XII

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 La pièce est sombre. Seul un rai de lumière se fraie un chemin au milieu des rideaux entrouverts. Il dévoile des millions de grains de poussière en suspension, lancés dans une valse obscène et effrénée. Une odeur de renfermé, de sang, d'alcool et de gerbe s'insinue jusque dans les rainures du parquet, taché de vin ou d'autres choses, qui sait. Omniprésents, les tableaux observent la scène. Les sourires tordus, les regards immondes et les formes indiscernables aux couleurs sales recouvrent les murs et paraissent plus vivants que l'homme allongé dans une position inconfortable, dans le coin à droite. Il ne bouge pas mais respire bruyamment. La tête contre le mur, à même le sol, il profite de son répit qui malheureusement n'aura pas duré plus d'une heure. Il se réveille en hurlant :

- MON SATORI !

 Dans un geste réflexe, il fracasse la bouteille de vin devenue vinaigre qu'il tient dans sa main, blanchâtre aux jointures à force d'être crispée dessus. Les morceaux de verre volent dans la pièce et s'écrasent au sol, rejoignant les nombreux autres débris laissés par les bouteilles précédentes. Puis l'homme se lève, ses genoux craquent, son dos aussi. Il n'a sur lui qu'un caleçon sale de plusieurs jours, un pull où les taches d'alcool et les trous forment des constellations étonnantes. Tandis qu'il s'appuie au mur pour regagner son tabouret à côté du chevalet, ses pieds nus rencontrent les tessons de verre qui tapissent le sol. Son visage parsemé de petites rides ne trahit aucune émotion, aucune sensation. Howard a vieilli de dix années en quelques jours. Seuls ses yeux, soulignés de cernes aussi noires que le vide, témoignent d'une lucidité forgée par le désespoir et la lassitude. Les yeux d'un homme conscient de ce qu'il vit, de ce qu'il fait, de ce qu'il pense, mais terrassé par des forces qui le dépassent. Un pantin que la propre conscience écrase.

- Tu m’auras pas, saloperie de Cheshire. J’en ai assez de peindre ta gueule.

 Le peintre sait ce qu’il a à faire. Traînant les pieds, il se dirige vers la fenêtre et ouvre les rideaux pour la première fois depuis plusieurs jours. Il lève la tête vers le plafond et prend une grande inspiration pour calmer le sentiment d’oppression qui broie son cœur. Les yeux fermés, la tête toujours tournée vers le ciel comme s’il regardait les étoiles, il recule de quelques pas. Avec les dernières forces qu’il lui reste, il s’élance de tout son corps et perce la fenêtre. Des gerbes de verre l’accompagne dans sa chute, et c’est un sourire paisible aux lèvres qu’il s’écrase sur le sol.

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