Chimène, et pour votre service

Que peut-on m’ordonner que mon bras n’accomplisse

Pour vous remercier veuillez jolie marquise

Accepter un dîner au jour de votre guise »

Elle avait lu le message, incrédule, et l’avait montré à Charline. Charline avait ri, il est fou. Il a quel âge ? Attends, on va regarder son dossier. Soixante-dix ans ! Tu ne les prends pas au berceau ! Il n’était pas venu depuis que tu t’étais dissociée de ta collègue pour créer ton nouveau cabinet, cela fait, attends, quatre ans, et il débarque comme ça un vendredi soir à pas d’heure pour ensuite t’inviter à dîner ? Il est vraiment bizarre. Tu dois le revoir ? Oui, avait répondu Juliette, il n’avait pas sa carte vitale avec lui, il doit revenir payer. Tu ne dois pas accepter, avait dit Charline. Bien sûr que non, je n’en ai aucune envie, il est bien trop vieux et pas très sympathique. Je ne comprends vraiment pas ce qui a pu lui laisser croire que je pourrais accepter.

Juliette était en colère. Le soir, elle avait répondu au premier mail par politesse pour les fleurs :

« Bonsoir, Tout d'abord merci pour ce très joli bouquet de fleurs, un peu surprenant mais des fleurs ça fait toujours plaisir; Concernant le déjeuner, j'ai bien pris acte de votre invitation mais ce ne sera pas possible. D'autre part pour répondre à votre mail, je m'excuse d'ailleurs d'avoir tardé à le faire, cette adresse mail est une adresse essentiellement professionnelle. Je vous souhaite une bonne soirée. »

Dès le lendemain elle recevait une réponse :

Bonjour, Vous imaginez bien que je ne voulais en aucun cas vous blesser ou que vous puissiez penser que je vous manquais de respect. Ces fleurs n'étaient que ce que j'avais envie de faire lorsque vous avez ouvert votre nouveau cabinet....malheureusement je n'ai pu étant à l'époque "Canadien".

Quant à "la Jolie Marquise", ceci reflète simplement ce que j'ai ressenti dès la première fois où je suis venu en catastrophe vous voir pour une "réparation" bénigne et qui n'a fait "qu'empirer" agréablement lors de mes autres visites y compris bien évidemment la dernière.
Ne m'en veuillez pas, surtout pas, il n'y a là que les yeux de "Chimin" (because of Chimène is a girl) et que vous avez un charme tel qu'il m'était impossible de ne pas vous écrire que ce que je pensais et ressentais.

Si, en tout bien tout honneur selon la formule consacrée, il est possible que vous acceptiez de déjeuner un jour, j'en serais fort honoré. Acceptez, Jolie Marquise, mes plus sincères, amicales et "Chimeneuses" pensées. Patrick

Juliette n’avait pas répondu cette fois.

En attendant, cela va faire un an qu’il est venu se faire soigner un vendredi soir à 19h30 et il n’a toujours pas payé sa consultation. Il avait donné une fausse adresse, les courriers de relance étaient tous revenus avec la mention « Inconnu à cette adresse ». Et les mails étaient restés lettres mortes...

***

Vendredi soir, 19h30. Qui a dit que le métier de dentiste était ennuyeux ? Juliette jette un œil dehors. Il a fait beau aujourd’hui. On dirait que le printemps arrive pour de bon. Le jour s’attarde un peu. Mais pas elle. Finalement, elle va rentrer tout de suite. Elle remplira ses dossiers lundi. Ce soir, elle a envie de profiter de son week-end. Et de la vie.

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