Acte VII. Scène 2

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Deux heures plus tard – Dimanche 25 septembre 2022 – 14h00

THIERRY : Au fait, les enfants, vous avez eu l'occasion de rencontrer le compagnon de Joséphine ?

MAUDE : Tiens donc…

CHARLOTTE : Ils sont passés hier après-midi. Ils venaient de faire une course dans les environs, et elle en a profité pour passer nous faire un coucou et nous le présenter.

MAUDE : Mais vous le connaissiez déjà, peut-être ?

THIERRY : Non. Ça a l'air d'être un garçon charmant. Mais bon, peut-être quand-même un tantinet moins bien que celui que je voulais lui présenter.

CHARLOTTE : Ne dis pas ça ! On ne le connaît pas assez pour juger, et, de ce qu'on a pu voir, il n'y a strictement rien à lui reprocher.

FAUSTINE : Joséphine, c'est la cousine, c'est bien ça ?

GABIN : Oui, c'est ma cousine. Mais non, on n'a pas encore eu l'honneur de rencontrer son petit copain.

CHARLOTTE : Pourtant, il paraît qu'elle l'a rencontré en venant chez vous.

GABIN : Ah, c'est donc bien lui ! Et, du coup, rien à voir avec le voisin que vous vouliez lui présenter ?

THIERRY : Ils ont peut-être quelques points communs, mais je trouve que ce garçon a peut-être un tantinet moins la tête sur les épaules ; il était un peu effacé.

CHARLOTTE : Il est chez l'oncle et la tante de la fille qu'il vient à peine de rencontrer, dans quelle attitude veux-tu qu'il soit ?

FAUSTINE : C'est probablement toujours un peu intimidant, de rencontrer la famille.

CHARLOTTE : Oh, il ne faut pas en faire tout une histoire. D'ailleurs, je crois qu'il n'a même pas encore rencontré ses parents. Mais ils étaient dans le coin, Joséphine est passée spontanément prendre un café comme elle le fait quand elle est seule. Il n'y avait pas de pression ni rien, c'est juste la simplicité et le naturel qu'on a toujours eu entre nous.

THIERRY : Charlotte a beaucoup gardé Joséphine, quand elle était petite, avec Gabin. Alors, forcément, on est assez proches d'elle.

GABIN : Maude, je trouve qu'on ne t'entend plus beaucoup. Tu as perdu ta langue ?

MAUDE : Non, je vous écoute.

FAUSTINE : Maude ne parle que quand elle trouve que ce qu'elle a à dire est suffisamment intelligent.

MAUDE : C'est à dire quatre-vingt-quinze pour cent du temps.

GABIN : Maude était persuadée que le gars que Joséphine a rencontré devant chez nous était le fameux voisin.

MAUDE : C'était juste une hypothèse.

CHARLOTTE : Ça aurait quand même été une sacrée coïncidence !

GABIN : Ce n'était pas tout à fait son hypothèse.

THIERRY : En tout cas, ils ont l'air quand même plutôt bien ensemble. Peut-être un peu timides. Ils ne sont pas aussi spontanés et entiers que vous deux, mais ils ont quand même l'air de bien s'entendre, et d'être dans une forme de simplicité.

MAUDE : Je suis très contente pour elle. Joséphine a un gros côté fleur bleue j'ai l'impression. Le fait de pouvoir dépasser ça pour être dans la simplicité, c'est important, je pense.

FAUSTINE : En quoi être fleur bleue empêcherait d'être dans la simplicité ?

MAUDE : En plein de choses. Idéaliser l'autre, probablement, déjà. Puis se persuader qu'on n'a pas le droit à l'erreur, ne pas s'autoriser à être soi-même, essayer d'être aussi parfaite qu'on a l'impression que l'autre l'est, choisir ses propos, faire attention au paraître. Et puis surtout la pression que ça peut être, de penser que chaque moment doit être parfait ou digne du conte de fées qu'on s'imagine être en train de vivre.

GABIN : Mais d'où tu sors toutes ces idées ? Probablement pas de ton expérience, ou en tout cas pas avec moi. Car je n'ai pas l'impression que tu aies jamais été comme ça ; tout au contraire.

FAUSTINE : Maude n'a jamais été comme ça avec qui que ce soit. Mais, pour une curieuse raison, elle s'imagine que vous êtes le seul couple à peu près sain au monde, et que tous les autres vivent dans des relations ternies par des écueils issus des comédies romantiques, du sexisme ambiant où d'on ne sait quoi d'autre.

