La momie disparue

8 minutes de lecture

Extraits des mémoires de Viktor Stocker

Cela va faire près dix ans que j'ai pris ma retraite. Tandis que le pays se construit et se remet de cette tragédie qu'était le nazisme, j'entamais pour ma part une rétrospective de ma carrière au sein de la police autrichienne. Bien que j'ai joué à plusieurs reprises un rôle déterminant dans la lutte contre le banditisme ou dans la résistance, il y a tout de même une affaire qui m'a, en quelque sorte, transmuté. Oui, je dis bien transmuté car j'ai eu le sentiment qu'une chose s'est métamorphosée au plus profond de moi, me permettant d'accéder à une nouvelle vision des choses et du monde.

Ces événements m'ont tellement marqué dans ma carrière d'inspecteur que je me souviens très exactement de la date et des lieux où ils se sont déroulés : durant la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1900, au c?ur de Prague, la capitale magique de la Bohême. En ce temps-là, la ville dorée n'était pas la capitale de l'actuelle république communiste tchécoslovaque, mais l'un des joyaux de l'empire austro-hongrois, gouverné par la puissante dynastie des Habsbourg. Originaire d'un village dans les Alpes autrichiennes, j'aspirais dés mon plus jeune âge à devenir agent de policier, ébloui que j'étais par la majesté et beauté des uniformes de la gendarmerie impériale et royale. Commençant comme gendarme au sein de ma région d'origine, je gravis rapidement les échelons à l'aide de mes méthodes d’intervention et d'interrogatoire très efficace, que cela soit pour les délits de moindre ampleur ou les réunions d’activistes voulant renverser la monarchie. Abandonnant ma famille, paysanne depuis des générations, je fus ainsi muter à Prague avec le poste d'inspecteur de police. Cette ville était d'autant plus fascinante et magique pour un homme des campagnes comme moi car elle se révélait riche d'Histoire, d'architecture et de légendes. Je ne prêtais cependant guère attention à ces dernières, car mon métier avait développé en moi un rationalisme cartésien nécessaire à la traque des criminels ou autres malfaiteurs dans les quartiers sales et mal famés de la ville dorée. Jusqu'au jour où, j'ai eu affaire à des choses que je tenais pour chimériques et issues des calembredaines de populations superstitieuses et analphabètes.

Cette veille de la Toussaint de 1900, j'étais chargé de veiller à la sécurité du bal organisé par sa majesté François-Joseph dans son immense château dominant la Vieille Ville depuis la colline de Hradčany. Pendant que tous les préparatifs étaient mis en place pour cette fête réunissant la fine fleur de l'aristocratie austro-hongroise, j'ai dû débuter une enquête pour le moins singulière dans la section tchèque de l'université Charles Ferdinand. Interrogeant l'un des professeurs dans la salle de réunion, ce dernier avait à contre c?ur accepté de me parler en allemand, étant un représentant de l'autorité impériale et royale des Habsbourg d'Autriche. Voici ce que donnait cette entrevue que j'ai pu reconstituer en grande partie à partir des mes vieilles notes précieusement conservées :

—Pourriez-vous donc me dire ce que vous faisiez dans hier soir, au moment du vol de ce cadavre, lui demandais-je.

—Sachez en premier lieu que ce que vous appelez un cadavre est en fait une momie de femme égyptienne datant probablement de l'Ancien Empire, répondit-il sur un ton méprisant à mon égard comme si j'étais le dernier des ignorants.

—Votre emploi du temps d'hier soir, professeur, insistais-je faisant fi de ne pas avoir entendu sa remarque académique.

—Eh bien, soit ! Je suis resté jusqu'à dix-huit heures dans mon auditoire où je donnais mon dernier cours de la journée. Je suis ensuite retourné dans la réserve précieuse afin de remettre à leurs places les deux vases canopes utilisés pour mon exposé sur les rites funéraires de l’Égypte hellénistique. Après cela, je suis sorti de l'université pour prendre l'omnibus me ramenant vers chez moi dans le quartier Josefov aux environs de vingt heures.

—Et pour accéder à cette réserve précieuse, avez-vous des clefs en votre possession et aller et venir quand bon vous semble ?

—Non et non, inspecteur Stocker ! On peut y avoir accès qu'après avoir demandé au concierge qui vous accompagne à chaque fois pour vous aider à trouver ce dont on a besoin pour nos exposés ou études...

—Ce même concierge qui, d'après mes subordonnés, vous a directement appelé ce matin pour vous signaler la disparition de cette... momie.

—Effectivement, je me suis par la suite empressé de vous appeler pour signaler cette disparition à mon tour.
—Donc, il n'y a que vous et le concierge qui avez eu accès à la réserve précieuse hier soir !

—C'est vrai mais il est tout aussi possible qu'un autre de mes collègues ait eu pu y entrer après moi ! Vous savez, plusieurs de nos chercheurs travaillent souvent jusque tard dans la nuit !

—C'est possible. Cependant, nous avons déjà interrogé le concierge et il m'a confirmé que personne d'autre après vous n'êtes venu à l'université avant qu'il n'en ouvre les portes. Du moins, ne l'a-t-il pas remarqué !

—Écoutez, inspecteur ! Ce n'est guère à mon âge que je ferais des expéditions nocturnes pour emporter avec moi une momie dont j'ai uniquement besoin pour mes exposés à titre universitaire !

—Certes... Cependant, qui me dit que vous ne souhaitez pas l'utiliser à d'autres fins qu'académiques ? Car pour des cadavres d'une telle époque, des collectionneurs sont prêts à donner des fortunes revendus aux enchères !

