L ENLÈVEMENT D'ORION SULLIVAN

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Mercredi matin. Je pousse un grognement en entendant le réveil de ma partenaire nocturne. Sa sonnerie est le dernier tube de Soprano. Je déteste cet artiste. J’émerge le premier de l’océan de draps renversés sur le lit. Une touffe de cheveux auburn posée sur l’oreiller voisin atteste de la présence de la jeune femme avec qui j’ai passé la nuit.

Je me lève, observe son dos constellé de grains de beauté et j’essaie de me rappeler de son prénom. Un prénom qui commence en F. Frédérique ? Félicia ? Felicity ? Félicita ? À moins que ce soit un prénom en E ? Peu importe. D’ici une heure j’aurais déjà oublié son existence. Aussi vite consommée, aussi vite oubliée. Son nom n’a donc point d’importance. Je ramasse mes fringues au pied du lit et file dans la salle de bain pour me rhabiller.

Je ressors en hâte après m’être gargarise de bain de bouche pour me débarrasser de ma mauvaise haleine matinale. Je tombe nez-à-nez avec… cette fille. Elle est assise dans son lit, la tête posée lascivement sur ses genoux et me dévore du regard. Soit elle repense à la nuit enflammée que nous venons de passer soit elle veut un « rappel »de nos ébats. Les deux options dont possibles mais je préfère la laisser sur sa faim. Ne pas abuser des bonnes choses trop rapidement permet d’éviter de basculer dans la banalité. Un credo que j’ai appris amèrement avec une ex.

- Tu ne veux pas rester pour le petit-déjeuner ? me demande t-elle d’une voix mielleuse

- J’aurais bien aimé mais j’ai une journée très chargée, je mens de manière éhontée.

- C’est bien. C’est bien, dit-elle d’un ton déçu témoignant du contraire

Damn ! Je suis tombé sur une sangsue. Une sangsue pour moi c’est une nana qui s’attache super vite à moi après qu’on ait couché ensemble. Ça arrive plus souvent que je ne le souhaiterais. Je suis victime de mon succès ! Cette fille, dont je ne connais pas le prénom, m’a l’air sympa et puis, elle s’est pas mal débrouillée hier soir. Elle me regarde avec ses yeux dignes du Chat Potte dans Shrek. Elle m’en ferait presqu’oublier que j’ai laissé mon cœur avec mes vieux rêves d’enfant.

I wish I could give you my love and my soul

J'aimerais pouvoir te donner mon amour et mon âme

But inside my chest there is nobody home

Mais dans ma poitrine il n'y a personne à la maison

Animal, Symphony Soldier, The Cab

Regardons dans mes notes mentales pour m’enfuir sans la froisser…hmmmmmm…Trouvé !

Je fais mine d’être triste de me priver de sa compagnie, prétexte un rendez-vous de dernière minute avec mon éditeur et lui promets de la rappeler pour qu’on se revoie. Elle semble avaler ce bobard et je me tire sans me demander mon reste. Une fois arrivé au pied de son immeuble, je me dis que je préfère tomber sur une fille qui veut juste s’amuser comme moi. Pas d’attachement, pas de prise de tête, pas de déception pour l’un comme pour l’autre.

J’essaye de repérer les environs pour essayer de savoir où je me trouve. La veille, j’étais un peu trop « occupé » pour m’en soucier. Je suis à une dizaine de minutes de chez moi en métro. Je m’apprête à plonger dans la station quand une voix féminine m’appelle dans mon dos :

- Orion ! Orion !

Je me retourne et je me trouve alors nez à nez avec une jeune femme plutôt, le terme adéquat, délicieuse. Une petite brune, aux yeux de jade, accourt vers moi. Sa veste en cuir ouverte révèle un pull prune qui met particulièrement en valeur sa poitrine. Un ange qui tombe à moi de bon matin, est une belle aubaine. Et je dis ça alors que je lève une femme différente par soir. Ne me jugez pas ! C’est plus un sacrifice qu’un plaisir !

- Oui ? C’est bien moi, je réponds à ses appels étonné. Tu es ?

- Salut, Orion ! Bah c’est moi, Lucie, répond elle comme si c’était une évidence que je connaisse son prénom. Tu te souviens pas de moi ?

Le problème est que c’est le cas. Malgré le fait que je sois subjugué par cette beauté matinale, je ne me souviens pas du tout d’elle. Sur les six derniers mois, je me suis fait une dizaine de Lucie alors imaginez sur les dix derniers années. Excusez-moi de ne pas tenir un PowerPoint de toutes mes somptueuses et nombreuses conquêtes avec leurs fiches d’identité.