MAUDE : Je n'ai jamais dit ça.

GABIN : Mais tu l'as peut-être un peu pensé ; c'est vrai.

CHARLOTTE : N'est-ce pas aussi une manière d'être fleur bleue ?

GABIN : Peut-être bien. Elle croit ne pas l'être, mais c'est la pire de toutes. Ce n'est pas parce que son idéal s'éloigne un peu de celui que les pubs essayent de vendre que c'en est moins un idéal.

MAUDE : Tu crois que je ne t'entends pas, te traiter d'idéal ?

GABIN : Parce que je ne le suis pas ?

MAUDE : Peut-être un peu. Mais juste pour moi.

CHARLOTTE : Moi, ce dont j'ai l'impression, c'est que vous faites toujours semblant que tout ça est un jeu et que rien n'a d'importance mais, qu'au final, votre ressenti est tout autre.

FAUSTINE : Maude a toujours utilisé l'excuse de la légèreté et de la plaisanterie pour dire des choses qu'elle ne se sentirait pas autorisée à dire autrement.

GABIN : C'est parce qu'elle a un peu honte d'être complètement amoureuse de moi.

MAUDE : Non pas du tout, j'assume complètement ! Mais je suis amoureuse à ma manière, ou à la nôtre, et je tiens juste à préciser qu'elle n'a rien à voir avec la manière complètement stupide qu'on peut voir partout ailleurs.

FAUSTINE : C'est exactement ce que je disais ! Mais peut-être que la manière dont la plupart des gens s'aiment pour de vrai est beaucoup moins stupide que tu l'imagines ?

GABIN : Ce serait quand même dommage de nous retirer l'illusion que notre amour est unique. Il faut bien des choses pour nourrir notre romantisme.

CHARLOTTE : S'il y a une chose qui vous distingue des autres amoureux, peut-être, c'est qu'ils sont assez peu à parler de tout ça devant leurs parents.

MAUDE : Ça, c'est juste encore une de mes ruses pour banaliser ça et me faire croire que ça n'a pas autant d'importance que ça en a.

FAUSTINE : J'avoue que ça a peut-être aussi un rapport avec le fait qu'on se soit toujours mêlés de votre relation.

GABIN : Franchement, vous êtes pire que les fans de séries télé qu'on a fait mariner trois saisons avant de mettre les deux héros ensemble.

FAUSTINE : Pourtant, vous ne nous avez pas fait mariner très longtemps.

MAUDE : N'empêche, c'est exactement ça ! On a l'impression d'être les héros de votre série télé.

THIERRY : Nous serions donc des fans qui aurions soudoyé le producteur pour vous faire rester ensemble, ne l'oublions pas.

FAUSTINE : Ou peut-être que ce qui nous pousse à être ainsi, c'est la tendance d'une certaine personne à aimer avoir un public ?

MAUDE : Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler.

CHARLOTTE : C'est bien beau tout ce débat, mais peut-être que je peux l'interrompre pour vous servir du gâteau ? Qui en veut ?

THIERRY : Moi, j'en veux bien. Parce que c'est vrai qu'on parle tous passionnément mais qu'au final, il n'y a rien à trancher ni rien d'important.

GABIN : Si, il y a le gâteau à trancher. J'en veux bien aussi, merci Maman.

MAUDE : Moi aussi. Mais heureusement qu'on ne parle pas que quand il y a des choses importantes ou une bonne réponse à trouver ; la vie serait terriblement stressante, ou terriblement ennuyeuse.

FAUSTINE : Moi aussi, je voudrais bien une part de gâteau ; merci beaucoup. Mais je suis assez d'accord sur le fait qu'on puisse parler des choses de peu d'importance. On ne sait pas trop de quoi on parle d'ailleurs, mais la conversation est plaisante.

MAUDE : Parce que quand on parle sans savoir de quoi on parle, c'est de nous qu'on parle. C'est des façons de voir le monde, de penser la vie ; c'est loin d'être des choses sans importance.

GABIN : C'est important de faire des choses inutiles ; de pouvoir être sans être juste des machines à produire ou à vendre.

FAUSTINE : Et encore l'argent qui revient glisser son nez.

MAUDE : Dans un monde où il n'y a que l'argent qui régente tout, parler pour ne rien dire, perdre du temps à ne rien faire, c'est important pour affirmer qu'il y a d'autres choses qui comptent.

FAUSTINE : Comme ce gâteau par exemple, qui est vraiment excellent.

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