[PARTIE ???]Concrétisation Syriana-Serymar 1

12 minutes de lecture

Syriana ne vit pas le Mage de la journée, comme s’il s’était volatilisé ou… l’évitait. Son cœur se serra à cette idée. Sa présence lui était devenue familière, surtout depuis cette altercation dans la taverne, lorsqu’il avait décidé de lui tendre la main en l’implorant de manière silencieuse de la prendre. Pour la première fois, il n’avait pas frissonné quand elle s’était permise de l’embrasser sur la joue cette nuit.

Syriana effleura son poignet. Elle ressentait encore les doigts de Serymar enroulés dessus pour la retenir. Aurait-elle dû rester ? Elle n’avait pas osé. Elle connaissait son malaise sur la proximité. Se faire découvrir dans cet état avait dû lui être difficile. Pourtant, il l’avait remerciée d’être intervenue, malgré sa surprise.

Les heures défilèrent. Syriana s’impatientait. Elle se rendit compte qu’en réalité, elle l’attendait. Ces derniers jours passés avec lui, elle était toujours dans l’attente de son retour. Depuis quand s’était-elle autant attachée à Serymar ?

« Peut-être… peut-être que… que je l’ai sauvé parce que je comprenais ? »

Syriana se crispa. Toute cette culpabilité qu’elle avait ressentie à l’égard du Mage… elle s’était convaincue qu’elle ne l’avait sauvé que pour lui exiger de partager ce toit sinistre. Qu’il lui offrirait la meilleure des protections une fois rétabli. La jeune femme comprit qu’une raison plus profonde l’avait animée : elle s’était sentie révoltée que l’on puisse traiter qui que ce soit de cette manière. Sa souffrance et son désespoir lui avaient fait écho.

« Je t’en prie, apparais. »

Seul le silence lui répondit. Syriana se sentit mal.

« Je t’en prie… aie confiance en moi. Je te vois autrement que toi ! »

Elle se souvint de la gêne inscrit sur ses traits, lorsqu’elle l’avait aidé à interrompre la perte de ses pouvoirs. Il s’était senti honteux, de l’avoir étranglée dans un geste incontrôlé. D’avoir été vu dans cet état de faiblesse avec ses effroyables cicatrices, hébété et à moitié nu sur le lit au milieu de cette chambre ravagée par ses pouvoirs. De l’avoir mise en danger de mort malgré-lui. Ses excuses répétées résonnèrent dans la mémoire de Syriana. Pour la première fois depuis leur rencontre, elle l’avait découvert sans ses façades. La jeune femme se rendait compte qu’elle l’avait reconnu en lui ce qu’elle avait déjà deviné lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Cette personne-là, elle désirait la retrouver.

« Où es-tu ? »

Le début d’après-midi s’annonçait. Syriana ne tint plus. Elle devait savoir. Elle devait mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes. Au moment où elle repoussa sa chaise, un morceau de papier vola dans son sillage. Surprise, Syriana s’en saisit et fut surprise de ce qu’elle lut.

« Merci pour cette nuit. »

Ses muscles se détendirent. Les raisons de sa distance n’étaient donc pas une question de malaise. Mais Syriana se sentit d’autant plus torturée par son impatience. Pourquoi ne venait-il pas la voir pour lui dire la même chose ?

Syriana parcourut tout le château, étage par étage, pièce par pièce. Sa frustration grandissait à mesure qu’elle cherchait sans jamais le trouver.

Au moment où elle allait laisser sa frustration s’exprimer, enfin, elle ressentit sa présence, aussi écrasante que les autres fois. Syriana sentit son cœur bondir et se tourna vivement vers lui.

Lui. À plusieurs pas d’elle, adossé avec nonchalance contre le mur, les bras croisés et le regard dans le vide sans la voir.

Elle le rejoignit. Il ne bougea pas. Sa soudaine apparition devait signifier qu’il voulait bien qu’elle vienne à lui. Armée de cette pensée, Syriana s’approcha davantage jusqu’à se retrouver à sa hauteur. Elle hésita. Que devait-elle faire ? Elle redoutait de commettre un geste qui pourrait le pousser à disparaître encore.

  • Je… bredouilla-t-elle. Je suis heureuse de te…
  • Apprends-moi, la coupa-t-il.

Alors qu’elle allait lui exprimer son soulagement de le voir en meilleur état que la nuit dernière, Syriana se figea de surprise.

