Chapitre 8

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Sélène se leva et s’approcha de Léo d’un pas sûr, elle s’arrêta à moins d’un mètre de lui. Elle observa son visage de près, lors de leur première rencontre, elle n’avait pas pris le temps de le faire. Et à présent, elle voyait qu’il était loin d’être laid. Le visage du jeune homme était taillé à la serpe et ses yeux étaient d’un bleu profond. Finalement Sélène recula d’un pas et dit :

 ─ Bonjour Léo, ravie de te rencontrer de façon officielle.

 ─ Moi de même, répondit le jeune homme sur un ton bien moins assuré que son interlocutrice.

 ─ Bon, je t’explique brièvement ce que je te propose : je suis dans un hôtel à Rennes, j’aimerais que tu viennes avec moi là-bas. J’y ai mis en place une salle d’entraînement spéciale, tous les frais de transport et de logement seront pris en charge. Qu’en penses-tu ?

Sélène avait parlé d’une traite, le cerveau de Léo mit quelques secondes pour traiter le flot d’informations. L’idée était séduisante, mais il y avait plusieurs problèmes :

 ─ Mais je dois m’occuper de mon food-truck et en ce moment, quitter Bois-Cor n’est pas sûr pour  moi.

La jeune femme le rassura :

 ─ Tous les frais seront payés je te dis, donc tu peux te permettre de laisser ton food-truck de côté  pendant quelque temps. Et ne t’en fais pas pour la discrétion, tout a été bien pensé.

Une fois de plus, Léo mit quelques secondes avant de répondre :

 ─ Très bien, quand est-ce que l’on commencerait ?

 ─ Je pensais que tu pourrais faire tes bagages pour les deux prochaines semaines aujourd’hui, tu  viendrais à Rennes demain et on commencerait l’entraînement le surlendemain. Tu reviendrais        voir ta famille tous les quinze jours.

Ne voyant pas ce qu’il pourrait ajouter, Léo se contenta d’acquiescer. Il n’avait aucun doute sur les bonnes intentions de Sélène, il faisait confiance à ses parents et à ses senseïs. Sa situation le laissait dans une incertitude totale vis-à-vis de son avenir. Passer du temps avec Sélène pourrait bien lui permettre de reprendre le contrôle et lui ouvrir de nouvelles perspectives. Non pas qu’il envisageait de devenir un super-héros, mais au moins espérait-il mieux comprendre la nature de ses pouvoirs.

 ─ Bon, ajouta Sélène, il faut que je file, mon train part dans peu de temps et il ne vaut mieux pas  qu’un paparazzi me repère ou bien on aura des ennuis, à demain matin dix heures, Léo.

Puis la jeune femme quitta la clairière, elle se fondit dans la végétation comme un esprit des bois.

***

C’est environ deux heures plus tard que Sélène arriva finalement à son hôtel, les voyages en train étaient confortables et pourtant elle était fatiguée. Elle se réconforta en songeant au fait qu’une fois que Léo serait à Rennes, aucun d’eux n’auraient à faire de longs trajets.

La jeune femme se reposa une demi-heure, après quoi elle descendit au sous-sol du bâtiment, sa tenue de combat sous le bras. C’est à plusieurs mètres sous la surface, qu’elle avait pu mettre en place en un temps record un dojo des plus atypiques. La pièce accessible uniquement via un escalier secret, dissimulé par une porte blindée, servait autrefois pour des combats clandestins. Sélène franchit la porte qu’elle referma derrière elle. Face à la jeune combattante se trouvait une immense pièce que l’on pouvait comparer à une arène. Au milieu d’un bassin d’eau, profond d’une cinquantaine de centimètres, reposait un large ring carré de pierre.

La jeune femme troqua son jean et son t-shirt contre sa tenue de Flamendo. Équipée, Sélène s’avança sur le chemin de pierre qui menait au ring. Elle se plaça au centre de l’estrade et commença l’exécution des katas de son art. Ses mouvements étaient aussi fluides que l’eau et aussi effilés qu’une lame fondue dans l’acier le plus pur.

Alors que les enchaînements gagnaient en vitesse, la surface de l’eau se mit à onduler. Sélène fit appel à son pouvoir et le contenu du bassin s’éleva dans les airs en une multitude de sphères. Peu à peu, elles se rassemblèrent en un flux d’eau constant qui forma une spirale autour de l’artiste martial. Si la scène avait eu le moindre spectateur, nul doute qu’il aurait été subjugué par le tableau surréaliste qu’offrait Sélène grâce à son hydrokinésie. La jeune femme poursuivait ses enchaînements de plus en plus vite, le flux aqueux accéléra à son tour, formant un ruban d’eau autour d’elle qui se mouvait comme s’il s’agissait d’une extension de son propre corps.

