Alma jacta est

8 minutes de lecture


(¯`*•.¸,¤°´'`°¤,¸.•*´¯)

¸,¤°´'`°•.¸O¸.•°´'`°¤,¸

|¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯•.•¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯|

~ Alma jacta est ~

|____________.•.____________|

*´'`°¤¸¸.•'´O`'•.¸¸¤°´'`*

(_¸.•*´'`°¤¸'¸¤°´'`*•.¸_)




Sa vie était un songe, sa vie était une rêve. Incolore, inodore ; sans malheur ni saveur. Il n'avait fait aucun choix, pris aucun risque. Il n'avait eu aucun ennui dans sa vie mais sa vie était pleine d'ennui.

Un matin, à son réveil, il fut pris d'une idée et d'une envie. Ce vide n'était pas une vie, sa vie était un mensonge. Il lui manquait un aliment essentiel, vital ; l'extase. En catimini il quitta sa famille, en quête de l'antidote. Car n'était-il pas malade pour avoir vieilli ainsi sans objectifs, incapable de jouir des fruits de son travail comme un zombie vaque sans relâche ? À quelques pas de son toit il trouva et s'enfonça dans un bois dans l'espoir de s'y dépourvoir.


L'âme nue, confus, perdu dans l'infortune, il parut à la bordure de nulle part. Sa triste mélancolie l'attira jusqu'à deux pistes ; un choix ! Risible ironie, impossible décision ! Il patienta puis une troisième voie lui sembla ostentatoire. Pourquoi ne pas l'avoir dépassée déjà ? Il s'y enfonça comme la nuit pénétrait la sylve.

La petite cabane qu'il avisa piqua sa soif subite de savoir qui habite une place si bizarre. Il s'y aventura, perdu, confus, sous les nues du crépuscule.




Norman se sortit d'un sommeil étrange. En se retournant, son bras chercha la voluptueuse texture qu'il aimait ressentir au petit matin. Mais en vain ! Déjà redressé, il se tourna vers le réveil et d'un geste frénétique, observa l'heure. Les quatre chiffres prévalurent sur toute fatigue ! En un éclair, il se prépara pour sa journée de travail. Comment Diable ne s'était-il pas levé plus tôt ? Il avait dû entendre sa femme, ses enfants ; du reste ils auraient dû le réveiller.

Conscient que l'explication n'apporterait qu'une maigre consolation, il prit la voiture et s'apprêta à partir.

Devant le volant, Norman s'interrogea. D'aventure, il avait apprit que le malheur n'enfantait que des jumeaux et souvent par trois ou quatre ! Il referma donc la voiture et prit soin de vérifier que sa maison était correctement verrouillée.

Ainsi Norman affronterait sa journée à bras-le-corps, quoiqu'elle lui puisse lui réserver.


Le bus n'était pas son moyen de transport de prédilection. Toute sorte d'hommes louches pourrait et viendrait troubler sa paix. Soucieux de ne pas faire de vague, il s'installa sur un siège qu'il estima discret. Mais en vain ! À peine assit, l'incartade d'un jeune au vocabulaire approximatif le fit soupirer de consternation. Le morveux descendit rapidement quoique bientôt remplacé par d'autres originaux, qui à l'hygiène douteuse et qui au sans-gêne orgueilleux... L'un d'eux prit place non loin dans une assise avachie et sans dignité aucune... Maudite soit l'extravagance !

Par un heureux hasard toutefois, personne ne vint s'incruster à ses côtés. Cela lui laissa l'occasion d'ouvrir sa sacoche et feuilleter ses...


Un agrégat de feuilles désorganisées attira son attention. Bien que très fines, et plutôt froissées, les pages sombres étaient plus douces que du papier glacé, presque comme une fourrure de poils ras. Des symboles géométriques et incompréhensibles formaient une bordure dorée. Le plus remarquable était incontestablement le texte au centre de celle-ci.

Les caractères d'argent étaient imprimé dans une police fine néanmoins très lisible, très élaborée cependant limpide. Quelque chose d'effrayant résidait dans cette esthétique quasi-artistique. Peut-être la page noire à la texture si unique sur laquelle était imprimé... Mais de quoi s'agissait-il d'ailleurs ? Sans que Norman ne puisse dire pourquoi, ses yeux pouvait déchiffrer chaque lettre mais pas leur donner un sens.


Un virage soudain lui fit se couper avec l'une des feuilles. Au même instant, une vieille dame s'abrita sur le siège voisin et il se sentit contraint de dissimuler ses documents sibyllins. L'invraisemblable blessure laissait déjà couler quelques gouttes au dos de la dernière page du manuscrit et un nouveau virage assaisonna les autres feuilles d'une petite pluie pourpre. L'irritation, et la gêne de se sentir collé par une antique inconnue, lui firent serrer les dents alors qu'il s'apprêtait à descendre.