Une fille sublime comme ça mérite sans conteste une seconde chance. Je dois adopter la meilleure stratégie pour retourner dans son lit : mentir.

- Mais bien sûr que je me souviens de toi !

Et l’oscar du meilleur interprète masculin revient à Orion Sullivan pour « Je me souviens de toi, bébé ».

- Qu’est-ce que tu deviens depuis le temps ? je demande

- Je bosse dans le marketing digital pour Canal+. C’est assez prenant ! J’ai pas trop de temps pour moi et toi ?

- Moi ? Trois fois rien ! Je suis écrivain. J’ai sorti un premier bouquin qui s’est vendu à quelques exemplaires, dis- je modestement.

Si elle sait à combien s’est écoulé mon premier livre, « quelques » est très éloigné de la réalité. Grâce à mon premier livre, les spécialistes ont commencé à me surnommer le Prodige de la Prose. J’adore !!! Mais bon. Je ne dois pas dévoiler toutes mes cartes d’un coup. Déjà me présenter comme un artiste est un bon point. Ça me fait passer pour un gars qui vit de sa passion.

Cela a l’effet escompté. Je lis de l’admiration dans ses yeux émeraude que j’imagine déjà fermés quand je serai en elle. L’excitation commence à poindre à l’horizon… enfin plutôt dans mon pantalon. Elle me demande ce que je fais de ma soirée. Je prétexte une réunion avec mon éditeur qui pourrait durer mais je peux en finir rapidement. Elle me propose alors de la voir après le boulot sous les coups de 19h30. J’accepte volontiers et je lui donne rendez-vous dans un bar que je connais.

- Tu as encore mon numéro ? me demande t-elle. Pour que je te prévienne en cas de retard.

- En fait, non. J’ai changé de téléphone depuis la dernière fois où on s’est vus. J’ai perdu tous mes numéros.

Oui c’est un mensonge. À l’heure actuelle, j’aurais pu la stocker sur mon compte Gmail ou ma carte sim. Quand je sors avec une femme et que ça se finit, j’efface toute trace sur mon téléphone. Ça évite la tentation de « manger des restes ». Oh ! Ne me regardez pas comme ça ! Si vous ne finissez pas votre assiette, c’est que le plat ne vous plaît pas. Cela est également valable dans les relations hommes-femmes.

Je reprends son numéro en ne me souvenant toujours pas de quand j’ai pu me taper cette beauté. Suis-je sujet à un Alzheimer précoce à trente ans ? Elle s’en va le sourire aux lèvres après m’avoir fait la bise sur les deux joues. Le contact de sa peau contre la mienne a le don d’accentuer mon envie de la posséder. Je fais mine de rien et je lui souhaite une bonne journée. Ce soir, tu seras mienne et pas qu’une fois, je lui promets mentalement.

Ma journée se passe comme toutes les autres. Je me pose le matin dans un Starbucks pour griffonner quelques pages de mon nouveau livre. Et non, mesdames et messieurs. Je ne tape pas direct mes œuvres sur ordinateur. Je suis de la vieille école armé d’une feuille et d’un stylo. De plus, en marmonnant à voix haute quelques extraits bien pensés de ma part, je peux attirer quelques belles jeunes femmes avec lesquelles je pourrais finir la journée. Et pas pour jouer au Scrabble si vous voyez ce que je veux dire. Je ne pense qu’à « ça », au sexe ? Arrêtez de faire vos saintes nitouche ! L’Homme, ça englobe également la gente féminine, n’a que trois préoccupations : sa gueule, l’argent et le sexe. Le premier induit les deux autres.

Je pars jouer au squash avec un ancien pote de fac. Un gars qui bosse dans la finance de marché. Il est tellement stressé par son métier qu’il est obligé de se charger en antidépresseurs pour arriver à tenir. En cas de test antidopage, je suis sûr qu’il pisserait bleu comme un schtroumpf. Je me fais un japonais à volonté. Fais un peu de charme à l’une des serveuses mignonnes. Une vraie japonaise de surcroît. Une denrée rare. Je prends discrètement son numéro et je me dis qu’elle sera mon amuse-bouche du lendemain. Je pars ensuite dans une Fnac. Je me pointe bien ostensiblement devant le rayon des tops ventes du mois. Mon premier livre est toujours en première place. Quel honneur ! Quel plaisir ! C’est limite j’ai la gaule rien que d’y penser. Je rentre chez moi, m’embrouille au téléphone avec mon éditeur qui me reproche de n’avoir rien pondu de bien depuis deux mois. Je ne suis pas une vache à lait. Je raccroche après m’avoir convaincu de me filer une nouvelle avance. Il accepte à condition que je lui présente un nouveau chapitre la semaine prochaine mais un bon. Ce n’est pas un problème. J’ai dix bons chapitres sous le coude. Je ne les présente pas tout de suite pour lui cracher autant de tune que je veux.

