Acte V. Scène 3

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Le lendemain – Dimanche 11 septembre 2022

GABIN : Tu n'as pas trouvé qu'il y avait une ambiance bizarre chez mes parents, hier soir ?

MAUDE : Il y a toujours une ambiance bizarre, chez tes parents.

GABIN : C'est vrai.

MAUDE : Mais là, il y avait quand même quelque chose. C'est à cause de la conversation que j'ai eue avec eux, avant que tu n'arrives.

GABIN : Ils étaient encore en train de te dire du mal de moi ?

MAUDE : Ça, c'est vraiment extrêmement rare qu'ils le fassent quand tu n'es pas là. Ils préfèrent attendre que tu arrives pour que tu puisses y assister.

GABIN : Toujours en train de donner des conseils pour le bien de notre relation, alors ?

MAUDE : En quelque sorte. Mais là, c'est moi qui avais évoqué le sujet.

GABIN : Depuis quand tu demandes des conseils à mes parents ? Et sur notre relation en plus ! C'est quoi cette histoire Maude ? Tu débloques ou quoi ?

MAUDE : Mais non, je ne leur ai pas demandé de conseil.

GABIN : Et puis, déjà, sur quoi tu aurais pu leur demander conseil ? Sur comment faire en sorte que son chéri rentre plus tôt du travail ? Là-dessus, ils ne pourraient pas te dire grand chose : mon père a toujours travaillé à la maison, et ma mère a toujours fini plus tard que lui.

MAUDE : Du coup, j'aurais pu lui demander à lui des conseils sur comment il le vivait, que sa chérie rentre tard. Mais non, ce n'est pas ça du tout. Il y a juste quelque chose dont j'aimerais te parler ; quelque chose que tes parents et moi ne t'avons jamais dit.

GABIN : Bon, ça ne peut pas être "Je t'aime", parce que ça, même si mes parents me l'ont rarement dit, de toi je l'entends au moins vingt fois par jour.

MAUDE : Je t'aime. Et ils t'aiment aussi, même s'ils l'expriment à leur façon. D'ailleurs, je suppose que, ce qu'on ne t'a pas dit, c'est relatif à une façon particulièrement spéciale qu'ils ont eue d'exprimer leur amour.

GABIN : Exprimer, ça implique que le message parvienne au destinataire ; ou au moins qu'il ait une chance de le faire.

MAUDE : Tu te souviens de la conversation qu'on a eue la semaine dernière ?

GABIN : Je ne peux pas te garantir me souvenir de chacune des cinq-cent-deux conversations que nous avons eues la semaine dernière.

MAUDE : Cinq-cent-deux virgule cinq, pour être exacte.

GABIN : Si les demi-conversations existent, je suppose qu'on n'a que ça.

MAUDE : Celle dont je parle, c'était certainement une demie. Tu te souviens quant tu m'as fait tout un foin sur le fait que ma mère t'ait donné une augmentation ?

GABIN : Je ne crois pas avoir fait tout un foin, au contraire. Tu m'as félicité, et on n'en a plus reparlé. D'ailleurs, ça aurait peut-être mérité un peu plus de célébration.

MAUDE : Pas cette augmentation là ; celle de l'an dernier.

GABIN : Ah, oui. On n'avait pas dit qu'on n'en reparlerait plus, que ce n'était pas important et qu'il ne fallait pas donner à ça plus de proportions que ça n'en méritait ?

MAUDE : Si, et je ne remets pas ça en question.

GABIN : Tu n'as quand même pas parlé de ça avec mes parents ? Tu es folle ! Ils ne pourraient jamais comprendre.

MAUDE : Rassure-toi, je ne leur en ai pas parlé. Mais, justement, je suis convaincue qu'ils pourraient tout à fait comprendre.

GABIN : Ne me dis pas que tu es encore sur cette hypothèse absurde par rapport à Joséphine ? Tu as demandé à mon père s'il avait fait en sorte d'envoyer le voisin sur le pas de notre porte ?

MAUDE : Non, mais, maintenant que tu en parles, j'aurais dû le lui demander. D'ailleurs, tu sais si Joséphine a revu ce gars ?

GABIN : Le voisin, je ne sais pas si elle l'a vu. Mais le gars qu'elle a rencontré sur le palier, j'ai cru comprendre qu'ils s'étaient revus, oui. Ça avait l'air de plutôt bien se passer, mais pas encore au point qu'elle nous le présente demain.

MAUDE : C'est quand que vous vous êtes appelés ?

GABIN : Le week-end dernier, je crois. Elle a essayé de me joindre mais je n'ai pas pu répondre. Du coup, je lui ai envoyé un petit message pour m'excuser, et on a dû échanger quelques SMS pour se donner des nouvelles.

MAUDE : Et tu n'as même pas pensé à me le dire ?

GABIN : Je ne savais pas que la vie sentimentale de Joséphine t'intéressait tant que ça. D'habitude, les histoires dans ce genre ne retiennent pas vraiment ton attention.

