Une bien belle cérémonie

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P Avertissement : cet article ne fut jamais publié dans le journal pour lequel je travaille, suite à certains malentendus. Je le publie maintenant, plusieurs années plus tard, en espérant que les passions se soient quelque peu apaisées.


13 février 2014. Je me rends, comme journaliste du quotidien Marseille Le Monde, à une cérémonie officielle : le deux-centième anniversaire d’un événement historique peu connu qui a bouleversé la vie d’une commune de la France profonde, Saint Trouduc sur Lie-de-Vin, dans la Marne. Le 13 février 1814, à ce même endroit, s’est déroulé une bataille entre les troupes françaises, commandées par Napoléon en personne, et les Prussiens du général Arschficker, Blücher étant ce jour-là malade, combat acharné qui vit la victoire finale des Français. Dix mille hommes moururent, également repartis entre les deux camps, plus une vingtaine de milliers de blessés, dont beaucoup rejoindront les dix mille premiers dans les semaines suivantes.

Le village de Saint Trouduc sur Lie-de-Vin fut ce jour-là complètement détruit et un tiers des habitants y perdirent la vie, victimes collatérales, comme nous le dirions aujourd’hui.

Mais tous ces chiffres n’ont que peu d’importance par rapport au fait historique suivant : pendant la bataille, alors que les Français venaient de reprendre pour la troisième fois les ruines du village, l’Empereur eut une soudaine et pressante envie de déféquer, ce qu’il fit, au pied d’un chêne, protégé par un cercle de chasseurs à cheval, en l’occurrence à pied, de la garde impériale.

Quelques heures plus tard, le maire de la commune, ayant appris l’histoire de la bouche d’un soldat agonisant, avec un courage et une audace inouïs, envoya un groupe d’habitants encore valides qui, défiant les balles et les boulets, parvinrent à récupérer les étrons impériaux encore intacts. Huit des neufs hommes envoyés ne revinrent pas, mais le neuvième rapporta le précieux butin, serré dans sa chemise, contre sa poitrine (il n’est d’ailleurs pas possible aujourd’hui de dire si les poils pris dans la matière brune sont ceux des fesses de l’empereur ou de la poitrine du courageux sauveteur). Le maire mit ensuite les étrons à sécher puis, grâce à l’utilisation intelligente de plantes médicinales adéquates, put les conserver intacts, littéralement momifiés.

Pendant les Cent-Jours, il prit la châsse de Saint Trouduc, chef-d’œuvre d’art gothique, ayant échappé par miracle à la bataille évoquée plus haut, la vida des débris d’os du bassin du saint et y installa la nouvelle relique. La châsse, dont les croix furent remplacées par des abeilles impériales en 1854, sur ordre de Napoléon troisième du nom, est toujours visible, exposée dans le salon d’honneur de la mairie de Saint Trouduc sur Lie-de-Vin. Les glorieux étrons veillent sur la vie de la commune depuis deux siècles et ont honoré, par exemple, tous les mariages célébrés dans cette salle.


Comme je l’évoquais au début, à l’occasion du bicentenaire de l’événement, une cérémonie de grande ampleur s’est déroulée dans la commune. Y assistaient le Premier ministre, les ministres de la Défense, de l’Education, de la Culture, accompagnés de quatorze secrétaires d’état, vingt-quatre députés, treize sénateurs avec le président du sénat, ainsi que d’innombrables maires, adjoints, élus départementaux, régionaux, du préfet du département et celui de la région, et des représentants de nombreuses associations patriotiques du grand Est de la France. Plusieurs groupes de reconstitution historique, grenadiers de la garde, chasseurs à cheval de la garde, mamelouks de la garde, tous en grande tenue, mettaient une pointe de couleur à cette masse de costumes gris.


Je ne décrirai pas en détail le déroulement de cette longue et émouvante cérémonie en honneur des restes fécaux de Napoléon 1er, mais je voudrais évoquer certains temps forts. Tout d’abord, le discours du Premier ministre, qui restera comme un grand moment de rhétorique républicaine, bien que le style ampoulé obscurcit souvent les belles idées évoquées.

Il évoqua d’abord l’événement primordial, fondateur, comme le symbole de la création d’un nouveau monde, véritable cosmogonie, concentrant dans les restes intestinaux de l’Empereur toutes les valeurs qui font que la France est unique au sein des nations du monde.

Poursuivant dans le même style, il loua le courage exceptionnel et le dévouement patriotique du maire de l’époque. Défendre l’honneur de la Nation, même au prix de la vie de ses administrés, est le devoir de tout élu digne de notre grand pays.

Ces coprolithes bonapartistes, reliques du Grand Homme, sont un des exemples sur lesquels nous pouvons baser la construction de l’identité nationale, ajouta-t-il.

Le Premier ministre termina son discours par l’annonce de la création d’un vaste parc médiatique de la mémoire nationale (sic), destiné à entretenir la flamme patriotique dans la région. Pour ce faire quarante millions d’euros vont être immédiatement débloqués, sur le budget principalement du ministère de la Culture, mais avec une participation substantielle de la commune, du département et de la région. Dans la période d’austérité que nous vivons, il faut savoir faire des choix, a poursuivi le premier ministre.

