Le matin des pervers

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Pervers :Du latin perversus (« renversé », au figuré : « appliqué à contre temps, vicieux »).


Accoudée au bar de sa cuisine, elle sortait avec douceur du sommeil en attendant le sifflement salvateur de sa cafetière italienne. Une bonne dose d'amertume, voilà bien la seule chose qui serait à même de lui faire quitter pour un temps le monde des songes. Elle était stupide, ou le pensait-elle, ce qui pour elle revenait au même.


Il régnait un silence sépulcral au sein de son petit appartement tout neuf. Une de ces constructions sans âme, construites à la chaîne dans une de ces villes nouvelles. Un sourire satisfait apparut tout du moins aux coins de ses lèvres fines : elle arriverait bien à donner une âme à cet endroit avec le temps et puis c'était son chez elle à elle après tout, son abri contre le reste du monde. Alors pourquoi l'avait-elle ramené chez elle ? Idiote, songea-t-elle à nouveau, tout en contemplant ses ongles ravagés et rongés par le stress. Elle entendit un bruit, comme un soupir depuis le fond de son couloir, celui-là même qui donnait vers sa chambre à coucher. Il devait être réveillé à présent.


A cet instant précis, elle aurait bien aimé avoir un super pouvoir, un seul. Celui de revenir dans le passé. Elle n'aurait rien changé à cette magnifique soirée, exceptée une seule et unique chose : elle ne l'aurait pas ramené chez elle. C'était stupide. Pourquoi lui avait-elle ouvert la porte de son minuscule sanctuaire de banlieue ?


A ses pieds elle entendit un ronronnement. Son vieux greffier, son matou miteux, se frottait avec tendresse et intérêt à ses jambes : c'était l'heure des croquettes. Elle sauta de son tabouret et s’exécuta avec rapidité. C'était à se demander qui est-ce qui commandait ici ! Nouveau sourire. Ce chat, prénommé Arsène à cause de la forme singulière de ses moustaches évoquant bien plus un bourgeois du 19ème siècle qu'un vieux chat de gouttière était son fidèle compagnon . Avec quelques livres et bibelots, il était le dernier témoin en vie de sa jeunesse. Et lorsqu'un si vieil ami a faim, la moindre des choses c'est de lui donner à manger n'est-ce pas ?


Tout affairée qu'elle était à s'occuper de son félin au pelage gris, elle n'entendit pas son compagnon d'une seule nuit la rejoindre dans la cuisine.


_Oh chouette du café frais ! Dit-il avec un enthousiasme presque enfantin.


Elle releva la tête, balaya une mèche de cheveux bruns qui lui masquait le visage et contempla son partenaire d'une nuit. Il était plutôt bel homme selon ses critères : grand, les épaules légèrement carrées, assez mince et une chevelure blonde qui tirait presque sur le roux. Il rayonnait de gentillesse et de fragilité.


Voilà, c'était pour ça qu'elle l'avait ramené chez elle : elle adorait les hommes avec cette allure légèrement vulnérable. Elle lui rendit donc son sourire et sans un mot lui servit une tasse de café.

_Tu aurais du sucre. Je bois mon café noir et sucré.

_Doux comme le désir, noir comme le péché... répondit-elle songeuse.

_Quoi ?

_Non c'est rien, juste une phrase que j'avais lue dans un vieux comic. Il est assez fort pour toi ? Demanda-t-elle déjà repartie dans ses propres pensées.

_Parfait, de quoi réveiller un âne mort !

Elle sourit et, une fois sa propre tasse à café vide, vaqua à ses occupations en silence. Elle n'avait pas réellement envie de discuter avec lui mais elle ne souhaitait pas se montrer totalement impolie en le jetant à la porte sans lui proposer un petit déjeuner et une douche.

_C'est mignon chez toi, un peu petit mais mignon. Tu y vis seule ?

_Tu as vu un autre homme, répondit-elle du tac au tac. Il souffla sur son café en murmurant un « j'aurais du m'en douter ». Elle lâcha bruyamment sa tasse dans l'évier et se tourna vivement vers lui.

_Comment ça « tu aurais dû t'en douter ? », demanda-t-elle, glaciale.

_Je ne me voulais pas me montrer vexant mais les femmes qui fréquentent ce genre de lieux ne sont pas le genre à être mariée et avec trois enfants...

_Hé ben, tu viens de te vautrer royalement. Tu n'étais pas aussi méprisant hier soir quand tu avais ta tête entre mes cuisses.

_Attends t'emballe pas, c'était génial hier soir mais je disais simplement...

_Je t'arrête tout de suite : ce que tu as à dire ne m'intéresse pas. Rhabille toi et casse toi de suite. Le bras tendu, le visage fermé et le ton sans appel. Il ne tenta même pas de répondre quoi de ce soit. Un gosse, voilà tout ce qu'il était.


La porte claqua et l'air frais de l'extérieur s'engouffra dans son petit appartement.

_On est pas mieux tout seuls mon Arsène ?

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