Une ombre sur nos pas

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Les premiers jours se passèrent sans encombre, le voyage était jeune, la monotonie ne s’était aps encore installé. Sur les recommandations du vieux chaman, ils ne voyageaient aps tous de concert. Veena était le guide avec Yick en éclaireur, son puma précédait le groupe afin de trouver le prochain point de bivouac chaque nuit. Silk utilisait les voies aquatiques pour les rejoindre chaque soir. Souvent Ptor avançait juste derrière Veena, d’un pas constant. Puis dans un ordre variable une Sor’a moins sautillante passé le 2e jour de marche, le chaman bleu, capuche rabattue et yeux semi—fermés et enfin Imala avec l’ombre d’un loup sur les pas.

Imala leva la main. Sor’a s’arrêta net et tendit le bras en travers du chemin de Nared. Quelque chose avait alerté Veena. Soudain, elle se mit à courir. Ses sœurs suivaient sa course, sentaient l’urgence que Veena ne taisait pas. Fondu dans ses pas, Shad partagea sa vue avec Imala. Loup et Yorubek venait de pénétrer dans une zone dégagée par la chute d’un vieux chêne. Se dévissant le cou, un homme pâle scrutait les ramures alentours en tous sens en marmonnant.

— Guro, que se passe-t-il ? demanda Veena en lui touchant l’épale.

— Je l’ai perdu. Je l’ai perdu, murmura-t-il sans la regarder.

Veena s’agenouilla devant lui, attrapa son menton râpeux et planta ses yeux verts dans ceux noisettes de son ami.

—Guro, où est Tuk ?

Des larmes pointèrent au coin des yeux de l’homme. Sans ciller, il dévisageât Veena et tendit la main vers le sud.

— Il m’a dit que la forêt se taisait. Il est parti en avant. Il voulait savoir si je devais vous arrêter.

Sor’a ne comprenait rien à cette scène. Les ailes d’Urrh bruissaient si fort qu’elle n’entendait pas le murmure du Relié.

— ‘Imala, qu’est-ce qu’il dit ? Et qu’est-ce qu’il fait là ?

— ‘Son écureuil a disparu.

Nared regarda d’un air résigné les échanges de regards et mimiques équivoques des deux sœurs. L’une d’elles finiraient bien par se rappeler sa présence.

— ‘Imala demande à Shad de m’aider STP. Yick est trop haut pour voir quoi que ce soit. Flin dort quelque part devant et entre lui et nous un danger a attiré l’audacieux Tuk. Je dois aller voir.

— ‘Mon ami, accompagne ma sœur. Assure toi qu’elle ne se mette, pas trop, en danger. Une ombre vous guette. Soyez vifs et furtifs.

Sor’a n’émergea des sous—bois avec vue sur la souche pourrissante que pour apercevoir les tresses de sa sœurs s’enfonçant à l’autre bout de la trouée, et le Relié prostré, les bras serrés autour de ses genoux.

Le chaman bleu auquel Imala avait expliqué la situation s’approcha du Dourouz qui avait autrefois fait partie du village dont il avait la charge.

—Bonjour Guro. Veena fera tout son possible pour retourner ton Lié. Peux-tu nous dire ou décrire précisément ce que Tuk a perçu ?

— Un silence qui se répandait. Comme si la vie s’éteignait devant nous.

Son visage s’anima quand il ajouta :

— Les écureuils sont très forts pour percevoir les dangers. Il en va de leur survie. Tuk est très très fort. Son instinct est incroyable. Je n’ai pas eu le temps de le retenir. On devait juste veiller sur vous de loin. Je ne savais pas trop comment vous présenter la situation. Il n’a pas attendu que je décide. Puis une odeur lui a piqué les yeux. Il a éternué et puis…je ne le sens plus.

Sor’a se força à articuler :

—Imala, cela ressemble à la scène avec le faon.

Shad ! Veena ! cria Imala via leurs liens, envoyant l’image de la biche, du faon, et de Shad groggy.

‘Je l’ai senti Imala. Nous le contournons. Veena a compris qu’elle doit me suivre.

‘Ton loup m’a barré la route. Je le suis.’

Imala partagea avec Nared et Sor’a à voix basse.

Le chaman bleu sortit une pate visqueuse d’une bourse de cuir huilée et se mit à la mastiquer.

— Imala, je veux que tu t’ancres dans le présent. L’ennemi a déjà touché Shad. Il pourrait être encore plus ouvert et te blesser à travers lui. Avec la XXX, je vais m’entrouvrir en maintenant un verrou solide autour de mon esprit.

Imala laça un ‘surveille-le et reste attentive’ à Sor’a en montrant Guro d’un geste du menton. Ptor entreprit de parcourir un cercle autour du groupe. Urrh se blottit sur l’épaule de Sor’a. Imala prit une poignée de terre dans sa main. La renifla, laissant filer quelques miettes d’humus afin que toucher et odorat la fixent dans le présent. Son cœur tremblait.

Nared qui scrutait le pourtour de la clairière depuis une vingtaine de minutes en silence fit signe aux sœurs.

— Une ombre attend. Je crois que Veena l’a contournée. Néanmoins elle s’étend largement devant nous. Nous allons les rejoindre en nous séparant. L’une de vous ira avec Guro.

—J’irai, dit Imala.

Sor’a se tourna vers Nared en hochant la tête.