Le kata touchait à sa fin, le ruban aquatique se mit à briller d’une couleur pâle en s’enroulant autour des épaules et des bras de la guerrière. Sélène exécuta son ultime mouvement, une double frappe à l’aide de ses paumes. L’eau suivit le mouvement de ses muscles comme un flux d’énergie pure et se libéra en une puissante onde de choc. Le liquide encore présent dans le bassin se fendit comme la mer Rouge face au bâton de Moïse.

Le kata était terminé, Sélène reprit une position de repos et l’eau cessa tout mouvement. La jeune combattante était sereine, demain elle saurait comment faire sortir Léo de sa coquille. Bien qu’elle fût motivée par une curiosité martiale et académique, il y avait aussi en elle un profond besoin d’aider ce jeune homme. Son instinct et bien sûr les étranges échanges oniriques qu’ils avaient l’y poussaient. L’expérience que Léo et elle allaient vivre serait sans précédent, Sélène n’en doutait pas.

La jeune guerrière n’avait pas dit un mot sur les étranges échanges oniriques entre Léo et elle. Elle souhaitait conserver un minimum d’intimité avec son futur élève, et si les deux héros avaient appris ça, ils auraient surveillé les activités de leur fille de très près. Ce qui, au vu du vécu et de la situation actuelle de Léo, était hors de question.

Mais malgré toutes les précautions prises par Sélènes, les deux jeunes gens devraient être très discrets. Au risque d’être repérés par les médias, ou pire les fouineurs de la meute et des triades. Oui, l'entraînement de Léo serait une période riche en enseignement aussi bien pour l’élève que pour la professeure.

***

Le matin du 23 avril, Léo se leva à sept heures du matin précisément. La nuit avait été courte et sans rêve, le stress n'avait pas aidé le jeune homme. En effet, peu après avoir fait ses bagages pour deux semaines, Léo avait réalisé qu’il allait passer deux semaines seul avec une personne du sexe opposé, de son âge qui plus est. En raison des conséquences du crash et de ses pouvoirs, il s'était isolé dans les études universitaires et l'entraînement martial. Il s’était donc coupé de toute relation sociale ou amoureuse durant toute la fin du collège et le reste du lycée. Certes, cela n'avait pas duré éternellement.

À sa sortie de formation comme cuisinier, Léo avait été embauché dans le grand restaurant multiculturel de la ville : « Les Délices du Monde ». Il y avait travaillé pendant deux ans, cela lui avait permis de se sociabiliser avec les clients et des gens de nombreuses cultures. Grâce à l’enseignement particulier de Kylian, Léo maîtrisait une dizaine de langues et la grande diversité culturelle de Bois-Cor lui avait permis de s’exercer. Après deux années de bons et loyaux services donc, il rassembla toutes ses économies plus un prêt de ses parents. Avec ce budget, le jeune cuistot se mit à son compte et le Mondial-Bouffe vit le jour.

Dans tout cela, Léo n’avait jamais pris le temps de vivre une relation amoureuse ou encore de communiquer avec les femmes. Et à présent, il allait devoir vivre tout proche d’une femme de son âge. Désespéré, Léo avait écrit un mail dans la soirée à sa jumelle, Yumi. La jeune franco-japonaise suivait la voie des héros-pugilistes et faisait ses études supérieures à l’université héroïque de Takeshi’s Castle. L’école étant située au Siam (Thaïlande), Yumi ne pouvait venir que durant les grandes vacances. Les partiels de deuxième année battant leur plein, la jeune femme n’avait pas pu venir soutenir son jumeau. Leurs choix de vie très différents les avaient éloignés.

À son réveil, il constata que sa sœur ne lui avait pas encore répondu. Un peu déçu, le jeune homme espéra qu’elle trouverait le temps de le faire un peu plus tard. Après une bonne douche, Léo descendit prendre son petit déjeuner. Ce dernier fut simple et rapide, il n’avait pas très faim.

Il était un peu plus de huit heures lorsque ses senseïs arrivèrent. Heureusement, ces derniers avaient pris les mesures nécessaires pour empêcher les journalistes de s’approcher de la maison. Léo n’aurait aucun problème pour se rendre à Rennes en toute discrétion. Amata avait amené une Peugeot simple aux vitres teintées pour que son jeune disciple fasse le trajet en toute sécurité. Avec une légère angoisse qui lui tenait les tripes, Léo chargea ses bagages dans le véhicule.

Après des embrassades rapides, le jeune combattant quitta son foyer. S’étant déjà rendu plusieurs fois à Rennes par le passé, Léo connaissait bien la route. Une heure et demie plus tard, la Peugeot noire franchissait le périphérique de la ville bretonne. La recherche de l’hôtel fut un peu plus laborieuse. À la suite de plusieurs erreurs de parcours, Léo parvint à l’adresse fournie par Sélène : l’hôtel « Grand Rennes ». Toujours selon les instructions de la jeune femme, il conduisit son véhicule dans le parking souterrain de l’hôtel et se gara à la place qui lui était réservée.