  • Pardon ?
  • Tu as très bien entendu.
  • Je suis vraiment désolée, mais je ne vois pas où tu veux en venir.

Serymar releva enfin les yeux vers elle, une lueur étonnée dans le regard.

  • Depuis quand tu me…
  • Je me suis décidée pour le tutoiement depuis ce qui s’est passé à la taverne, le renseigna Syriana. Cela commence à faire un petit moment que nous vivons en commun. Mais peut-être que je fais erreur ? Si ça dérange, je peux très bien…
  • Non ! Non. Cela ne me dérange pas.

Syriana nota la rapidité avec laquelle il avait réagi à sa réponse, comme s’il redoutait cette distance. Un sentiment d’apaisement l’envahit à cette idée et elle afficha un léger sourire.

  • Très bien, le rassura-t-elle.

Un silence s’installa. Serymar tentait de dissimuler sa gêne. Comme s’il souhaitait dire quelque chose, mais sans trouver les mots pour le faire. Syriana l’aida.

  • J’aimerai avoir une réponse à ma question. Que veux-tu que je t’apprenne ?
  • À ce qui paraît, « j’en exprime bien plus que ce que je pense », pour reprendre tes termes. Ton don de clairvoyance a-t-il subitement disparu, ou cherche-tu à me malmener ?

Syriana ne cilla pas à la légère tonalité menaçante qu’elle percevait. Serymar lui donnait l’impression d’être un animal sauvage si malmené par la vie qu’il redoutait d’effectuer le moindre pas vers l’extérieur. Elle tint donc sa posture, comme pour lui faire comprendre qu’elle ne comptait pas l’humilier. Bien au contraire. Les mots qu’elle lui avait prononcé avant de le quitter la veille avaient été sincères.

  • Je n’ai aucun don particulier, lui rappela-t-elle tout d’abord. J’ai seulement l’habitude d’observer, et avant d’être prisonnière, il m’arrivait d’aider des personnes en détresse. Mais parfois, je n’y parviens pas. Un livre ouvert se ferme et demeure illisible, de temps à autre. Alors que veux-tu que je t’apprenne ?
  • J’en ignore le nom, Syriana. Je ne supporte pas de ne pas comprendre. L’ignorance est une faille dangereuse que je tiens à combler.

La jeune femme le fixa droit dans les yeux.

  • Alors décris-moi ce que tu cherches à savoir.

Il la sonda un long moment, comme pour s’assurer qu’elle ne changerait pas d’attitude à son égard, comme s’il cherchait une garantie sur ce qu’elle lui avait dit la nuit dernière.

« Lis dans mes pensées si tu le souhaites, tu verras que je n’ai pas menti. Parle-moi, je t’en prie. Viens à moi. »

Elle se doutait à quel point ce moment lui était difficile. Pour lui parler de ce qui le rendait si confus, il devait prendre le risque de lui faire confiance. Syriana était consciente qu’il se sentirait blessé si elle le décevait. Elle plongea son regard dans le sien.

« Je t’en prie, parle-moi. Dis-moi que tu penses la même chose… ne t’évanouis pas dans les airs encore, je ne le supporterai pas. Parle-moi. »

Il lâcha un léger soupir en détournant son regard. Syriana vit avec inquiétude la mâchoire de Serymar se crisper et une vague de colère et de déception l’envahir.

  • J’ai tout fait pour devenir l’inverse de ces ordures qui m’ont élevé. Pourtant, quand je suis avec toi, je me sens… désorienté. Immonde.

Ces derniers mots frappèrent Syriana avec violence. Comment pouvait-on avoir autant de dégoût envers soi-même ?

  • Cette fois-là, à la taverne, reprit-il, crispé. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Quand tu as décidé de me suivre, je me suis senti… satisfait. Quand cet homme t’a insultée devant moi, je… ça m’a mis en colère. Je voulais qu’il souffre autant que ce que nous avions souffert d’avoir été le jouet des autres. Voir plus. J’ai beau prendre du recul, le fait est que je ne regrette pas de l’avoir mutilé à vif. J’ai beau me dire que je n’aurais pas dû aller aussi loin, le fait est que je n’en ressens que de la satisfaction pure. Et enfin, quand je t’ai tendu la main… Je voulais que tu viennes à moi, je me suis mis à désirer ce simple geste de ta part comme un pur égoïste, et le pire, c’est que je n’en ai éprouvé aucun remords.

