Sublimation freudienne, ou envie de meurtre

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Il était entendu sur le sol, une balle dans le cœur, une balle dans la tête. Du sang continuait de s'écouler de l'endroit où les balles l'avaient atteint. Son visage, maculé de sang avait une figure de mort. Violence des tirs marquée sur la tapisserie bleue, décorée par de petites étoiles rouges scintillantes. La scène du crime s'apparentait à une toile contemporaine, dans sa violence, son exaltation et ses couleurs. L'homme portait un pantalon taupe, une sublime chemise rose à boutons de manchettes en argent, avec de charmantes chaussures en daim marron. Son imper trônait sur le perroquet blanc, d'un blanc immaculé. Un lustre à pampilles venait compléter ce décor succulent, le tout dans un hôtel particulier parisien des beaux quartiers, par une douce nuit, propice à la réalisation de tous les rêves.


Quelques secondes plus tôt, avant ce calme total, l'homme se tenait debout. Une coupe de champagne dans la main droite, un petit four dans la main gauche, un éclair au café pour être précis, il discutait. Il parlait d'art, justement. Il semblait passionné, tenait des propos assurés et déterminés. Il parlait de littérature, il parlait de théâtre, il parlait Fantin et Cézanne. François bougeait, marchait, comme pris dans sa réflexion, à devoir se mouvoir pour la faire se mouvoir. Les invités étaient partis, il ne restaient plus que lui et la femme qui l'écoutait, en serrant ses dents de rage. Il proférait des absurdités, ne voulait pas écouter ce qu'elle avait à dire, lui coupant la parole sans cesse, la regardant avec un air condescendant. Pourtant, elle voulait simplement s'exprimer, faire connaître sa position, l'étayer, l'argumenter, la justifier, l'illustrer. Elle ne demandait que cela. Mais sous prétexte de son âge, de son statut de spécialiste reconnu, il ne voulait pas la prendre en considération.


Alors, fatiguée, lasse de ne pas avoir son mot à dire, désespérée par les propos d'ignorant qu'il affirmait avec vigueur, elle avait sorti de son sac un petit revolver. Un petit revolver, tout petit, très joli, un Remington Double Derringer de calibre 41. Il n'avait pas eu le temps de s'en apercevoir, n'avait pas eu le temps de la ramener à la raison par des supplications larmoyantes. Elle avait tiré, sans trop viser, un coup, et l'autre s'était déclenché dans la fureur de l'acte.


Le parquet point de Hongrie absorba le choc du corps. Elle avait arraché à François sa raison et son cœur. Pour butin matériel, elle s'attacha à défaire soigneusement les boutons de manchettes, qu'elle voulait épargner. Ils n'étaient pas exceptionnels, mais c'était le symbole de l'élégance de François, le seul à toujours en porter. Jusqu'à la fin, elle le dépouilla de tout ce qui le rendait fascinant. Il restait sa bouche, symbole de son éloquence, mais celle-ci, elle ne s'en faisait pas, serait bientôt remplie de sang. C'était lui qu'il avait toujours mis en valeur, c'était lui qu'il avait toujours loué par son verbe, et c'était son sang qui l'empêcherait à jamais d'exercer tout acte rhétorique. Ses yeux n'étaient plus que deux point fixes, qu'elle décida de laisser ouverts. Après tout, c'était enfin le vrai reflet de son âme, un point fixe, terne, morne. Elle regarda le spectacle du corps dont le sang est encore rouge et la peau déjà pâle. Nonchalamment, après l'avoir essuyé sur sa robe de soirée à la coupe année 50 en satin, elle déposa le revolver dans le vide-poche, sur le guéridon. Elle jeta un dernier regard à l'homme hagard, haussa légèrement ses épaules nues et s'en alla, un départ rythmé par le coup de ses talons sur le parquet, parfois amortis par quelques tapis. Dehors, l'air frais lui fit le plus grand bien. Elle sourit, apaisée plus que jamais. La bruine qui devint pluie battante ne l'affecta pas. Sa splendide robe était trempée, ses cheveux décoiffés.

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