Chapitre 51 : L'art de foutre la merde - Partie I.

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Des nuages gris dansaient au-dessus de Saint-Clair, traversés par la lumière, comme si les cieux manifestaient leur présence.

Irina, la jeune fille à la chevelure noire de jais, fixait l’école de ses billes sombres en gardant ses distances depuis le grand portail noir. Il y faisait calme pour un début d’après-midi.

Après l’avoir contemplé longuement, elle se fit une raison : ce n’était pas maintenant qu’elle y rentrerait. Encore quelques mois de cursus, les vacances d’été, et elle se mêlerait aux autres riches étudiants. L’impatience la guettant, elle décida de fermer les yeux sur le magnifique bâtiment et fit demi-tour pour rentrer en transport en commun.

Sur son chemin, le long de la muraille qui entourait l’école, elle s’arrêta sur un garçon qui se rendait d’où elle venait.

Il était vêtu d’un simple uniforme composé d’un polo bleu marine, et d’un pantalon de la mêle couleur. Une simple chemise résidait en dessous, dont le col était défait. Il devait avoir froid, sans veste, sans écharpe, sans gant pour protéger sa main qui devenait violette et qui tenait une malle en cuir brun à bout de bras.

Lorsqu’ils passèrent l’un à côté de l’autre, le vent cassant souleva les mèches brunes et blondes du garçon qui couvrait la moitié de son visage. Il révéla des pansements, un visage bien amoché, et une paire d’yeux vairons. Ceux-ci se déplacèrent dans les siens, simples et noirs, quand il remarqua qu’elle le dévisageait. Ce dernier lui fit un petit sourire sous lequel des crocs se dessinaient. Une fois dans son dos, elle eut la sensation d’entendre un rire strident étouffé. Irina, ferma également les yeux sur cette rencontre. Il n’appartenait de toute manière pas à Saint-Clair, vu son uniforme.

***

Blear et Dossan pressaient tous deux le pas dans les couloirs de Saint-Clair avec comme seul objectif d’aller à la rencontre de leurs enfants respectifs et du directeur de l’école.

Près du but, la puissante Richess s’arrêta en plein milieu de son chemin, analysant les murs rafraîchis.

Elle trouva que le passage jusqu’au bureau de Monsieur Xavier n’avait guère changé, à l’instar du dos du bel homme qu’elle avait sous les yeux. Lorsqu’il se retourna, elle crut le revoir seize ans auparavant, sa bouille d’adolescent encore jeune et innocent la frappant comme un éclair. C’était un homme aujourd’hui, toujours candide, mais moins innocent. Elle fut troublée quand il s’approcha, une bouffée de chaleur la contraignit à se convaincre que c’était à cause de son manteau d’hiver.

  • Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda-t-il en se rappelant parfaitement de la première fois où ils s’étaient retrouvés tous les deux à cet endroit.

Alicia menaçait d’être renvoyée. Blear était venue l’en empêcher, bien qu’hésitante, et Dossan l’en avait convaincu. Tant de souvenirs leur revenaient en mémoire. Elle baissa la tête et tripota ses doigts tandis qu’il lui accordait une attention toute particulière.

  • Je suis angoissée, murmura-t-elle. Qu’est-ce que je vais lui dire ? C’est la première fois qu’elle me fait un coup pareil… C’était déjà assez dur avec Sky… Et puis, releva-t-elle ses yeux dans les siens. Ici, je… j’ai l’impression de ne pas avoir agi correctement en venant en même temps que toi. Envers, John-Eric, c’est…
  • Nous n'avions pas le choix, répondit-il fermement. Sans compter que… C’est normal que tu viennes pour ton enfant. Il a fait pareil quand Sky s'est battu…
  • De quoi parles-tu ? le coupa-t-elle, surprise. Quand il s'est battu l’année passée avec son professeur ? Comment le sais-tu ? l’inonda-t-elle de questions.
  • Parce que la fille qu’il a défendue, c’était Kimi. Ils ont été convoqués tous les deux, donc…

Il s’arrêta de parler lorsqu’il la vit remettre ses cheveux derrière ses deux oreilles où de discrètes boucles d’oreilles en or se cachaient. Il était vrai qu’à ce moment-là, John-Eric venait de découvrir la vérité au sujet de Kimi et qu’il s’en était tenu au silence, non pas sur la demande de Dossan, mais bien parce qu’il n’avait eu aucune envie de le partager à sa femme. Blear prit conscience qu’ils s’étaient donc revus et que son mari savait. Alors même qu’il l’avait traité de menteuse à la suite des événements à l’aéroport, lui aussi n’avait pas été honnête. En qui pouvait-elle encore avoir confiance dans sa famille ? Dans ses proches ? Quand les deux hommes de sa vie l’avait trahie ? Elle était blessée. Dossan le devina.