Syriana commençait à comprendre ce qui le tourmentait.

  • Ecoute-moi, lui demanda-t-elle. Ne t’en va pas, s’il te plaît. Tout va bien.

Un silence s’abattit entre eux. Dans sa peur de le voir disparaître, Syriana décida de reprendre la parole.

  • Tu n’es pas comme eux. Tu es même tout le contraire.

Elle vit bien qu’il n’était pas convaincu. Syriana lutta contre son envie de lui prendre la main.

  • Tu n’es pas comme eux, reprit-elle plus doucement. Vraiment. Si tu l’étais, tu ne te serais pas pris la peine de m’en faire la demande, même en silence. Tu m’aurais prise sans chercher à comprendre. Chaque fois… à chacune de nos altercations, tu aurais pu me tuer. Le fait que tu m’aies dit que nos altercations n’étaient pas une raison valable de le faire en dit déjà long. Si tu étais comme eux, tu ne te serais pas embarrassé de cette excuse. Tu n’aurais pas non-plus défendu mon honneur face à ces malfrats.

Serymar lui offrit une expression surprise.

  • Tu étais effrayée. Tu me regardais avec crainte comme tant d’autres avant toi.
  • Qui ne pourrait pas l’être, devant une telle démonstration de force ? Je suis humaine, rappela Syriana. Mais je sais… je sais ce que tu as ressenti à ce moment-là. Cela allait bien au-delà de la colère.
  • Pourquoi as-tu décidé de rester auprès de moi ?

Syriana plongea son regard dans le sien.

  • Parce que je te vois. Je te vois tel que tu es vraiment derrière ces masques que tu arbores. Et je n’en ai pas peur.

Chaque fois qu’il l’avait effrayée pour la pousser à partir, elle était restée. Il s’était comporté en monstre plusieurs fois, mais Syriana ne s’était jamais enfuie. Elle lui avait fait face. Car elle se doutait depuis longtemps pourquoi il était ainsi.

Serymar sembla en prendre conscience. Il resta silencieux, mal à l’aise et perdu. Il détourna le regard.

  • J’ai beau me débattre, je vois bien que je suis comme ces pourritures.
  • Qu… quoi ? s’étonna Syriana, abasourdie.

Il la fixa avec colère.

  • Quand je te vois, j’ai cette égoïste envie que tu restes. Je ressens une immonde envie de te posséder, que tu sois mienne. Mais je me refuse d’être comme eux. Je ne veux pas te traiter comme ils l’ont fait avec moi. Tu ferais mieux de partir, pour ton propre bien.

Frappée par de telles paroles, Syriana sentit ses yeux s’embuer. Serymar s’enferma aussitôt derrière une façade de glace.

  • Voilà. C’est bien ce que je pensais. Tu as cru voir quelqu’un, et je dois admettre que j’aimais. Mais de ce que je constate, ce n’était qu’une illusion, encore. Tu vois le monstre que je suis.
  • Il faut vraiment ne jamais avoir connu une once d’amour pour ne pas être capable de mettre un nom sur ses sentiments et de se sentir semblable à ses bourreaux parce que tu ne sais même pas faire la différence ! s’insurgea Syriana avec virulence. C’est ça qui me rend malheureuse !

Elle plongea aussitôt ses yeux dans les siens et se rapprocha ostensiblement de lui. Il se raidit. Elle perçut à nouveau son odeur de cendre et de pin.

  • Si tu étais comme eux, tu ne te serais pas embarrassé de scrupules. Tu ne serais pas là à chercher des réponses, à savoir si tu peux réellement te fier à moi ! Tu m’aurais laissée croupir dans cette galerie ! Tu m’aurais laissée en pâture au milieu de ces rebuts à la taverne !

Syriana inspira et cette fois, posa une main sur son bras. Elle le sentit se crisper à son contact.