MAUDE : Mais là, c'est différent.

GABIN : Parce qu'il y a le mystère de découvrir si toute cette romance n'est pas qu'un coup monté de mon père ?

MAUDE : Si c'est comme ça que tu le vois, ça signifierait que notre romance n'est aussi qu'un coup monté.

GABIN : Bien envoyé. Mais notre romance est bien plus qu'un coup monté de ta mère.

MAUDE : Ça fait se questionner sur le sens d'un coup monté. Ça ferait une bonne histoire, d'ailleurs. Imagine, un groupe de personnes qui monte un coup monté alambiqué pour faire prendre à quelqu'un une décision. Et ce quelqu'un, qui pourrait être un ministre, un chef d'entreprise, un maître d'école, ou un citoyen lambda, selon la nature et l'objet du coup monté, imaginons qu'il ait les mêmes intentions. Le groupe fait des menaces au ministre pour qu'il propose une loi et il se trouve en fait qu'il avait déjà pour projet de la proposer, peut-être parce qu'elle est conforme à ses convictions mais pas aux souhaits de son électorat, ou l'inverse, ou peut-être parce qu'il a un accord qui nécessite, pour d'autres raisons, qu'il la fasse. Est-ce que ce serait toujours un coup monté ? Probablement. Mais est-ce que la décision serait l'effet du coup monté ? L'effet de ses intentions ? Ou les deux à la fois ?

GABIN : Ce serait plus un problème philosophique qu'un film.

MAUDE : Les deux ne sont pas incompatibles.

GABIN : En fait, c'est un peu la même situation qu'avec ta mère.

MAUDE : Exactement ! C'est pour ça que je dis ça, ça n'a rien d'une coïncidence. Mais, ce n'est pas seulement la même situation qu'avec ma mère. C'est également la même situation avec tes parents. Et ça, pour le coup, c'est une sacrée coïncidence !

GABIN : Je n'ai rien compris à ce que tu dis, mais je ne crois pas aux coïncidences.

MAUDE : Tu ne crois pas aux coïncidences ? Ça veut dire quoi, ça ? Tu ne crois pas non plus que quand il y a du vent, des feuilles tombent par terre ?

GABIN : Ça n'a aucun rapport.

MAUDE : Ça en a s'il se trouve qu'en tombant, les feuilles forment un cœur, et que, par hasard, tu le remarques. Et ça en a dans le sens où c'est juste une réalité banale qu'on ne peut pas nier. Il y a des trucs qui se passent par hasard. Enfin pas vraiment par hasard, mais sans intention derrière en tout cas. Les feuilles tombent parce qu'il y a du vent, mais pas pour dessiner un cœur. Il y a des trucs qui se passent par hasard, des trucs par milliers, et, forcément, statistiquement, dans le lot de ces milliers de trucs, il y en a un ou deux qui paraîtront surprenant. Les coïncidences, c'est juste ça : des trucs surprenants. Alors moi quand tu me parles de ne pas croire aux coïncidences, c'est comme si tu me disais que tu ne crois pas qu'il puisse y avoir des trucs surprenants sans intention derrière.

GABIN : Tu dois avoir raison. Notre rencontre était l'un de ces trucs surprenants, assurément.

MAUDE : Pile le mauvais exemple ! Parce que notre rencontre, il y avait une intention derrière.

GABIN : Celle de ta mère ?

MAUDE : Exactement. Mais bon, ça reste une forme de coïncidence, dans le sens où il a fallu que tu la rencontres elle, qu'elle soit ce qu'elle est, que je sois ce que je suis et tout ce qui s'ensuit. Mais il y a plein d'évènements qui semblent spéciaux, rares, précieux, significatifs ou ce que tu veux, et qui ont beaucoup moins d'intention derrière.

GABIN : Et quel rapport avec mes parents ?

MAUDE : La coïncidence, c'est que tes parents, comme ma mère, ont cherché à utiliser leur argent pour permettre notre relation. Et ça, je ne crois pas que ce soit un truc qui arrive tout les jours. Ou alors, si c'est le cas, les parents dans ce monde sont tous sacrément tordus.

GABIN : Mais mes parents n'ont jamais fait ça !

MAUDE : Justement, c'est ça dont je voulais te parler. C'est ça, le truc que tu ne sais pas.

GABIN : Tu vas essayer de me faire croire que mes parents te payent pour sortir avec moi ? Tu ne m'as pas dit la semaine dernière que si j'avais essayé de te faire avaler ça, tu ne l'aurais pas cru ? Eh bien, figure-toi que c'est exactement pareil dans l'autre sens. Mes parents ont beaucoup de côtés tordus, mais pas celui-là. Et puis, toi, tu l'as encore infiniment moins.

MAUDE : Et pourtant, c'est ce qu'il s'est passé, en un sens. Enfin, pas en un vrai sens. C'est comme pour toi : une vérité factuelle qui n'en est pas une du point de vue des sentiments et de la signification.

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