  • Tu sais… Je ne voulais pas te mentir, mais c’est quelque chose que je ne pouvais dire à personne…
  • Personne, sauf à Chuck, lâcha-t-elle d’un ton fâché. À croire qu’il a toujours été le plus important…
  • C’est mon confident, mon…
  • Je n’ai personne de cet ordre-là. Pas même John-Eric, ou une amie, car nous avons perdu contact avec les filles.

Blear ne tenait pas à revenir sur le fait qu’en quittant Saint-Clair, elle s'était isolée progressivement vis-à-vis des autres Richess. Chacun avait fait son chemin.

  • J’aurais aimé que tu me le dises, c’est tout.

Le corbeau eut le bec cloué.

  • Je… m’excuse, de t’avoir fait de la peine… dit-il en baissant légèrement la tête, avant de la remonter pour voir qu’elle cherchait la sincérité dans son regard.

Il n’y avait rien d’autre que le temps pour accepter toutes ses cachotteries. Seulement, la mine coupable de Dossan, mais aussi tout autant assurée, la faisait craquer.

  • Allons-y… fit-il, peu fier.
  • Si nous arrivons en même temps, c’est…
  • Alors, vas-y en première, proposa-t-il en la contournant pour la pousser, sa main dans son dos, comme il avait pu le faire à l’époque.

Blear tituba sur ses bottines à talons. Elle se sentait dépassée par les événements, mais s’avança en première, d’un air décomposé.

Lorsque le vieux directeur lui ouvrit la porte de son bureau, elle tomba sur les deux dos des adolescents qui avaient commis une bêtise. Elle vit la peur dans les yeux de sa fille qui habituellement restait toujours fière, puis déglutit face à la silhouette du garçon à côté. Il ne se retourna pas, utilisant ses mains pleines de cicatrices pour recouvrir sa tête de sa capuche. Leroy couvrait sa honte.

  • Garçon, ce n’est pas très poli…

Le directeur fut coupé dans son élan pour le réprimander quand Dossan se pointa au seuil de la porte pour y toquer de la jointure de son index.

  • Monsieur Dan’s, bonjour, fit-il en lui tendant également sa main. Je tenais justement à dire à votre fils qu’il n’est pas correct de couvrir sa tête en…

Il dévisagea son ancien élève lorsque celui-ci se déplaça pour placer une main au-dessus de son crâne. Doucement, il enleva le capuchon sous lequel ses ondulations cendrées s’étaient déjà écrasées. Leroy sursauta, ses poings se refermant sur ses genoux, tassé sur sa chaise. Il fuyait le regard de son père qui lui-même jeta un œil à la petite Richess. Lysen avait la tête de quelqu’un qui avait commis un crime. Cette dernière fut bien obligée d’être confrontée à sa mère qui fit le tour pour autant voir sa fille que le garçon en question. Le premier mot qui lui vint à l’esprit fut “fragile”, encore plus que lorsqu’elle l’avait vu la première fois à la rentrée.

Le vieux directeur, pourtant touché par la réunion de l’ancien couple, fit son travail en les interpellant :

  • Madame, Monsieur, je vous propose de vous installer pour que nous puissions discuter des écarts de vos enfants.

Les deux parents partagèrent un même mouvement de déglutition.

***

En rentrant dans sa chambre, Kyle déposa le paquet de cigarettes ouvert sur son bureau et se lança sur le lit, tête la première. Steve se réveilla et roula sur le côté pour tomber dans les yeux bleus de son compatriote qui visiblement n’attendait que ce contact. Il frissonna, conscient de l’excitation qu’ils montraient, et du sourire plaqué sur son visage.

  • Ne me dis pas que… Tu veux me pécho ? s’effraya-t-il tout seul à cette idée.
  • Dégueulasse. J’en veux pas de ton nem, rétorqua-t-il, tout d’un coup moins clinquant.

Vexé, Steve attrapa sa petite tête dans sa grande main et l’écrasa dans l’oreiller.

  • Crève.

Le blondinet éclata de rire, les deux mains de part et d’autre du coussin dont il émergeait, et déplaça son pied dans l’entrejambe de l’Asiatique. Ce dernier émit un cri de fille et reçu l’oreiller en pleine figure. Il lui rendit bien, la bagarre éclatant entre les deux garçons qui finirent tout deux les genoux plantés dans le matelas. Ils se défiaient l’un et l’autre, la respiration lourde, tels des cow-boys. C’était marrant d’avoir un ami avec qui délirer, mais Kyle se rangea très vite dans sa position de journaliste, sur quoi Steve se racla la gorge.

