Prologue

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La légende d’Otaktay

Un vent étrangement chaud soufflait en cette journée hivernale, transportant dans son sillage des relents écœurants de chairs grillées. De retour de chasse, seuls le silence et la désolation accueillirent Otaktay au campement. Nahimana n’était plus qu’un tas de braises fumantes. Une épaisse colonne noire serpentait dans le ciel blanc de nuage. Le feu dévorait les tipis en peau de bisons et les Wigwams d’écorces s’écroulaient sur eux-mêmes. Des cadavres de femmes et d’hommes aux longs cheveux sombres et au teint tanné jonchaient la terre gelée. Le duvet noir de ses bras se hérissa. Le chasseur descendit de sa monture et abandonna le puissant wapiti trainé par celle-ci. Il se précipita à perdre haleine dans les cendres en poussant des cris désespérés dans toute la clairière. Ses yeux s’exorbitèrent quand il découvrit la dépouille de sa femme. Enceinte, la malheureuse avait été éventrée et le bébé arraché de ses entrailles. Son cœur s’enflamma. Il tomba à genoux et hurla en direction du ciel, provoquant une nuée d’oiseaux à travers les pins.

Parmi les cadavres, il aperçut certains enfants de la tribu, leurs corps piétinés par les sabots des chevaux et grignotés par les coyotes. Les plus jeunes s’étaient volatilisés. Les charognards les avaient-ils dévorés, ou les coupables les avaient-ils enlevés ? Il s’avança prudemment dans les restes du camp. Plus loin, il reconnut son frère. Un filet de sang séché s’échappait de sa chemise en peau. Des corps carbonisés nourrissaient plusieurs brasiers. Il pénétra dans l’une des rares tentes encore debout. Les colons avaient tout saccagé et pillé. Un homme était affalé contre la toile, la tête affaissée sur sa poitrine et une main posée sur son flanc. Un faux espoir s’insinua dans les pensées de Otaktay. Il s’approcha de son frère d’armes, mais celui-ci ne répondit pas à ses appels.

La haine gangréna son cœur et son esprit. Le chasseur tituba en dehors du tipi. Des larmes vengeresses roulaient sur ses joues et se mêlaient à la peinture de son visage. Des heures durant, sans s’arrêter, Otaktay enveloppa les défunts dans de la peau de bêtes et suspendit leurs corps dans les arbres, loin des crocs affamés. L’un des envahisseurs avait le crâne fendu par une Tomahawk. Un autre avait reçu une flèche en pleine poitrine. Il laissa les charognards se charger de ceux-là.

Terrassé par la fatigue, le chasseur abandonna ce cimetière à ciel ouvert et s’enfonça au cœur de la forêt pour retourner sur les traces de son rite d’initiation, là où l’ours, son animal totem, lui était apparu pour la première fois sur une étrange roche. Il pria le grand-esprit pendant des jours interminables, sans eau, ni nourriture. Jamais Wakan Tanka ne lui fournit de réponse quant à ce jour où le sang avait été versé. Affaibli par la faim et la soif, Otaktay périt par le froid en jurant de revenir dans le soleil ardent et les pluies diluviennes, dans la colère du vent et celle de l’Homme.

Depuis lors, l’esprit vengeur hante ces bois, tuant quiconque s’approchant de ses Terres, éviscérant les femmes à la recherche de son fils disparu.

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