—C'est de la pure calomnie, inspecteur Stocker ! Je respecte trop le patrimoine de l'Histoire de l'Humanité pour le revendre à des collectionneurs qui ne l'exposent que pour se donner belle allure et qui ne font rien pour les entretenir convenablement ! Et surtout, le sarcophage aurait dû lui aussi avoir disparu étant donné qu'il est artistiquement plus abouti qu'un cadavre recouvert de bandelettes brunis par les siècles !

—Vous vous enveloppez dans un drap de respectabilité scientifique, mais derrière les apparences peut se cacher un comportement vil et sournois ! Comme tout bon Juif qui se respecte, vous trouvez toujours le bon filon pour vous enrichir au détriment d'autrui ! Et qui sait si vous ne complotez pas quelque chose dans votre cimetière...

—Inspecteur, je ne vous le permets pas ! Sachez que je suis Tchèque avant d'être un descendant du peuple d'Abraham, s'insurgea le professeur en se levant de son siège et me pointant du doigt.

J'aillais me lever à mon tour, quand un policier entra dans la salle évitant ainsi que cela ne dérape en injure et que je n'abuse de mon pouvoir pour l'arrêter sous prétexte d'atteinte à un membre des forces de l'ordre.

—Inspecteur, disait le jeune policier au garde-à-vous, nous n'attendons plus que vous au château !

—Vous avez de la chance que mon devoir à l'égard de la couronne m'appelle, dis-je au professeur, mais sachez que nous n'en avons pas fini avec cette affaire de momie !

Sur ces paroles, je rejoignis mon subordonné et quitta la pièce sans dire au revoir au savant qui me regardait avec une haine mêlée de mépris qu'exprimait ses yeux derrière ses petites lunettes rondes. Après les révélations faites lors du procès de Nuremberg, mon attitude à l'égard de cet universitaire m'aurait valu d'être accusé de collaboration avec les nazis. Cependant, à cette époque il était des plus normal pour un citoyen comme moi, quel que soit son orientation philosophique, de nourrir à l'égard des Juifs une image négative nourrie par des siècles d'antisémitisme. Il était même courant d'entendre des grands hommes haut placés tenir ce genre de propos à l'égard des Juifs dans les journaux ou en tribune, dont celui qui m'a le plus marqué n'est autre que Karl Lueger, le maire de Vienne de l'époque. J'admets que moi-même j'avais développé une certaine attitude de répulsion vis-à-vis de la communauté juive mais sans aucune volonté de tous les tuer.

Tandis que l'on me conduisait à travers les rues de la Vieille Ville vers le château, je récapitulais tous les éléments que j'ai déjà à disposition dans cette enquête mise pour la soirée en veille. Il y avait donc dans la réserve précieuse de l'université un sarcophage contenant une momie de femme de plus de quatre milles ans. Il y était préservé depuis plusieurs années, acquis par l'université suite à la donation d'un riche bourgeois qui prétendait l'avoir retrouvé dans les ruines d'une vieille cave situé au coeur quartier juif. Les universitaires n'arrivaient cependant toujours pas à expliquer comment un cercueil, provenant d'une civilisation millénaire centrée sur le Nil, avait pu se retrouver au coeur de la Bohême. Rien ne permettait d'éclaircir ce point d'autant plus que la maison dans laquelle on l'avait trouvé appartenait il y a plusieurs siècles au rabbin Isaac Leow. On pouvait ainsi supposer que le fait d'avoir en sa possession un sarcophage imposant et richement illustré avait alimenté la légende du golem, ce monstre d'argile auquel le rabbin a donné vie à l'aide de la magie cabalistique pour protéger la communauté juive de Prague. Bien conservé et en partie restauré par le département d'égyptologie de l'université, le sarcophage a ainsi été étudié sous tous ses angles et servi aux professeurs pour enseigner l'histoire égyptienne à leurs étudiants. Seul le concierge avait accès à la réserve précieuse car il en possédait les clefs et donnait souvent l'accès aux membres du personnel universitaire. Il garde systématiquement les clefs sur lui et entre régulièrement dans cet entrepôt afin de veiller au bon état des pièces de collections datant de plusieurs époques. Ainsi, quelle ne fut pas sa surprise lorsque ce matin, il s'aperçut lors de son inspection que le couvercle du sarcophage était soulevé et posé sur le côté et que la momie avait tout simplement disparue. Après que la police ait été alertée, le seul indice que nous avons pu trouvé était juste un morceau de bandelette qui s'était coincé sous la porte de la réserve précieuse. Je pouvais déjà en déduire que le ou les voleurs étaient sortis avec la momie par la porte d'entrée qu'ils avaient pu ouvrir à l'aide d'un passe-partout, leur permettant d'entrer et de sortir quand bon leur semblait. Cependant, le concierge et les quelques membres du personnel encore présent la nuit me confirmèrent qu'ils n'avaient vu personne d'autres se promener dans les couloirs de l'université. Face à toutes les hypothèses que je pouvais imaginer, il y en a bien une qui m'était venu à l'esprit mais que je considérais d'office comme absurde étant donné le rationalisme dont je faisais preuve dans mon métier. Et si, après un sommeil de plusieurs siècles, la momie s'était réveillée par je ne sais quel miracle et qu'elle a pu soulever le lourd couvercle de son sarcophage et sortir de la réserve par un quelconque tour de magie...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Stefen Rabben ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0