  • À quoi tu penses ? lui demanda-t-il, le trouvant pensif.
  • Regarde ça.

Une fois le téléphone en main, et la vidéo des parents de Kimi et Sky sous ses yeux bridés, il n’eut pas besoin d’en savoir plus.

  • Et tu comptes en faire quoi ? C’est un gros morceau. Tu vas la conserver ? Pour la sortir au bon moment ?
  • “Au bon moment”, répéta-t-il en attrapant son menton, assis en indien. C’est ça le truc. Ça manque un peu d’animation ces derniers temps. Je peux te demander ton téléphone ? l’obligea-t-il d’un geste.
  • Pourquoi faire ?
  • Donne.
  • Hey, pourquoi faire ? lui redemanda-t-il, ennuyé.
  • Tu as des choses à cacher, sale vicieux ? Des photos de ta chère Sylvia...

Steve le plaqua contre le matelas, une main sur le cou en guise d’avertissement. Il n’était qu’à moitié menaçant.

  • Ouuuh, susceptible…
  • Je l’aime.
  • Que tu es faible mon Stevou…
  • Je préfère être le seul à pouvoir la taquiner, c’est clair ? le prévint-il en venant tapoter sa joue plusieurs fois avant de prendre du recul.

En train de fixer le plafond, Kyle réfléchit un instant. L’amour rendait bête. Il souffla. Toutes les personnes autour de lui finissaient par craquer à ce sentiment qui s’immisçait dans leurs “cœurs” ou plutôt leurs esprits.

  • Ce n’est qu’un au revoir, lâcha-t-il sur le ton de la rigolade. Je t’aurai connu dans ta meilleure forme, désinvolte et tricheur, je suis déçu.
  • Je ne change pas.

Le blond haussa les sourcils et se faufila ensuite dans les couvertures, touché par le froid. Steve le dévisagea, pensant qu’à l’intérieur de ce garçon à l’air bien trop innocent, il y avait un cerveau machiavélique.

  • Tu veux que je fasse quoi ? revint-il à l’essentiel, son téléphone en main.
  • Envoie un message à Kimi, répondit-il les yeux fermés, le drap remonté jusque sur son nez. Je vais te filer son numéro.
  • Et je dis quoi exactement ?
  • Que Leroy et Lysen sont chez le directeur, ainsi que son père.
  • Pourquoi c’est moi qui devrais lui envoyer ça ? Tu peux le faire, non ? lui renvoya-t-il la tâche.
  • Nan, sourit-il. Moi, j’envoie la vidéo à Sky.

Steve se releva dans le lit, arracha à la volée une grimace à son binôme qui se réchauffait.

  • Ça, c’est… Tu es certain ? Tu devrais peut-être le garder pour plus tard…
  • Hum, gloussa-t-il ensuite. Tu sais, quand on obtient une information, l’utiliser à bon escient, c’est clairement le plus difficile. Il faut savoir jauger le “bon moment”, comme tu le disais tout à l’heure. Ici, mon instinct me dit qu’il s’agit de l’instant précis où je devrais divulguer cette vidéo et seulement aux personnes concernées. Ce sera suffisant pour créer un malentendu ou tout simplement… foutre la merde, fit-il en tournant la tête vers son ami qui restait maintenant de marbre.
  • Un jour Kyle, tu devras sans doute en assumer les conséquences, répondit l’Asiatique d’un ton sincère.
  • Et alors ? Personne à décevoir, pas de problème, nan ? “Un jour”, viendra plus tard. En attendant, envoie ce message. Moi, c’est fait, dit-il en lui montrant la vidéo envoyé à Sky.
  • Très bien.

***

Dans un couloir, assise toute seule et adossée à un mur, Kimi s’était plongée dans sa musique, morose et vidée. Par-dessus le son, la sonnerie de ses notifications de téléphone vint la sauver de ses pensées parasites. Dérangée, elle l’attrapa, chassant ses cheveux blonds tout emmêlés d’une main pour regarder de quoi il s’agissait :

“Si jamais, ton père est chez le directeur avec Leroy et Lysen. Ils ont séché les cours.”

Le message n’était pas signé.

Kimi se releva difficilement, les fesses engourdies d’être trop restée au sol, et serra son téléphone dans son poing. Le père qui lui avait tant menti venait de débarquer dans l’école, alors qu’elle venait d’apprendre tous ses mensonges, ou du moins presque.

La blonde observa par la fenêtre le chemin qui la mènerait jusqu’au bureau du directeur d’un air grave. Elle fila.

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