L'éternel (fin)

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Elle avait mal. Froid aussi. Mais elle le méritait. Alors en silence elle se laissait mourir, taisant les larmes qui coulaient sur son visage dévasté.

Finalement c'était elle la lâche, qui refusait d'affronter ses actes.

C'était bien elle le monstre : ils avaient eu raison de la traiter ainsi.

Elle crispa sa mâchoire pour ne pas claquer des dents, comme un dernier hommage à sa famille. Comme une minute de silence pour ses proches qu'elle avait massacrés presque sans hésitation.

Mais la douleur ne diminuait pas. Elle se trouvait morcelée à l'intérieur. Le trou béant duquel jaillissait un flot de sang la brûlait. Et une multitude de fourmis traversait son corps. Pourtant, ce n'était rien comparé à la sensation qui lui oppressait la poitrine : elle aurait pu s'arracher le cœur à mains nues dans l'unique but de l'empêcher de se recroqueviller davantage et lui broyer le souffle.


Juste parce qu'elle n'avait pas trouvé le courage de glisser la lame sur sa gorge, elle avait gagné plusieurs minutes de sursis. Le coup qu'elle avait porté était trop bas : le sang coulait abondamment, mais pas encore assez, et elle s'étouffait avec une lenteur atroce. Les gargouillis dans sa gorge lorsqu'elle inspirait étaient insupportables.

On ne s'endort pas lors d'une hémorragie, c'est une connerie. Non, on se voit, on se sent partir, et tout du long l'agonie pitoyable de votre corps qui se débat vous enserre.

Elle pouvait presque voir la mort, mesquine, qui l'observait s'éteindre sur le carrelage, attendant patiemment qu'elle cède.

Mais elle tenait bon. A chaque inspiration elle s'étouffait un peu plus, à chaque instant elle se sentait plus mal. Et pourtant, elle se trouvait là, seule encore en vie au milieu des morts, à refuser de fermer les yeux. D'où lui venait cette soudaine envie de vivre, elle l'ignorait et s'en fichait.

Elle avait seize ans et toute la vie devant elle.

Elle ne voulait pas mourir. Rassemblant les forces qui lui restaient, elle remua la main, pour tenter de la presser sur sa gorge.

Le froid la paralysait. Elle n'était pas idiote, bien sûr elle avait conscience que ce n'était pas de bonne augure. Mais lorsqu'elle remarqua plusieurs personnes entrer dans la pièce, elle se dit avec espoir qu'ils allaient la sauver.

Ce fut la dernière pensée qui l'habita.


* * *


Je me réveille brusquement, le cauchemar hantant ma mémoire. Mon cœur bat la chamade.

Je me sens si mal. Des larmes, brûlantes, inondent mes joues, coulent dans mes oreilles et le long de ma gorge tandis que je me redresse.

Je gémis, plaintes peu audibles prenant soudain de l'ampleur, alors que j'exprime ma colère pour ce que je suis.

Quelle abomination. Pourquoi moi ? Pourquoi ça n'arrive pas qu'aux autres ? Ma souffrance est infinie, jamais je ne pourrai pardonner, ni même oublier de quoi je suis la responsable.

Puis je la remarque. Posée là, elle m'observe.

Souriants à l'objectif, ils sont quatre visages heureux qui contemplent ma détresse. Je sèche mes larmes en m'approchant.

L'image paraît si vieille. D'un côté elle l'est sûrement, cela doit faire plus de dix ans qu'elle est coincée sous cette vitre.


Je décide de retirer la photo de son cadre.

  • Tu ne crois pas que tu devrais passer à autre chose ?

Je me retourne dans un sursaut. Il est là, comme toujours il me semble. Jamais une journée il ne m'a laissée seule. Je ne peux au moins pas lui reprocher sa présence ni son soutien, si étrange soit-il.

  • C'est ma faute.
  • En effet. Mais qu'est-ce que ça change ? Pardonne-toi, après tout ce temps.
  • Je les aime tant tu sais.

Il me tend la main.

  • Ils sont morts. Ils ne reviendront pas. Fais-toi à cette idée.

Aujourd'hui il semble impatient, presque agressif. Mais à sa phrase un espoir me traverse. Bien sûr qu'ils peuvent revenir. Je détourne les yeux.


Je saisis une autre image, identique, sur la pile qui jamais ne s'épuise.

  • J'ai le droit à une seconde chance.

Son bras lourdement retombe le long de son corps. Il tourne les talons, comme ça, si vite et sans rien ajouter. Mais déjà je ne prête plus attention à son départ. Ils sont à portée de main.

Je replace la photo dans son cadre. Couleurs fraîches, papier neuf.

Nos visages, plus étincelants que jamais.

Et tandis qu'il quitte la pièce, je les rejoins.

* * *


Les choix étaient une chose à laquelle il ne comprenait rien. Cela leur semblait toujours si compliqué, mais pourquoi décider, de leur propre chef, que la souffrance est préférable à la liberté ?

Il arriva rapidement à une autre porte. Il l'entrouvrit, mais n'entra pas : c'était inutile. De là où il se trouvait il pouvait sans mal constater que Candice n'était pas prête de choisir sa liberté elle non plus, rongée par son propre mal. À l'infini elle montait ses parents contre sa sœur, car la sensation d'être la plus aimée lui procurait un immense bien-être. À l'infini elle en tirait un plaisir malsain. À l'infini elle le regrettait, mais trop tard. À l'infini elle revivait son meurtre.

Il se détourna.

Lui n'était jamais responsable de rien, tous s'infligeaient cela par eux-mêmes.

Un sourire cruel put enfin prendre place sur son visage. S'il avait parfois de la compassion pour elles, le spectacle d'âmes torturées restait son plat favori.


FIN

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