Le retour du vide

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Nouvelle tour. Au milieu du milieu ; de la pollution, des lumières, du bruit, des odeurs… des gens quoi !

Et qu’est-ce qu’il me reste ? Je ne vois même plus les étoiles. Celles qui furent mes seules amies lors de mes nuits de solitude dans mes tours passées sont désormais hors de ma vue. A leur place un ciel noir et lourd. Et les amas de lumières dans les fenêtres des autres tours font de piètres galaxies.

J’ai remplacé mes déserts de sable et d’eau par la foule de la mégapole. Comme les dunes, comme les vagues, les humains défilent, indifférenciables. Les flux et reflux ininterrompus me donnent, d’une certaine mesure, du vague à l’âme.

Souvent je repense à mes anciennes tours. Dunes et vagues : créatrices d’humilité. Impossible de voir ce qu’il y a en dessous, mais la surface, en mouvement constant, reste presque plane. Aplanissement des inégalités du sol. Dans la mégapole, tout est mis à nu, les différences exposées. Exploitées même.

Je me tourne vers celui qui partage mon lit cette nuit. Il s’éveille doucement.

« Je peux pisser dans le lavabo, demande-t-il. »

« Ah, tu veux te la jouer comme Belmondo dans A bout de souffle. »

« Dans quoi ? »

« Un film que j’ai vu il y a longtemps, dans je ne sais plus quelle tour. »

Ses yeux se brouillent alors que son cerveau accède à la base de données filmique universelle.

« Un film de Godard avec Belmondo et Jean Seberg. Tiens je ne pensais pas qu’ils faisaient des films sur les homos à l’époque. »

Je souris. Il avait prononcé le prénom de l’actrice américaine comme on prononce ‘jambon’. Comme quoi, quoi qu’en disent les populistes et autres amoureux du bon sens, avoir accès à toute la connaissance du monde ne donne pas accès à la compréhension de celui-ci.

Dans l’univers infini de la connerie humaine, la certitude de celui qui croit tout savoir est un trou noir super massif. Toute information qui s’en approche de trop près est happée par la gravité de la force de sa stupidité et disparait à jamais, enfermée par ses certitudes. Et plus on donne d’information à celui qui croit tout savoir, plus le trou noir de sa certitude grandit.

Il est théoriquement envisagé qu’un trou noir qui avale trop d’informations puisse se transformer en fontaine blanche : relâchant toute l’information accumulée en un immense jet de savoir. Mais en pratique on ne l’a encore jamais constaté.

Sous moi, au propre comme au figuré, c’est tellement sale ! Je ne vous fais pas un dessin. Ça se fricote à même le mur, ça se tapote dans les coins sombres, ça se piquote avec des seringues usagées. Pire qu’au port d’Amsterdam mon pote.

Mais la vie continue sans se préoccuper de ce que colportent les cloportes de la basse-ville. Dans les hautes-tours ça chuchote des vilénies, ça suçote pour son avancement, ça radote les mêmes phrases vides. Pire qu’à la City de Londres.

Les deux villes se tournent le dos, chacune campée sur ses pilotis pour mieux clouer l’autre au pilori. Les uns claquent des doigts tandis que les autres claquent des dents. Et tout le monde se claque la porte au nez.

On a perdu le vivre ensemble.

Il y a toujours des guerres, des combats, des morts, du sang et des larmes. Il y a toujours des héros, des courageux et des altruistes. Mais il n’y a plus de victoire. De tous côtés, que des défaites.

On dirait qu’on a même perdu le mourir ensemble.

La secte de l’huitre bleue continue ses délires dans son coin, cherche à rebattre les cartes du tarot en envoyant ses agents de fortune aux quatre vents. Ils se réunissent souvent pour essayer de foutre le feu aux villes avec leur rébellion. « Vous nous appartenez. Craignez la lumière, craignez le souffle des autres. Pour l’éternité. » Refrain unique, décliné sur tous les tempos ; toujours à contretemps.

C’est l’heure du combat. Tout le monde le sait mais personne ne sait où frapper en premier. Ou plutôt : chacun a son idée et personne ne veut l’abandonner. « Pas de compromission de ma vision » hurlent-ils. Tous bien droits, qu’ils soient dans leurs bottes, leurs mocassins ou leurs baskets.

Et moi ? Pas envie d’y réfléchir. Je ne suis qu’un guerrier cherchant à rester pertinent. Toujours à la recherche du temps tué, perdu ou retrouvé. J’en appelle aux sables ; qu’ils abrasent les rondeurs de ce monde dénué d’angles, de piques et d’écorchures. J’en appelle aux eaux ; qu’elles nettoient la pourriture et noient les certitudes. J’en appelle aux flammes, qu’elles éclairent le nouveau monde qui peine tant à naître. Et j’en appelle aux vents, aux quatre vents, qu’ils portent dunes, vagues et feus sur leur souffle et qu’ils tempêtent.

Que le maelstrom se forme, déforme ce monde et reforme une nouvelle ère. J’ai l’outil à disposition et il me chante de sonner le réveil de l’humanité, de nous sortir de l’apathie. Sans quoi nous disparaitrons tous dans le même vide…

Où les étoiles brillent.

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