Dans ton coeur

4 minutes de lecture

A la frontière entre la vie et la mort, Jina regardait les étoiles.

Elles semblaient éternelles, alors qu'elle n'avait plus que quelques minutes à vivre. Leur lumière, halo rassurant qui parsemait le ciel, se reflétait dans ses yeux fatigués, au bord desquels coulaient des larmes de souffrance.

Depuis quand était-elle ici ? Combien de jours et de nuits s'étaient-ils écoulés depuis qu'elle gisait là, sans force, oubliée de tous ?

Elle ne savait plus. De toute façon, elle n'en avait cure. Tout ce qui lui restait, dans ce désert aux jours chauds comme la braise et aux nuits froides comme les glaces, c'était ses larmes. Et sa souffrance. Les seules à ne l'avoir jamais abandonnée, les seules dont la présence à ses cotés avait toujours été réelle. Ces démons la déchiraient, lui dévoraient l'âme et les entrailles tel un aigle sans pitié, jusqu'au jour où elle allait craquer.

Et Jina le sentait, ce jour était arrivé.

Elle en avait assez de lutter, marre de se battre contre sa vie qui l'avait tant malmenée, tel un fragile pétale balloté par l'océan.

Ce soir, elle partirait. Le pétale allait sombrer dans les abysses, et sa tristesse avec. Sa rancoeur, sa peur, tous ces sentiments dont on avait fait pour elle un quotidien, en l'ensevelissant sous les critiques et les injures, se noieraient sous l'eau.

Et puisque son coeur brisé ne pouvait se réparer, elle était certaine que la meilleure solution était qu'il cesse de battre.

On le lui avait souvent dit, d'ailleurs. Elle ne méritait pas de vivre, elle n'était qu'une anomalie, une tache qui salissait la belle existence des autres. On la frappait, on l'humiliait. On lui avait fait tellement de mal... Oui, tellement qu'elle avait fini par regretter d'être née.

Aujourd'hui, il n'y avait plus personne pour la rabaisser. Mais personne n'était là pour l'aimer non plus.

Jina soupira et ferma les yeux, laissant ses pensées vagabonder jusqu'à ce qu'elles basculent dans le néant. Pourtant, le néant ne vint pas. Quelque chose l'en empêchait.

- ...ina ! Jina !

Une voix, au loin, l'appelait. Et c'était son nom qu'on prononçait. Ce nom si souvent remplacé par des injures, ce nom qu'elle avait presque oublié qui ressurgissait à la surface. Malgré tout son corps qui la faisait souffrir, elle se retourna, faisant circuler la douleur dans tout son être, pour découvrir qui revenait vers elle et l'appelait alors que plus personne ne se souciait de son existence.

Gravissant les dunes dans un nuage de sable fin, une jeune fille marchait vers elle, peinant sous la chaleur du soleil. Jina la reconnut sans aucun mal : ces cheveux délavés volant au vent, ces yeux verts comme une plaine au printemps et ce visage si aimable ne pouvaient qu'appartenir à Violette. Violette, la seule à avoir marché à ses côtés lorsqu'elles étaient enfants. Cela faisait des années que Jina était sans nouvelles d'elle, et elle avait fini par penser qu'une fois encore, on l'avait abandonnée.

Pourtant, son ancienne amie se tenait devant elle, essoufflée comme si elle avait traversé le désert entier pour la retrouver.

- Jina, je suis désolée. Je ne sais pas par quoi tu es passée, mais s'il te plaît, ne te laisse pas mourir ici !

Cette phrase eut pour Jina l'effet d'un tsunami qui aurait balayé tous ses mauvais souvenirs. Comptait-elle enfin pour quelqu'un ? Elle haussa les sourcils tout de même surprise par le fait que Violette soit revenue et l'ait retrouvée à cette seule fin. Peut-être était-ce une mauvaise blague pour l'humilier, comme la fois où elle avait fini dans le bureau du directeur du lycée avec du purin dans les cheveux... La gorge nouée à cette perspective, la jeune fille l'interrogea du regard.

- Jina, écoute-moi. Si je n'étais pas là, ce n'était pas par choix je te le jure. Tu es toujours mon amie. S'il te plaît, viens avec moi, on va soigner tes blessures.

Violette était sincère, Jina le voyait dans ses yeux. Mais pourquoi ne l'avait-elle pas laissée, comme tous les autres ? Elle voulait tellement comprendre... Savoir pourquoi aux yeux de cette fille elle n'était pas un monstre, ni une indésirable condamnée au silence.

C'était si soudain, si inespéré...

Alors, pour la première fois, Jina serra les poings malgré toutes les entailles qui les couvraient, se concentra et articula :

- Pour...q...quoi ?

Un silence suivit cette question. Pas un silence gêné, ni menaçant. Un silence de joie et de soulagement.

Les yeux embués de larmes et un sourire aux lèvres, Violette la prit par la main.

- Parce que je t'aime.

Ce soir là, une flamme s'alluma dans le coeur éteint de Jina. C'était rouge, c'était bleu, c'était multicolore. C'était beau. C'était l'amour. Et enfin, ce coeur brisé, malmené, écrasé, contenu pendant tant d'années, battit enfin pour quelqu'un. Pour Violette. Sans s'en rendre compte, transportée par tout cet amour qu'elle avait gardé enfoui au fond d'elle pendant si longtemps, elle posa ses lèvres sur les siennes.

Désormais, sa vie allait changer. Tout allait changer. Portée par le vent, le pétale s'était envolé.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Souffle de Lune ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0