Le prince 1/3

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Cendrillon ne tarda pas à trouver les lieux où l’un des meilleurs festins de sa vie fut concocté. Un évènement aussi important que celui-ci remuait en dessus dessous tout le personnel de cuisine. Le chef orchestrait les commandes, il agitait ses mains comme un musicien. Les aides exécutaient les instructions avec précision. Des marmites bouillonnaient. Des viandes, juteuses, tout juste sorties des fours, étaient dressées sur une table, attendant à la queue leu leu leur départ. Certains décoraient délicatement les plateaux, tandis que d’autres enfournaient de la volaille. Pour ce qui était du dessert, il était préparé dans un coin spécial prévu à cet effet. Époustouflée par l’impressionnante logistique, Cendrillon se promenait entre les rangées en décortiquant chaque geste des travailleurs. Elle n’avait jamais vu un spectacle aussi enrichissant. Ce qui se passait dans les cuisines était pour elle, un évènement bien plus important que le bal en lui-même. Car pour elle, les vraies vedettes étaient celles qui avaient organisé tout cela.

Personne ne semblait la remarquer, ils étaient tous absorbés par les nombreuses tâches qu’ils avaient à accomplir. Mais dès que le jeune homme qui la suivait fut rentré, ils arrêtèrent aussitôt pour s’incliner devant lui. Elle comprit, bien vite, de qui il s’agissait. Ce dernier remua à peine le petit doigt que tout le monde était déjà sorti. Il n’y avait plus personne sur les lieux, hormis eux. Cet endroit où, quelques instants, apparaissait comme le cœur de la soirée perdit soudainement de son charme. Le prince la considérait curieusement, il ne semblait pas avoir l’intention de l’aborder. Elle jeta un œil autour d’elle est déclara d’un ton sérieux : « Ne comptez pas sur moi pour veiller sur les marmites ! »

L'homme fut surpris par sa remarque, il ne comprenait pas pourquoi une jeune fille de ce rang pouvait se préoccuper d’une chose pareille. Ce qu’il ignorait, c’était que pour Cendrillon, un plat non surveillé était un sacrilège.

« Faites venir quelqu’un pour s’en occuper ! exigea-t-elle en essuyant une tache sur le plan de travail. Ce n'est pas dans mes usages de demeurer avec le sexe opposé sans être chaperonné. »

Pourtant, elle était bel et bien restée seule avec Victor. Même si en réalité il n’était qu’un petit rongeur, il avait tout de même l’allure d’un jeune homme. Le prince qui visiblement n’avait pas l’habitude de recevoir des ordres s’exécuta sans rien dire. Il appela deux ou trois servantes et revint là où il se trouvait. Cette fois-ci, il s’inclina en direction de la demoiselle et déclara : « Prince Philipe à vos services !

— Donc, c’est bien vous le prince !

— En chair et en os ! dit-il avec une pointe de fierté dans la voix. »

Nul ne pouvait contester que le jeune homme fût vraiment beau garçon. Avec ses cheveux mi-longs châtains et ses yeux bleus en amande, il avait charmé plus d’une fille. Seulement, notre héroïne avait bien vite remarqué ce qui n’allait pas. Ses traits étaient soulignés par un air profondément hautain. Même avec toute la bonne volonté du monde, Cendrillon ne put entrevoir la moindre sympathie sur son joli visage.

Un plat contenant des galettes à la compote de pomme se trouvait sur la table qui l'isolait du prince. Pendant qu’il était en train d’expliquer, sans qu’elle le lui demande, comment l’idée lui était venue pour organiser tout cela, la demoiselle jaugée de ses yeux la distance qui la séparait de ces petites gourmandises. À l’aide de tout son corps, elle plongea soudainement sur la surface boisée ; puis, de ses bouts des doigts, elle essayait d’atteindre tant bien que mal son objectif. Ce dernier était bien plus proche de Philipe qu’il n’était d’elle. Il avait fallu que le jeune homme décide d’intervenir en le faisant légèrement basculer pour que Cendrillon réussisse à l’attraper.

« Vous aurez dû me demander de vous l’apporter au lieu, de vous tortiller comme un ver de terre sur la table, s’exclama-t-il, en ayant un sourire au coin des lèvres.

