Chapitre 4

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- J'ai vendu mon auto pour ce séminaire. Et je suis prête à sacrifier bien plus pour un job de formatrice, me dit Stella.

Nous étions étendues dans l'herbe, goûtions sa fraîcheur. L'heure du lunch était courte, on essayait d'en profiter au maximum. Les restes de nos salades flétrissaient dans leurs contenants de plastique. Je rêvais d'un tartare et de navets confits et croquants.

- Toi, tu es chanceuse, ajouta-t-elle.

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Je me demandais de quelle chance elle parlait. Je m'étais mariée trop tôt, j'errais dans ma vie comme dans une gare déserte. Le travail ne m'aimait pas non plus. J'avais tout misé sur ce séminaire, une porte s'ouvrait timidement, je restais sur le seuil, perplexe.

- Je n'ai aucun plaisir à toucher les gens, et je déteste qu'on me touche.

En réponse, Stella se jeta sur moi, hilare, et me chatouilla les côtes à m'en faire mourir.

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Nous ne nous quittâmes plus. Pendant les courtes pauses dont on nous gratifiait, nous nous racontions nos vies et nos peines. À vingt-neuf ans, elle avait deux divorces derrière elle, et bon nombre d'amants. Elle se cherchait. Comme moi, elle était tombée sur une vidéo de David Richard, plus que moi, elle y croyait. L'homme la fascinait.

- Tu te rends compte, je pourrais animer des groupes en Thaïlande. La Thaïlande...

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Si on me donne le choix, j'opterai pour l'Alaska ou le Groenland, pensais-je. Pour en finir avec la chaleur. J'avais cependant décidé de prolonger mon séjour, et de commencer la formation. Je savais que les quatre journées seraient épuisantes, mais surtout que je ne pourrais pas me payer la suite. D'après ce que j'avais compris du plan de croissance, au moins trois paliers restaient à gravir.

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L'épreuve continuait. Trois personnes s'évanouirent au cours de l'après-midi. On avait installé des ventilateurs aux quatre coins de la salle, mais seuls les participants assis à proximité bénéficiaient du peu d'air qu'ils projetaient. Dave s'était fait remplacer par l'un des conférenciers nouvellement formés. Son style agressif me rebutait.

- Tu es un mouton, ou un loup ? lança-t-il à un homme qui venait d'avouer l'infidélité de sa femme.

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Je sautai le dîner, me couchai sur l'herbe. Stella avait fait la connaissance d'un type aux yeux de braise. De temps en temps, je regardais dans leur direction. Installés sous un arbre, ils poursuivaient une conversation passionnée devant leurs sandwichs laissés intacts.

De façon plus prosaïque, je réfléchissais au fait que je devrais faire une lessive pour affronter les quatre jours de formation.

Et puis je devais appeler Bertrand.

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Mon mari attendait mon appel.

À ma grande surprise, Bertrand m'encouragea. Il me répéta simplement la mise en garde qu'il m'avait servie à mon départ : pyramide onéreuse, arnaque de la croissance personnelle. Pourtant, c'était lui qui avait rapporté le dépliant à la maison. Il avait haussé les sourcils quand je le lui en avais fait la remarque.

- Tu as signé ?

- Oui.

- Je t'aime.

- Je t'aime.

J'étouffais.

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J'aurais donné n'importe quoi pour échapper à la séance du soir. On nous avait promis des surprises. J'appréhendais le pire. J'y eus droit. Un groupe de motivateurs fraîchement émoulus vint nous faire danser au rythme de Village People. J'avais du mal à y croire. Autour de moi, les participants levaient haut les bras, dévoilant qui des cernes de transpiration, qui des aisselles poilues. La nausée me reprit.

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Je ne pensais qu'au lac. Si j'avais pu y dormir, je l'aurais fait. Je me serais laissé flotter jusqu'à la fin du stage. On m'aurait trouvée toute ratatinée, mais sereine. Quel bruit ! Comme si le tapage ne servait qu'à nous empêcher de penser.

Il était toujours temps d'annuler mon contrat. Étrangement, je songeai que Bertrand ne l'apprécierait pas.

La tête me tournait. Ma raison fondait dans l'étuve du séminaire.

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Je suivis le groupe au dortoir. On avait ajouté un lit pour moi, coincé entre un mur et des casiers. Je me retrouvais si près de la porte que lorsqu'une personne sortait pour aller aux toilettes, le battant heurtait mon matelas. Je n'en pouvais plus.

Je sortis en nuisette. Tant pis. Peut-être que le gardien de nuit n'y verrait rien que de très innocent.

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Dave nageait. Il évoluait dans une blancheur nacrée, sous une lune qui le couvrait d'or. On aurait dit un prince romain au bain. Je restais dans l'ombre des arbres, retenant mon souffle, implorant les étoiles pour qu'on ne détecte pas ma présence. Nul garde en vue. Ces derniers savaient s'effacer.

Le dieu vivant plongea soudain, nagea un moment sous l'eau, s'ébroua, et sortit.

J'attendis. Longtemps.

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Le lac me faisait face, m'attirait, me captivait. J'avançai vers lui comme une convertie à son baptême, une communiante, une nouvelle mariée. Une lune complice bénit notre union.

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