La boîte aux lettres

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Elle a 22 ans. L'âge de l'insouciance, des copains et des projets sans fin. Je l'entends chaque matin dévaler le raidillon de gravier, souvent une chanson au bord des lèvres. Je pourrais presque entrevoir ses boucles rousses voltigeant dans l'air du temps. Au creux de ce petit bourg où elle va-et-vient, le petit bourg de Sologne où je repose.

Chaque jour, la mélodie suspend son vol et le pas s'arrête. Là, juste devant moi. Toujours à la même heure, elle soulève le clapet et je l'aperçois dans l'insolence de sa jeunesse. L'index posé négligemment sur ma façade, elle jette un oeil distrait par la fente, puis s'en va comme elle est venue après m'avoir rendu visite. Avec sa chanson, ses boucles et son pas léger.

Saison après saison...

Aujourd'hui, c'est l'automne.

Elle est venue au rendez-vous, plus tôt que d'habitude. Le pas était peut-être plus rapide, le souffle court, la chanson intérieure. Quand la lumière du jour a pénétré, je l'ai aperçue se détachant au milieu des feuilles mortes qui tourbillonnaient. C'est alors que j'ai vu son regard de verre se figer, à mi-chemin entre les aubes tourmentées et les crépuscules sans lendemain. Elle s'est enfoncée en elle-même. Coeur en croix, bouche ouverte...comme dit une autre chanson. Qu'a-t-elle découvert au détour du chemin, qui aurait pu troubler sa petite promenade rituelle ? Que pouvait-il donc y avoir, posé sur la paillasse de ma boite vide ?

Rien justement. Il n'y avait rien. Ou pour tout dire, il n'y avait plus rien. Rien que la résignation face au gouffre. Un moment de lucidité fulgurante, après l'attente et l'espoir. Elle est restée là, cramponnée à ma bouche. La sienne tremblait un peu.

Puis elle a lentement retiré sa main et repris sa route. En chantonnant. Un panier au bout de son bras...Sans doute.

C'est jour de marché. Elle a 22 ans. Elle chante.

"Elle est bien gaie la demoiselle aujourd'hui, hein ? c'est bien vrai ça !!".

Elle a 22 ans la demoiselle, l'âge d'être une femme et d'une souffrance indicible.

Chaque jour depuis, elle a descendu le même raidillon, à la même heure. Chaque jour, sa figure s'est coupée du monde au rythme de la chanson, puis s'en est allée, avalées elle et sa mélodie tendre par les servitudes du quotidien.

Ce matin, ses yeux sont clos. La nuque légèrement en arrière. Un visage de madone abandonnée à l'absence... Je lui parle doucement, espérant la sortir de sa langueur. Tant de fois j'ai murmuré : " je suis là ". Peine perdue, mes efforts noyés dans le flot de sa chanson monotone et continue, tandis qu'elle s'éloigne encore...

Et maintenant l'hiver.

Enfin, d'après ce que je peux en ressentir. Je l'aurais bien attrapée par son écharpe l'autre jour pour lui demander de repeindre ma boite rouillée. J'ai les pieds mouillés. Et avec ce froid glacial...

Je l'entends...dans sa petite allée de graviers, la chanson au bord des lèvres. Elle s'arrête.

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