— Mais, je ne voulais pas vous interrompre, altesse ! rétorqua-t-elle, en s’asseyant, cette fois-ci, en tailleur sur la table. Vous sembliez si dedans, que je n’étais pas certaine que vous faisiez attention à ce qui se passait autour de vous. Avais-je vraiment l’air d’un ver de terre ? »

Le jeune homme sourit de bon cœur et au lieu de répondre, il grimpa à son tour à ses côtés. Les cuisinières les observèrent, du coin de l’œil, en se demandant surement quelle mouche les avait piqués pour se comporter de la sorte.

« Dans la position de tout à l’heure, vous risquiez d’abimer votre jolie robe. Comme vous voyez, la table n’est pas si glabre ! affirma-t-il, en essayant tant bien que mal d’imiter la posture de son interlocutrice. »

Il retira bien vite son épée, car celle-ci l’empêchait de s’asseoir convenablement ; puis, après quelques tentatives maladroites de croisement de jambes ; il finit par y arriver.

« Cette robe n’est pas à moi ! déclara-t-elle en mettant un morceau de galette dans la bouche.

— Ah bon ! Alors… à qui est-elle ?

— À une vieille que j’ai rencontrée dans les bois en allant chercher Persil. »

Le prince l’observait curieusement, il ne savait pas pourquoi elle lui parlait de détails dont il était préférable de cacher. Décidément, cette jeune fille semblait bien étrange.

« Et ce Persil… est-ce un ami à vous ?

— Au non, Persil c’est mon chien ! précisa-t-elle, en se resservant.

— Je ne connais pas les raisons qui ont poussé la vieille dame à vous donner cette robe, en tout cas, elle vous va à merveille ! Pile-poil à votre taille.

— Évidemment qu’elle est à ma taille ! »

Cendrillon se rapprocha du prince et lui chuchota à l’oreille comme si de là où elle était, quelqu’un aurait pu les entendre : « C’est une robe faite de magie !

— De magie ?

— Tout à fait ! La vieille, a dû agiter ses mains comme ça puis encore comme ça, et paf ! La robe toute sale que je portais, c’est transformé en celle-ci. »

Le prince la regardait, ne sachant quoi penser. Soit, elle était en train de le faire marcher ou soit, c’était une jeune fille complètement folle. Dans les deux cas, c’était une originale et cela lui plaisait.

« Si je comprends bien, vous n’êtes, en réalité, qu’une demoiselle dans la robe d’une princesse !

— J’espère que je ne suis pas réduite qu’à ça !

— Peu importe qui vous êtes ! répliqua-t-il sans même entendre ce qu’elle venait de lui dire. Vous m’avez tout l’air d’avoir l’allure d’une vraie reine ! »

Le compliment sincère du jeune homme interpella tout de même Cendrillon. Cependant, ce que ces mots impliquaient, l’effrayait plus qu’autre chose. Elle ne s’était jamais imaginé vivre dans un palais. Les contraintes que subissaient les dames de la cour étaient loin d’être une partie de plaisir. Elle s’était toujours débrouillée seule pour ne rien redevoir à personne. Cette liberté qui avait été acquise grâce à son indépendance en toute chose ne pouvait, certainement, pas être sacrifiée pour un titre de noblesse.

« Il est dit que l’effet de la magie ne dure qu’un temps ! déclara-t-il, en la sortant de ses pensées.

— Bien évidemment ! confirma-t-elle, en se resservant du dessert. Il faudra attendre minuit pour que vous puissiez voir ma robe toute sale… »

Cendrillon s’arrêta d’un seul coup. Elle resta à fixer un point dans les airs, la galette entre les mains, distraite pendant un moment ; puis, elle revint à la charge : « À minuit, le charme disparaitra, mais rien ne prouve que la petite vieille n’est pas en train de manigancer quelque chose. Peut-être au lieu de récupérer ma robe sale, je me retrouverai toute nue !

— Intéressant ! répliqua le prince, en ayant un sourire salace.

— Comment ça ? Retirez tout de suite ce que vous venez de remarquer.

— Pardonnez-moi ! Ce n’étaient pas mes intentions ! balbutia-t-il, tous confus. »

Il se rendit bien vite compte qu’il allait avoir du mal à rattraper son erreur. La gêne sur son visage amusait tout bonnement Cendrillon. Elle voulut aggraver la situation, en lui faisant remarquer les conséquences catastrophiques d’un tel incident. Bien qu’il ne vît pas cet évènement comme un drame, il exagéra volontairement ses excuses.

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