La ministre de la Culture a ensuite annoncé qu’une statue sera érigée, un bronze représentant l’empereur en train de couler le sien. Pour cette œuvre d’art, une souscription est ouverte. Les patriotes souhaitant soutenir cette belle initiative, pourront acquérir une reproduction des étrons en résine, sur un coussin de velours vert, orné d’abeilles impériales dorée, pour la modique somme de deux mille cinq cents euros. Elle précisa que pour chaque reproduction vendue, quatre-vingt-cinq centimes seront reversés à l’association des restos du cœur. Le patriotisme marche main dans la main avec la solidarité envers les plus faibles, dit-elle. Elle fut chaleureusement applaudie.


Le maire actuel, dernier à parler, a expliqué que pour la construction du parc, la maternité, l’école maternelle et la maison de retraite devront être rasées. Il n’y a de toute façon plus de budget pour elles.

Le concert final fut un grand moment. Un ensemble de didgeridoos a interprété d’une façon magistrale la 1ere symphonie pour sphincter impérial de Bouzdevaud. Ils ont réussi à évoquer avec un tel réalisme les contractions d’airs intestinaux et les vibrations anusiennes de Napoléon, tel qu’il a dû le vivre lors de son impériale défécation, que tout le public en était émus jusqu’au fond des tripes. Nous pouvions ressentir au plus profond de nous-mêmes les phases de contraction et de relâchement, l’expulsion progressive et saccadée des étrons. Le Premier ministre en avait les larmes aux yeux. La ministre de la Culture dut cacher son visage dans son mouchoir. Le ministre de la Défense sortit précipitamment de la salle en direction des toilettes.


J’ai personnellement eu du mal à garder mon sérieux et mes efforts n’ont pas échappé à l’œil vigilant du capitaine des Grognards de l’Empereur, un groupe de reconstitution historique, qui m’apostropha assez vertement à l’issue de la cérémonie.

- Vous êtes journaleux ?

- Journaliste pour vous, si le mot ne vous écorche pas le gosier.

Nous avions malheureusement pour moi, parlé assez fort pour que les personnes autour de nous se retournent, avides de suivre notre échange. Je reconnus la ministre de la Culture, qui me dévisageait d’un œil sévère, et même des deux. Le déguisé poursuivit.

- Je vous ai observé pendant la cérémonie, vous sembliez indifférent. J’ai même noté plusieurs rictus pendant le concert. Votre attitude est indigne d’un patriote.

La ministre intervint avant que je ne puisse répondre.

- Vous travaillez pour quel journal ?

- Marseille le Monde.

- Et comment comptez-vous raconter ce que vous avez vu ici ?

- Comment ? Mais, en journaliste honnête et sincère, comme toujours.


Elle me regarda comme si elle ne comprenait pas l’association des mots de ma phrase, puis, sans rien dire de plus, elle pivota sur ses talons et s’éloigna. Le capitaine des pseudo-grenadiers de la Garde me regarda d’un sourire narquois

- T’es grillé, mon gars ! J's’rais toi, j’m’f’rais oublier un certain temps. Mauvais Français, va !

Sur ce conseil d’ami, il rejoignit, très fier de lui, les autres déguisés.

De retour à Marseille, je préparais mon article lorsque mon directeur m’appela sur mon portable.

- Xavier, c’est quoi cette cagade ? Avec Napoléon.

- Cagade est le mot juste. De quoi parles-tu ?

- Je voudrais savoir pourquoi je suis harcelé depuis ce matin soit par des gens de différents ministères qui me menacent de nous couper l’aide à la presse ou de m’envoyer une armée de contrôleurs fiscaux pour éplucher nos comptes, soit par des tarés qui me menacent de débarquer au siège du journal et de tout casser.

- Et je suppose que je suis la cause de tout ceci ?

- Gagné. Tu vois Xavier, en France, il ne faut pas froisser les admirateurs de Napoléon, c’est trop dangereux. Alors ton article, tu peux te le mettre où je me le pense.

- Après cette cérémonie à Saint Trouduc, je vois très bien.

Il éclata de rire et raccrocha.

Voilà, vous savez tout, ou presque. Si vous passez dans la Marne, idée saugrenue à mes yeux de Marseillais (je ne prétends pas être là de bonne foi), ne manquez pas un détour par Saint Trouduc sur Lie-de-Vin. Le personnel de la mairie, personnes au demeurant charmantes, se fera un plaisir de vous faire admirer la précieuse relique. Et si vous avez deux-mille cinq-cents euros de trop, la patrie vous en sera reconnaissante.


P.S. L’image illustrant ce texte est un « caganer », pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un personnage typique de la crèche catalane, représentant une personne en train de faire ses besoins. Nous pouvons en trouver de nos jours pour tous les personnages connus, du pape a dark vador. Faites une recherche sur internet avec « caganer », vous verrez de vos propres yeux.

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