IX

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 Howard ouvre brusquement les yeux avec l’étrange sensation d’être en chute libre. II se rend compte que sa bouche est figée dans un cri d’horreur qu’il refrène sitôt éveillé. L’homme est encore plus épuisé qu’avant, et se frotte le visage de ses mains tremblantes. Ça ne s’arrêtera donc jamais… Qu’est-ce que je suis censé faire si ça ne s’arrête pas ? Comme dans son rêve, le soleil s’est évanoui et la brume emplie l’espace de son corps vaporeux. Ses pieds frappent le sol à nouveau, encore plus frénétiquement qu’auparavant. Il respire fort, très fort dans l’espoir de faire cesser les battements brutaux de son cœur. Rien n’y fait, il continue de se voir fracasser son crâne contre les pavés. Il ferme les yeux, les rouvre et ne bouge pas du banc. Il se dit qu’il devrait rentrer, mais ne trouve pas la force de se lever. Ses jambes flageolantes ne le porteraient pas. Alors il attend. Une heure, deux heures, peut-être trois ou plus encore, il n’en a aucune idée. Il se contente de garder les yeux grands ouverts. Le peintre tente de se remémorer le soleil sur sa peau et le chant des oiseaux, sans succès. Rien ne l’apaise. Son âme refuse de se taire. Elle hurle de douleur dans un cri intérieur auquel il ne peut rester sourd. Je suis devenu fou ? C’est réel ? Est-ce que je suis vraiment devenu fou ? Non, je peux pas y croire. Il y a quelque chose dans mes rêves, c’est certain. Ça ne vient pas de moi. Mes rêves, c’est tout ce que j’ai. Je peux pas faire de cauchemars. Ce sont pas les miens. C’est cette saloperie de Cheshire qui veut s’emparer de moi… Cette saloperie, qu’est-ce qu’elle me veut ?

 Machinalement, sa main trace des traits dans le vide au rythme de ses pensées. Sur une toile invisible, elle peint le fleuve immonde et les membres flottants à sa surface. Son esprit tente de s’exorciser de lui-même, la peur ne disparaît pas. Il faut qu’il rentre. Il faut qu’il peigne. Mais ses jambes refusent de le porter, elles ne sont bonnes qu’à trembler de peur et de froid. Alors il attend. Le soleil est toujours masqué derrière la brume épaisse, la luminosité a baissé. Les réverbères s’allument un à un pour dissiper la pénombre qui s’installe. Et Howard n’a pas bougé du banc. Il pense et son cerveau ressasse d’horribles scènes. Il se torture l’esprit plus que jamais. Lorsque, du coin de l’œil, il aperçoit une silhouette s’avancer dans sa direction. Enfin il est capable de mouvement et se décide à bouger. Le peintre tourne brusquement la tête pour mieux apercevoir la forme mouvante. Son cœur rate un battement, Howard laisse échapper un hoquet de terreur. Un jeune homme aux cheveux longs passe devant lui. Il lui lance un regard surpris, dans lequel transparaît une profonde pitié. Puis il détourne la tête dans un silence gêné et hâte le pas. Howard le fixe, ne sait que penser. Je rêve ou cet homme est réel ? Sa démarche n’a pas l’air naturelle. Son regard non plus. Méfie-toi Howard… Tu es peut-être encore dans un rêve. Le peintre ne quitte pas l’inconnu des yeux, qui continue sa marche sans un regard en arrière. Il disparaît au loin et Howard se retrouve à nouveau seul. L’obscurité naissante commence à l’effrayer. Des choses pourraient surgir de l’ombre. L’horreur pourrait recommencer… Lève-toi pauvre merde ! Lève-toi et rentre, il ne faut pas rester ici ! Les créatures aiment ce qui est noir, c’est leur heure ! Dégage d’ici tant qu’il est encore temps !

 Electrisé et non plus paralysé par la peur, il se lève d’un bond. Sa jambe droite flanche sous son poids et il se rattrape au dossier moisi du banc. De toute la force de son être, il se traîne en direction de l’appartement de Frances, jetant des coups d’œil affolés partout autour de lui. Marcher seul en ce début de soirée lui fait la même impression que nager au milieu d’une eau noire, dont il ne peut apercevoir le fond. Des horreurs indicibles se tapissent dans la noirceur. Il ne peut pas les voir, mais il a la certitude qu’elles sont bien présentes. Elles sont invisibles, c’est tout, masquées par la pénombre. Il y a des choses là-bas, c’est sûr… Non, pas cette ruelle. On va faire le tour, il y a plus de lumière dans l’avenue. La main sur la poitrine, le souffle court laissant échapper quelques traînées de buée qu’il ne remarque même plus, Howard avance. L’homme semble complètement ivre. Il marmonne quelques phrases incompréhensibles et avance aussi rapidement qu’il le peut d’un pas mal assuré. Mais il avance.

 Après d’interminables efforts, il est enfin arrivé au pied de l’immeuble de sa compagne. Du bout de ses doigts tremblants, il cherche le trousseau de clés au fond de sa poche. Il a disparu ! Non… Il ne peut pas avoir disparu ! Il est forcément là ! Howard panique. Il ne parvient pas à trouver ses clés. Il respire un grand coup et plaque sa main toute entière contre sa poche. Il les sent, elles sont là. Elles sont forcément là. S’efforçant de calmer les tremblements de ses doigts, il parvient à saisir le trousseau. Après quelques essais infructueux, la clé de la porte d’entrée pénètre dans la serrure. Il s’engouffre dans le couloir commun, délicieusement éclairé sans même qu’il ait à chercher l’interrupteur. Avec hâte, il grimpe les escaliers jusqu’à l’appartement de Frances. Il n’a aucune idée de l’heure qu’il est, peut-être est-elle déjà rentrée. C’est le cas, la porte n’est plus fermée à double tour. Il n’a qu’une envie : que quelque chose lui apporte le réconfort que son âme torturée ne parvient plus à trouver. Frances, ou la peinture.

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