La porte s'était bloquée si bien que Norman avait dû descendre à l'arrêt suivant et le temps humide ajoutait encore à sa frustration. Lorsqu'enfin il avait pu franchir le seuil de son bureau, il avait dû présenter des excuses et promettre que ça ne se reproduirait plus et assurer qu'il rattraperait le retard et demander à nouveau pardon de devoir s'excuser. Une fois installé, il reprit sa sacoche pour en ressortir les dossiers qui...

Six pages noires à nouveau le narguèrent. Il put au demeurant en analyser le titre, inscrit en grand sur la page de garde : Iacta alma est. C'est ce qu'il parvint à comprendre, parcourant les lettres pour la cinquième fois, et confirma par une dernière lecture. Ce devait être une plaisanterie de mauvais goût, probablement par sa femme et ses enfants. Avant de laisser le corpus de côté, il vérifia la date au cas où il aurait oublié quelque chose d'important. Début juin... Ni vacances, ni anniversaire à signaler... Le mystère restait entier mais c'est sans remord qu'il laissa les feuilles de côté.


Après tout, son travail confinait au rêve : il donnait des conseils dans une agence de voyage et l'approche de la saison estivale lui amenait une clientèle aussi abondante que variée. Après quelques coups de fils sans exotisme, à son plus grand soulagement, il reçut un appel d'un 06 qui lui glaça le sang. D'un réflexe mille fois aiguisé par l'habitude, son bras répondit malgré lui.

Une voix grave articula un «bonsoâr» lugubre.


«Norman ! N'oublie pas que tu dois rappeler le Club Med Napitia avec qui on a négocié. Ils veulent s'assurer d'être plein pour le mois d'Août alors il faut les rassurer...»


Le souffle court, Norman se rappela de ravaler sa salive. Ses yeux, grands ouverts, bondirent sur son téléphone. Avait-il raccroché ? Il essaya de chercher le numéro, sans trop savoir ce qu'il en ferait si...


«Norman ? !»


Il répondit à son collègue en tâchant de garder son sang-froid. Après tout, ce n'était sûrement qu'une blague. Ou une coïncidence. Ou la fin de la nuit qu'il avait ratée, tout simplement. Cinq appels plus tard, il se rasséréna. Midi approchait et il avait préparé un sandwich pour lire tranquillement les tendances touristiques du moment. Rien de bien passionnant ni nouveau mais ça lui permettait de se relaxer quand il était sous pression.

Au moment où il prit son portable pour appeler sa femme, il sursauta à cause du vibreur. C'était le même numéro.


Une voix grave articula un «bonsoâr» lugubre.

«Nous avons été coupé, expliqua-t-elle lentement. Mais désormais, vous m'entendez n'est-ce pas ?»

Incapable de prendre la parole, la même voix, ou peut-être son écho, répéta plusieurs fois «n'est-ce pas ?

- Qui êtes-vous ?»

Seul un rire répondit. Inexplicablement enfantin. Effroyablement jovial. Puis plus rien.




Le reste de la journée fut plus calme même si la voix de l'inconnu résonnait encore à chacun de ses battements de cœur. Norman avait effectivement rattrapé son retard et les heures passant, seuls quelques-uns étaient encore à travailler. C'est l'un d'eux qu'il croisa à la machine à café avec l'ambiance sereine d'une fin de journée d'été.


«Alors, il paraît que t'as vu du pays ce matin ?»

La boutade ne fit rire que son auteur. D'habitude sympathique bien qu'un peu lourd, son homologue avait plus exubérant que lui et beaucoup moins diplomate. Dans une réponse élusive, il commanda son café.

«D'ailleurs je vais négocier avec un hôtel sur Genève en début de semaine prochaine et comme t'es plutôt doué pour ça, tu veux m'accompagner ?

- Je sais pas, j'aimerais en parler avec ma femme d'abord.

- Ah sacré Norman, on sait tous que tu n'as pas de femme ! Mais tant pis pour toi. Hey Bernard, t'as une seconde ?»


Immobile devant la machine à café, Norman se sentit soudain écrasé par un abominable alanguissement. L'épouvante l'empêcha de réfléchir. Il ressentit les doigts squelettiques de la paralysie parcourir en spirale son corps inerte. Puis le sang afflua dans ses jambes comme une formidable incitation à chercher la réponse. Incapable de dire s'il marchait de façon apathique ou se précipitait à toute allure, il revint à son bureau.

Une masse ténébreuse tachait son bureau comme pour absorber toute la pénombre de la pièce. Il se précipita dessus, les froissa davantage en les récupérant et tourna fébrilement les pages. Quand son téléphone sonna, il décrocha et raccrocha immédiatement.