Je fais une sieste. Je me pose devant Netflix. Malgré des efforts surhumains de concentration, je ne comprends rien à ce que je regarde. Je suis obsédé par Lucie. Sa bouche, ses seins, ses fesses…Rien que d’y penser, ma tente est déjà plantée. Je passe sous la douche, enfile une chemise, un jeans et une paire de converse. Je passe à mon poignet droit des bracelets de Thaïlande, Indonésie et Singapour. Ça me donne un air bohème et de voyageur. Les voyages, un sujet parfait pour la charmer. Je complète ma tenue par un blazer gris et un chapeau. Me voilà prêt à partir en chasse.

J’arrive un quart d’heure en retard au Mariachi, le bar mexicain dans lequel j’ai donné rendez-vous à Lucie. Ce retard est volontaire. Ça me donne un air de gars occupé et pas à fond sur elle. Même si intérieurement, j’ai envie d’être à fond en elle. Je la retrouve devant le bar. Le froid lui fait cracher des volutes de brume. Elle grelotte un peu. Je lui fais la bise, la complimente sur sa tenue et nous entrons dans le bar. Je suis un habitué et ça se voit vu toutes les personnes qui viennent me saluer. Une preuve sociale. Je ne me souviens même pas du nom de la moitié des personnes en question. Autour d’un verre, nous parlons de nos vies communes. Je retiens ce qui me semble essentiel : elle a des collègues toutes aussi jeunes et sublimes qu’elle, une sœur cadette de deux ans de moins qu’elle (une future proie ? ) et qu’elle habite à dix minutes en métro. Quant à moi, je lui parle de ma carrière avortée dans la finance pour vivre de ma passion, mes voyages autour du monde et des ventes de mon bouquin. Elle est tout bonnement impressionnée. Elle a beau m’avoir dit que l’on se connaissait d’avant mais je ne sais toujours pas d’où. Pourtant, elle me semble familière. Je mets de côté ces pensées et préfère me concentrer sur toutes les choses que j’aimerais lui faire ce soir. Elle adorera autant que moi. Voire plus.

Après une dernière tournée, nous enchaînons par un restaurant italien que je connais très bien. J’y avais consomme tous les plats de même que certaines serveuses. Je peux dire que j’ai pris tout ce qu’il y avait sur la carte et j’ai pris à emporter celles qui me l’a proposaient. J’ai de la chance aucune de celles avec qui j’ai couché ne travaille ce soir.

Une fois le repas, je la raccompagne chez elle. Elle habite dans un vieux bâtiment des années 70 de cinq étages. Nous montons dans un ascenseur avec des portes métalliques qui se referment manuellement. Arrivés au dernier étage, nous nous retrouvons devant sa porte. Je feins de devoir partir rapidement puis au moment où elle met la clef dans sa serrure, je l’appelle, elle se retourne et je dépose un baiser fougueux sur ses lèvres en la plaquant contre sa porte.

- J’en avais envie pendant toute la soirée, lui dis-je

- Moi aussi, avoue t-elle. Tu veux rentrer ?

- Ce n’est peut être pas une bonne idée. Il est tard et on taffe demain.

Elle m’embrasse à son tour. Divinement. Bingo ! Je veux rentrer depuis le début dans son appartement mais je voulais que ça vienne d’elle et non que ça me fasse passer pour un forceur. Je capitule. Nous entrons dans son appartement. Je n’ai pas le temps de m’intéresser à la décoration puisque nous passons directement dans sa chambre et nous faisons ce pourquoi je suis venu en ces lieux. Je finis par m’endormir à ses côtés après l’avoir satisfaite.

- RÉVEILLE-TOI, SALOPARD !!!