Léo comprit bien vite l’utilité de cette manœuvre, en se plaçant ainsi, il avait évité les caméras de surveillance. Le jeune combattant franchit la porte menant à l’extérieur du parking. Il se retrouva dans un petit hall où Sélène l’attendait déjà. Après de rapides salutations, elle entra dans les détails :

 ─ Bon, j'ai tout organisé, voici la clé numérique de ta chambre. Personne ne devrait te poser de        question, ça t’évitera d’avoir à passer par l’accueil.

Léo prit la carte d’accès, un quarante-sept était inscrit dessus, puis ils montèrent à l’étage supérieur. Pour l’instant le jeune homme parvenait à gérer la situation, il espéra que cela continuerait ainsi. Après plusieurs minutes de marche dans les escaliers, ils arrivèrent dans les couloirs de l’hôtel.

Ils ne mirent pas longtemps à arriver devant la chambre quarante-sept. Léo ouvrit la porte, sur une large suite propre et presque luxueuse. Avec salle de bain, mini-bar et tout ce que l’on peut espérer y trouver.

 ─ Ma chambre, c’est la quarante-six, juste à la droite de la tienne, dit alors Sélène tandis que Léo  posait ses bagages.

En entendant cela, le jeune homme frémit intérieurement. Il allait dormir à côté d’elle, chambre séparée certes, mais juste à côté d’elle. Cela n’allait pas être de tout repos. Sélène qui n’avait apparemment pas remarqué l’état du jeune homme ajouta :

 ─ Prends ta tenue de sport et suis-moi, on descend au dojo.

Contenant de son mieux sa fébrilité, Léo ne se fit pas prier et prit sa tenue de combat, faite spécialement pour l’occasion. Puis, ils descendirent au sous-sol.

Durant le peu de temps qui s’était écoulé depuis l’arrivée de Léo, Sélène n’avait pu s’empêcher de remarquer l’état d’excitation dans lequel était ce dernier. La jeune femme n’arrivait pas à savoir si c’était dû à sa présence ou bien à la perspective de l’entraînement. Son expérience avec les deux sexes et les enseignements de ses consœurs familiales, lui avait appris à être vigilante vis-à-vis des pulsions charnelles, surtout avec les hommes hétérosexuels.

Dans le cas de Léo, elle ne voyait pas de signe qu’il comptait se jeter sur elle. La jeune femme avait même plutôt l’impression de l’intimider. Certes, en tant qu’adepte du Flamendo, art matriarcal en puissance, Sélène y trouvait de la gratification. Cependant, elle n’était pas là pour ça et elle devait l’admettre, Léo était loin d’être désagréable à regarder.

Mais elle n’avait pas besoin de se trouver un partenaire ou un compagnon. Ce dont elle avait besoin s’était de trouver l’origine de son lien onirique avec Léo et de se focaliser sur l'entraînement. Lorsqu’ils arrivèrent enfin à la salle souterraine, la combattante constata la surprise de son camarade.

 ─ Vous avez mis tout ça en place en si peu de temps ? demanda-t-il.

 ─ N’oublie pas, qui sont mes parents, Léo, nous avons les moyens pour ça.

Puis, elle désigna le coin gauche de la salle et ajouta :

 ─ Tu peux aller te changer là-bas, il y a un paravent.

Léo déglutit bruyamment, Sélène dû se retenir pour ne pas pouffer de rire devant la gêne qu’il ressentait. C’était à croire que ce jeune homme n’avait jamais côtoyé de fille. Sélène se changea dans le coin opposé où elle avait aménagé son vestiaire personnel. En enfilant sa tenue de Flamendo, elle ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil vers le vestiaire de Léo. Malgré le paravent, la petite lampe allumée juste derrière lui permit de voir la silhouette du jeune homme se découper. Il était bien charpenté ça s’était une certitude et elle constata qu’il avait remarqué la même chose qu’elle. Cette fois, elle eut un petit rire en imaginant la tête rouge vif, à cause de l’image que son esprit de jeune mâle lui renvoyait en observant l’ombre d’un corps nu.

Lorsque Léo sortit de son vestiaire, il était vêtu d’un kimono customisé, orné de l’emblème du Lua-Thai-KwonDo : un poing stylisé frappé d’un symbole tribal hawaïen. Le jeune homme, quasiment déstabilisé, devait se concentrer sur la perspective du combat pour ne pas perdre pied.

C’est là qu’il découvrit Sélène dans sa tenue de combattante, cela rappela à son subconscient qu’elle était avant tout une guerrière. Léo visualisa Amata, sa senseï juste avant leurs séances d'entraînement. Son rythme cardiaque ralentit et il s’avança vers le ring.

 ─ Parfait, dit Sélène, si nous commencions ?

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