— Imala, prend mon Lié avec toi. Il te montrera le chemin évitant l’ombre vers un point de regroupement. Sor’a donnera l’info à Veena dès que j’aurai trouvé une zone sécurisée.

Imala se tournait vers Guro lorsque Nared ajouta doucement :

— Tu sais que tu ne dois contacter aucun d’eux la première n’est—ce pas ? Ni toi Sor’a. Vous devez attendre. Ils vous contacteront dès que possible.

Il lança un regard appuyé à Sor’a qui baissa les yeux.

Il leur fallut deux heures de détour pour se retrouver. Sans Tuk. Shad n’avait pas mémorisé son odeur à Reywat.

Veena vint prendre Guro hagard par le bras et le mener près du feu où, déjà, un lapin et deux grives rôtissaient. Silhouette magnifiée par le feu, le puma sortit de l’obscurité et regarda fixement le Dourouz.

— Guro, Flin dit qu’il connait l’odeur de Tuk et de ce qui nous guettait cet après-midi. Il se propose d’aller voir maintenant que la nuit est tombée.

Guro hocha lentement la tête. Alors qu’Imala pensait solliciter Alya dont l’ouïe exceptionnelle aurait pu aider. Shad se proposa indiquant que si Tuk était froid, il sentirait encore l’écureuil mais ne bougerait plus. Imala frémit au côté froid et concret de son Lié. Shad et Flin avaient l’habitude de travailler ensemble. Utilisant le même sens, ils couvriraient de manière homogène un plus grand territoire. A condition que Tuk soit au sol ou presque. S’il est perché, c’est qu’il va bien, rétorqua le loup. Ils se fondirent dans la nuit.

Le repas généreux offert par la forêt et l’opportunisme de la chasseresse fut silencieux à l’exception des grognements de Nared lorsqu’il se brula avec les tubercules cuits sous la cendre. L’effet attendrissant sur Imala ne passa inaperçu à aucune de ses sœurs. Le moment était mal choisi pour taquiner leur ainée regretta Sor’a.

Alya était de garde jusqu’à l’aube. Puis Silk prendrait le relais avant le lever des trois. La lumière de l’âtre diminuait lorsque Veena sentit à travers son sommeil le trépignement de joie de Guro. Tuk arriva peu après, sans bondissement. La douleur d’une patte blessée illuminant par a coup sa conscience. Sor’a, l’apprenti soigneuse s’en chargerait au réveil. Veena se blottit contre Flin qui avait décidé de lui tenir chaud.

Silk gratta l’épaule de Sor’a dès que celle-ci se retrouva, signe d’une fin de sommeil. Les loutres sont très sensibles aux autres et Tuk irradiait la douleur. L’écureuil dormait à distance de son Lié pour éviter un geste brusque.

Une flèche verte se mit à tourner autour de Sor’a pour se réchauffer.

— Il est difficile pour vous d’être attentif aux petites créatures. Je comprends la prudence de l’écureuil.

Sor’a grimaça au souvenir de la blessure qu’elle avait infligée à son ami ailé dans un mouvement d’humeur.

Silk s’interposa à cette pensée : Patte avant droite à vif. Onguent de maitresse soigneuse bien pour petit blessé.

— Oui ma Silk. Merci de me rappeler à mon devoir immédiat.

Veena recouvrait le foyer éteint de terre pour limiter leur empreinte sur la forêt. Elle sentit le regard pensif de sa benjamine.

— Oui Sor’a. Tuk me connait, je pourrais le tenir. Je vais néanmoins réveiller Guro. Ce sera plus agréable pour tous de pouvoir communiquer. Et je pense que je réagirai mal si j’étais réveillé par la douleur infligée à un de mes Liés.

Le rictus qui accompagna cette pensée était peu engageant. Le puma couvait sous la peau de la chasseresse.

Une fois Tuk bandé et empaqueté pour être transporté par Guro, les outres remplies à la rivière, Sor’a souhaita une bonne journée de nage à sa loutre. Yick avait repéré un étang idéal pour le prochain campement. Il était revenu avec un poisson frétillant dans ses serres au cours du petit déjeuner.

Silk alléchée n’avait pas trainé. Ptor qui appréciait peu cette longue marche se réjouissait d’un étang poissonneux. Quant au pélican, il montra pour la première fois un signe de joie.

Il allait de soi que Guro resterait avec eux. Veena repartit au petit trot, son faucon à son aplomb et les deux hommes du groupe suivirent en devisant à voix basse.

Elle savait qu’ils étaient là n’est-ce pas ? demanda Sor’a à Imala

— C’est probable.

__ Pourquoi n’a-t-elle rien dit ?

Imala lui envoya une image du sourire de Shad : langue légèrement enroulée et mâchoires entrouvertes.

— Imala, sérieusement…

— Réfléchis-y.

Ce n’est qu’en début d’après-midi, après une courte halte, que Sor’a se tendit à nouveau vers son ainée.

J’ai compris. Veena savait que Guro était là mais elle ne l’a pas, lui, senti prête à se montrer. Elle connait bien ce sentiment et l’a respecté. Ce ne doit pas être facile d’être empathique. Tant d’éléments à prendre en considération. J’ai déjà du mal à démêler mes propres ressentis.

— Je sais. Tu es encore jeune.

Sor’a ne sentit aucune réprobation dans les pensées de sa sœur. Elle repensa à sa dispute avec Veena, aux mots du vieux chaman. Ptor se porta à sa hauteur. Elle lui passa la main sur l’épaule et avança en silence le reste de l’après-midi.

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