En même temps que cet ordre déchire mes tympans, de l’eau asperge mon visage. De l’eau glacée. C’est un réveil un peu brutal. J’ai la tête qui tourne. Mes yeux s’ouvrent difficilement. Je ne suis plus allongé dans un lit mais attaché debout sur une planche, les bras et les jambes écartés . Mes poignets et mes chevilles sont sangles par des lanières de cuir. Petit détail : je suis nu comme un vers. La pièce dans laquelle que je me trouve ne dispose d’aucune fenêtre. La seule source de lumière est un néon accroché au plafond qui clignote rendant encore plus lugubre l’atmosphère. Je constate à ma gauche une porte blindée dont la poignée est une manivelle comme celle des chambres fortes d’une banque. Où est ce que j’ai pu bien atterrir, bordel de merde ?

Face à moi se tient Lucie. Elle est simplement vêtue d’un imperméable noir. Ses jambes nues me laissent deviner qu’elle ne porte rien en dessous de son imper. Rien qu’à cette idée, je ne peux m’empêcher d’être excite. Serait-ce un nouveau jeu sexuel ? La corde qu’elle porte dans sa main gauche et ma position délicate renforcent cette impression.

Malheureusement, elle n’affiche plus cet air affamé qu’elle avait la veille avant de se donner à moi. Quelque chose cloche. Joue le jeu, mon petit Orion. C’est sûrement un jeu de rôle. Elle est la geôliere et je suis son pauvre prisonnier. Si je résiste, elle va me punir. Ce doit être ça. C’est sûr.

- Tu ne te souviens pas de moi, fils de pute ?!!! hurle t-elle

- Si beaucoup. Vu ce qu’on a fait hier soir, comment t’oublier, mon ange.

Sans crier gare, elle claque la corde comme un fouet sur mon torse. Le coup me fait arracher un cri de douleur et me laisse une empreinte écarlate le long de mon pec gauche jusqu’à mon nombril. C’est bizarre mais je suis encore plus excite. Je dois vraiment avoir un putain de problème mental.

- Ce n’est pas un jeu, Orion, me crache t-elle. Tu ne te souviens toujours pas de moi ?!

- Écoute, Lucie. Tu es très jolie et au pieu… bah tu es une bête !!!! Mais je ne me souviens pas de toi d’avant.

Ses yeux m’envoient des éclairs noirs. Son visage se referme. Sa main renforce sa pression sur la corde. Elle la fait tourner comme une hélice et la fait claquer contre ma cuisse, un peu trop près de ma queue. Je laisse échapper un cri de douleur. La corde arrache un peu de peau au passage.

- La mémoire ne te revient toujours pas ?

Des larmes de douleur commencent à s’accumuler. Cette fille est malade !!! Pourquoi ce sont toujours les folles qui m’attirent le plus ?!

- Je ne me souviens toujours pas de toi… Je suis désolé.

- Ah ! Tu t’excuses enfin ! Mais pas pour la raison que je voulais.

- Qu’est ce que tu me reproches ? Et où je suis ? Comment j’ai atterri ici ?

- C’est moi qui pose les questions ici. Mais je vais quand même y répondre. Tu sais hier soir tu m’as demandé un verre d’eau. Tu te souviens de ça ?

- Oui et d’autres choses que nous avons faites avant et après, je déclare avec une note de satisfaction.

- Dans ce verre, je t’avais mis un tranquillisant. Tu es tombé dans les vapes une dizaine de minutes après. J’ai pu ensuite te traîner dans cette pièce secrète de mon appartement pour commencer ton jugement.

- Mon jugement ? Je suis accusé de quoi ?

- D’abuser des femmes de manière honteuse. Tu sais ce que tu m’as fait y a cinq ans ?

- Non. Je ne me souviens pas.

- Pendant un an, tu venais, tu me promettais une relation durable juste pour me baiser et te barrer après avoir eu ce que tu voulais. Et puis d’un coup, tu as disparu sans laisser de traces. Aucune réponse à mes appels ou à mes mails.

Quand je vous disais que garder le contact avec une fille qui s’attache alors que ce n’est pas réciproque est une mauvaise idée, vous me croyez maintenant ?!

- J’étais perdu, Lucie. Une femme m’avait laisse tomber comme une merde et je me suis vengé sur toutes les suivantes. Je m’en tapais un paquet sans jamais m’attacher pour… pour ne pas souffrir.

Je pense vraiment ce que je dis. Bon je veux aussi sauver ma peau mais ma déclaration est sincère. Je vois Lucie mesurer l’ampleur de mes paroles. La corde tournoi une nouvelle fois et au moment où elle va s’abattre sur ma queue, j’entends Lucie dire :

- ÇA NE SUFFIT PAS !!!

Quelle mort honteuse !

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