Il rassembla toute sa concentration pour lire les caractères stylisés. Mais le vacarme des voitures au-dehors l'en empêchait. Mais les sonneries de téléphone le harcelaient. Même le ricanement infantile explosa dans son crâne. Derrière son épaule une présence se rassemblait comme pour lire avec lui, effleurant son dos d'une chaleur brumeuse. Derrière lui, il referma la porte sans ménagement. Depuis sa fenêtre le regard du voisin fut indigné quand il baissa les quatre stores.

Norman se sentait encore observé mais au moins, personne ne pouvait le voir lire ces satanées fiches !


Les lettres, qui l'obsédaient tant, paraissaient d'ailleurs fort anormales. Il avait l'impression qu'elles flottaient légèrement au-dessus de la feuille, se défiant des lois de la gravité. Une goutte sur le papier le fit de nouveau sursauter. C'était de la sueur. Pourtant il tremblait de froid. Ou peut-être de nervosité. Il regarda derrière lui, à travers la vitre de sa porte, pour vérifier que personne ne l'observait. Puis ses yeux se replantèrent dans les caractères. Il tourna la dernière page. Sans même chercher à lire le reste, il chercha la signature. Sa signature. Des gouttes l'avaient déformée de façon inquiétante. C'étaient les gouttes de sang versées dans la matinée. Il chercha l'entaille malgré ses tremblements mais riva aussitôt ses yeux sur la signature. L'autre signature. Des petits caractères dansaient au-dessous. Peut-être vibraient-ils ou peut-être qu'il ne contrôlait plus ses frissons. Un mot pourtant était particulièrement reconnaissable : «âme».


En quittant son poste, Norman croisa un autre collègue qui lui demanda s'il allait bien. Comment pouvait-il aller bien ? Il était livide et sa bouche n'avait jamais été aussi sèche ! 

«Oui tout va bien mais j'ai hâte de rentrer», et retrouver mes enfants, ne rajouta-t-il pas à voix haute.




La porte d'entrée grinça longuement avant de se refermer. Un silence de mort s'était abattu et Norman n'avait pas encore allumé la lumière. D'ailleurs il ne l'allumerait pas... Si quelqu'un le voyait ? Tous les volets devaient être baissés. Il ferma à double tour la chambre secondaire. Avant de s'enfermer dans la sienne. Pour ressortir le torchon cabalistiques. Il n'alluma qu'une bougie pour relire le contrat. Celui qu'il avait pu signer, dans une cabane isolé, pour tuer sa morosité.

Son portable sonna. Paniqué, il l'arracha de sa poche. À trois reprises, il l'éclata au sol et il l'écrasa par trois fois. La chaleur, la soif et la peur lui donnaient la nausée mais il reprit son contrat. Il le connaissait déjà par cœur mais, pour être certain, le lisait encore. Il y avait trois clauses principales. La première affirmait qu'il pourrait, à loisir, échanger ses défauts avec les qualités des personnes qu'il rencontrerait. En relisant encore et encore les mêmes mots, il espérait pouvoir se souvenir de ce qu'il aurait pu échanger, de ce qu'il aurait pu être et... Des personnes qu'il avait croisées. Était-il possible... ?

La deuxième clause lui assurait une efficacité sans pareille dans son cercle professionnel. Plus il s'attardait sur les caractères - ô si beaux - plus il craignait leur signification. «Sans pareil», cela veut dire «meilleur», n'est-ce pas ? Cela veut dire que l'on est talentueux alors ? Ou... Que les autres deviennent moins... Il n'avait pourtant pas beaucoup travaillé aujourd'hui alors est-ce que... Pourquoi est-ce qu'il n'avait entendu personne d'autre d'ailleurs ?


L'angoisse brûlait sa gorge à chaque fois qu'il lisait la dernière clause. Depuis exactement deux heures maintenant, il scrutait les lettres avec une démence avide. Il avait conclu le fantasme le plus absurde auquel il aurait pu penser. Pourtant, grâce à une véritable chape d'obscurité et de solitude, il revivait l'instant où tout souhait pouvait lui être accordé, ou son pacte avait été forgé. Où son indubitable folie l'avait mené. Il se souvint d'un désir de sensations, d'un appétit incommensurable de stimulations, d'une exigence ivre d'extase. Vivre l'adrénaline dans sa vie si insipide. Alors il avait souhaité cette dernière clause. Il ne voulait blesser personne. Il voulait que ses crimes n'aient pas de victimes ; qu'elles n'existent jamais.

Qu'elles n'aient jamais existé.


Il s'évanouit dans la nuit comme une bougie qui brille dans un rire hystérique.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ardolon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0