  • Je t’en prie… ne confonds pas les deux. Ça n’a… ça n’a rien avoir. Sors de ce cercle de haine auquel tu t’accroches par peur de te perdre… cela te fait souffrir, et tu le sais.
  • Comment puis-je te faire confiance ? Qu’est-ce qui me garantit que…

Syriana se rapprocha encore et planta ses yeux dans les siens. Elle le sentit se raidir à son contact, elle le vit la défier de rester ainsi, mais une fois encore, elle ignora sa menace. Ils étaient si proches qu’elle sentit leurs souffles se mêler, son odeur se faire plus présente. Il était si nerveux que Syriana eut l’impression de sentir son cœur battre contre elle. Il osait à peine respirer. Elle se jura de le guider sur ce chemin qui le tentait mais qu’il n’osait prendre. Elle ne voulait plus qu’il disparaisse. Elle voulait le tirer du gouffre dans lequel il était. Lui montrer qu’un autre avenir lui était possible. Lui prouver qu’il avait sa place. Son regard glissa vers les lèvres pâles de l’hybride.

Syriana se hissa soudain sur la pointe des pieds et scella ses lèvres sur les siennes.

Elles étaient glacées. Alors qu’elle perçait sa barrière, elle le sentait figé, comme sous l’emprise d’un sortilège. La désolation s’empara de Syriana à ce constat. Même si elle lui montrait son désir, il ignorait tout, il craignait de la toucher, de faire le moindre geste par peur d’être comparable à ses bourreaux. Il redoutait de lui infliger ce qu’il avait lui-même subi, au point de ne pas oser répondre à son baiser. Elle le sentait souffrir et se torturer à cette idée.

Elle voulait pourtant qu’il la prenne. Elle le voulait, lui, le monstre que tout le monde voulait abattre. L’homme qu’on lui avait demandée d’achever.

Dans une tentative désespérée de lui montrer à quel point il se trompait sur son propre compte, elle se dégagea pour le fixer, les mains posées sur lui.

  • J’ai eu peur dans cette taverne, oui. Mais pas de toi. J’ai été terrifiée à l’idée que tu m’abandonnes au milieu de ces monstres. C’est ça qui m’a effrayée. Mais tu m’as tendue la main. Te voir là, dominant tous ces gens sans ciller, sans craindre d’aller jusqu’au bout de tes actes, redouté au milieu de tous… oui, j’ai été impressionnée. J’aime ta différence. J’admire ton sang-froid. J’aime ta franchise. Ta manière d’appréhender le monde me fascine. J’aime être celle qui te voit tel que tu es derrière tes masques. À tes côtés, je me sens forte, capable de choses que je n’aurais jamais imaginées.

D’un doigt, Syriana longea le bras droit de Serymar.

  • J’aime tes blessures. Elles sont pour moi le symbole de ta force, celle qui te permet de toujours t’en sortir quoi qu’il arrive. Tu es de ceux qui avancent, envers et contre tout.

Elle prit sa main dans la sienne.

  • Je te désire. Toi seul est digne de moi.

À peine prononça-t-elle le dernier mot qu’il saisit soudain son visage pour l’embrasser, cette fois sans retenue. Elle le laissa pénétrer la barrière de ses lèvres alors que sa respiration s’accélérait. Son geste était à la fois doux et sauvage, tel le torrent qu’il avait contenu. Syriana l’accueillit pleinement, heureuse et fière d’être parvenue à faire céder le barrage. Elle lui rendit son baiser, un long frisson de plaisir longeant sa colonne vertébrale.

Euphorique, elle porta les mains sur sa tunique sombre pour l’écarter. Il lui saisit les poignets.

  • Je ne te savais pas si… entreprenante.

Syriana se mit à rire et colla son front au sien.

  • La façon dont tu cherches tes mots m’amuse. Mais tu n’as pas besoin de porter de masque avec moi. C’est toi que je cherche. Pas tes façades. Comment te sens-tu ?
  • Déboussolé.
  • C’est parce que tu réfléchis trop à tout et tout le temps sans répit, lui sourit Syriana. Ce doit être épuisant, à force. Et si tu arrêtais un peu ?
  • Comment ?

Syriana étira un large sourire enjôleur, amusée qu’il n’ait pas saisi son sous-entendu. Elle se retint de rire lorsqu’elle le vit comprendre après coup.

Elle se lova dos contre lui en l’obligeant à l’entourer de son bras et renversa sa tête contre son épaule, humant son odeur et posant ses lèvres derrière le lobe de son oreille. Elle le sentit frissonner, mais sembla comprendre son message silencieux. Le sol se déroba à leurs pieds, les murs fondirent, alors qu’il les téléportait dans sa propre chambre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0