Maudit hôtel.

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Assis sur le lit, il se frottait machinalement la tête, les cheveux pleins d'épis, le regard encore ensommeillé sous des paupières gonflées de fatigue. Le manque de sommeil commençait à le tirer lentement vers le bas, et s'il avait eu un miroir sous la main, il aurait eu la possibilité d'admirer les cernes violacés qui ornaient ses yeux bleu clair.

Mais l'Hôtel ne contenait pas de miroir.

Il le savait.

La première semaine, il avait cherché des heures entières après s'être cru devenir fou sans pouvoir se regarder dans une glace.

Il avait eu un besoin tout humain de se rasséréner en contemplant son propre reflet.

De s'assurer qu'il existait bel et bien.

Puis deux semaines s'étaient écoulées. Peut-être un mois entier.

Il avait commencé à oublier de consulter sa montre.

L'alternance du jour et de la nuit n'avait pas d'existence dans l'Hôtel. Il n'y avait qu'une nuit profonde, sans lune, sans étoiles, comme si un oeil géant était plaqué contre les fenêtres et ne laissait apparaître que sa pupille sans fond.

Le drap mince était étrangement rejeté sur ses jambes.

Il faisait si froid dans l'Hôtel que jamais, même dans le peu de sommeil qu'il lui arrivait de grappiller, il ne se laisserait à abandonner son précieux drap.

Il ne s'en formalisa pas.

Pas sur l'instant.

Encore aux prises avec le sommeil et à ce réveil précoce.

L'horloge biologique de son corps lui indiquait avec une urgence qui le glaça sur-le-dechamp, jusqu'aux os, qu'il était encore bien trop tôt.

Puis, il l'entendit.

Très distinctement.

Ce qui l'avait réveillé.

Le son lugubre d'une poignée de porte que l'on cherchait activement à ouvrir.

Tac, tac, tac, tac.

Ce son métallique.

Qui avait presque une conscience et une vie propre dans ce maudit hôtel.

Il avait à peine remarqué qu'il s'était tourné vers la porte, les pieds figés à quelques centimètres au dessus du parquet qui gondolait sous l'humidité ambiante.

Il ne se souvenait plus quand avait commencé ses absences, mais elles étaient si récurrentes qu'il ne s'en inquiétait plus depuis longtemps.

Il regardait droit devant lui, les yeux écarquillés.

L'horreur au fond de ses prunelles.

Un noeud serré et douloureux se forma tout au fond de sa gorge, l'empêchant de déglutir correctement.

Ce n'était pas la poignée de sa porte qu'on actionnait avec violence.

Mais celle de la chambre de son amie.

Il l'avait preque oubliée, reléguée dans les profondeurs de son esprit bouleversé par cette situation inextricable.

" Elisa. "

Son prénom. Il lui était revenu en mémoire comme un chuchotis, très fort, assourdissant dans ce silence dans lequel il évoluait depuis trop longtemps maintenant.

Il se surprit à sursauter à la prononciation de ce prénom oublié, à sa propre voix intérieure qui s'était fortement exprimée.

Et comme si quelqu'un ou quelque chose avait appuyé sur un interrupteur, tout lui revint en bribes de flashs en noir et blanc, aveuglants et destructeurs.

Ils étaient venus passés un week-end dans un hôtel réputé pour être occupé par des esprits. À peine s'étaient-ils appropriés les lieux que les choses avaient dégénéré.

Il reprit pied avec la réalité, les mains enfoncées avec la folie du désespoir dans ses cheveux désordonnés comme une camisole de force protectrice.

Mais la mémoire a sa propre volontée. Elle agit à sa guise.

Les réminiscences revinrent de plus belle.

Il était maintenant seul dans ces flashs de plus en plus succincts.

L'Hôtel était devenu labyrinthique, un dédale de couloirs sans aucune frontière, sans aucune limite. Qu'est-ce qui était réel, qu'est-ce qui ne l'était pas ?

Tout paraissait comme une hallucination.

Impossible de mettre du sens sur ce qu'il voyait.

Tac, tac, tac, tac.

À nouveau ce son glaçant.

Il vit parfaitement ses doigts tremblants et ses ongles rongés jusqu'au sang au dessus de la poignée de sa porte, ses rétines s'étant adaptées à la noirceur de l'Hôtel. Il avait les pieds dans des gâteaux secs en décomposition avancée. Une boite de médicaments gisait à ses pieds, vidée de son contenu. ETIFOXINE indiquait l'étiquette d'un blanc médical.

Il s'était levé du lit et avait marché sur le parquet enflé et froid, gorgé d'eau, sans en avoir le moindre souvenir.

Encore une absence.

Il ouvrit lentement la porte qui grinça sur ses gonds en un long couinement qui retentit jusqu'au plus loin dans l'Hôtel, se répercutant contre ses murs crépis.

Face à sa chambre, la poignée de la porte de son amie continuait à s'actionner avec urgence.

Il frissonna et en vint à trembler si fort que ses membres s'engourdirent et ne répondirent plus.

Le numéro 666 était à moitié effacé par la rouille qui bouffait l'Hôtel jusqu'à la moelle. Sa plaque ovale penchait très lentement de sa propre volonté.

Ses pupilles se dilatèrent soudainement.

La porte 666 s'ouvrait à la volée.

Une jeune femme, échevelée, aux longues et épaisses boucles rousses, sortit comme un beau diable de la chambre 666.

Elle se rua sur lui, ses yeux enfoncés dans ses orbites brillaient d'une folle inquiétude contagieuse.

Elle s'accrocha désespèrement à ses mains couvertes de tatouages, enfonçant ses ongles sales dans sa peau.

- Andy... Andy... ! Andy, c'est bien toi ? Andy, pourquoi m'as tu tuée ?...

Ce fut alors qu'il observait avec toute l'horreur qui l'incombait son teint pâle et sa silhouette éthérée, fantômatique, qu'il se rendit compte du sang séché qui maculait ses propres mains.

Il ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit.

L'hôtel n'avait jamais été hanté.

Devenu fou par l'ingestion de son traitement d'anxiolytique, il se revoyait lever un chandelier et frapper à mort son amie dans la chambre 666, avant d'errer lui-même comme une âme en peine dans un hôtel abandonné.


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