/5/ Pas de raviolis pour le loup

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Il me fixe dans le blanc des yeux. Rien ni personne d’autre. Seulement moi. Mon visage. Mes yeux.

Mon âme.

On échange nos pensées une dizaine de secondes. J’ai l’impression qu’il lit en moi comme dans un livre ouvert, tant la surprise doit être évidente sur mon visage. Quant au sien, il est… neutre ? On ne voit jamais de loup sourire ou être triste. Une seule expression pour toute la pléiade d’émotions qu’il doit vivre au cours de sa vie. Pourtant, vu la manière dont il me fixe, je devine qu’il est également surpris. Non… Intrigué plutôt. Interessé.

Mais pourquoi je fais son portrait psychologique moi ? Il y a un putain de loup dans ma rue ! Est-ce ça le fameux avertissement que Grand Ours m’avait donné ? Peut-être qu’une fois la nuit tombée, les animaux se baladent librement. Non, c’est sûrement juste une coïncidence. J’habite à côté de la forêt, c’est normal qu’il y ait des bêtes sauvages. Je dois me ressaisir !

Il tourne le regard puis se met à courir sur le trottoir avant de disparaître de mon champ de vision. Un frisson me traverse. C’est comme une araignée. On est terrifié quand on la voit, mais la vraie peur commence quand on ne la voit plus.

Je repense aux griffures dans ma cuisine. Et si ce loup voulait rentrer chez moi ? Dans une panique illogique, je me lève à 100 à l’heure de ma chaise et me met à courir vers la porte avant de vérifier qu’elle est bien fermée à clé. Je me précipite ensuite dans le salon et m’assure que les fenêtres soient verrouillées. Mes jambes réfléchissent plus vite que ma tête alors que je fonce dans le couloir et pars vers les baies vitrées. Puis la salle de bain. Puis le chambre. Jusqu’au garage.

Tout est bien fermé et verrouillé. Personne ne peut rentrer de l’extérieur. Je suis en sécurité.

Je tente de calmer ma respiration et mon cœur qui se sont emballés et produisent une musique au rythme effréné dans tout mon corps. Je repasse devant les portes-fenêtres qui mènent à mon jardin. Les énormes épicéas semblent bien plus menaçants maintenant qu’ils baignent dans l’obscurité, les transformants en démons dansants avec un petit peu d’imagination. Une petite ombre qui passe me glace le sang. C’est le loup, j’en suis sûr ! Il s’arrête un instant, puis repart. Sans même avoir vu son visage, je sens qu’il a posé son regard sur moi. Et bordel j’aime pas ça du tout ! Je ne veux pas qu’il m’observe ! Encore moins chez moi ! J’ai l’horrible sensation que ses yeux percent mon âme et toute mon intimité, qu’ils me traversent comme une longue lame aiguisée.

Je n’ose même pas ouvrir la porte fenêtre pour fermer le volet, terrifiée à l’idée que la bête me saute dessus ! Je sais bien que les loups ne sont normalement pas méchants et que les histoires de nos enfances sont très caricaturales. Pourtant je sens que ce loup n’est pas comme les autres. Déjà parce qu’il m’a regardé, ensuite parce qu’il a fait le tour de ma maison, comme pour chercher une entrée.

Peut-être devrais-je appeler la police ? Non, ce genre d’évènement doit être monnaie courante ici, les appeler ne servirai à rien… Puis je viens d’arriver, je ne veux pas me faire remarquer. Je dois juste être fatiguée… Mais… J’entends quelque chose. Un bruit strident et désagréable. Cela vient de ma porte d’entrée… Se pourrait-il qu’il soit en train de gratter ?

C’est en tremblant légèrement que j’attrape mon téléphone et prie tous les dieux pour avoir du réseau. Je manque de le faire tomber par terre dans la précipitation. Je compose le 911 fébrilement, en hésitant. Mais les bruits persistent et s’intensifient. Il ne peut tout de même pas rentrer dans la maison, c’est impossible… ?

« Police d’Oddly Bay j’écoute. »

C’est un homme qui me répond, presque en bayant.

« Oui bonjour, il y a un loup qui essaye de rentrer chez moi !

— Ah Henson joue encore au pervers ? Mettez lui votre poing dans la gueule, ça va le calmer

— Henson ? »

Puis plus de bruit. Je sais qu’il est toujours au bout du fil mais il ne répond pas, alors que les grattements se sont eux aussi arrêtés. Après quelques secondes, il reprend.

« Vous devez être madame Turner ? »

On me connait comme le loup blanc ici où je rêve ?

« Comment le savez-vous ?

— Le capitaine William m’a parlé de vous. Ce n’est pas tous les jours que nous avons une nouvelle habitante. »

Cet appel ne me rassure pas vraiment, je me sens encore plus observée qu’avec cette bête qui rode.

« Pour le loup, ne faites pas attention. S’il se montre trop insistant, frappez-le et il prendra ses jambes à son cou, croyez-moi !

— Il a un nom ce loup ? » dis-je en me rappelant sa première réaction. Le policier ne répond pas une seconde fois et semble réfléchir à ses mots.

« Oui, c’est un loup qui se promène régulièrement. Il a faim, mais il ne s’attaque pas aux humains, ne vous en faites pas. Si jamais il continue de tourner autour de chez-vous, hurlez lui dessus ou frappez le. »

Non mais je rêve. J’appelle la police pour signaler qu’un loup essaye de rentrer chez moi, et ils me disent de lui hurler dessus !

« Ne le tuez pas surtout ! C’eeeeeeest… Une espèce protégée dans le coin. »

Pourquoi est-ce que j’ai l’impression qu’il se fout de ma gueule ?

« Je ne peux que vous conseiller de ne pas sortir de chez vous la nuit et de ne pas regarder aux fenêtres. Fermez les volets et mettez-vous bien au chaud dans votre lit. »

Je prends mon courage à deux mains et ose enfin demander : « Mais qu’est-ce qu’il se passe la nuit ?! »

Encore une fois, l’homme ne répond pas tout de suite. Un piètre menteur.

« Vous le saurez bien assez tôt. Bienvenue à Oddly Bay madame Turner. »

Et il vient de me raccrocher au nez ! Mais c’est quoi ce policier en carton ! Non seulement il me ment, mais en plus il fait mal son boulot ! Je commence vraiment à regretter les policiers obèses de Chicago…

Je jette de nouveau un coup d’œil par mes portes fenêtres. Le soleil s’est définitivement couché, seule la lune et des centaines d’étoiles se trouvent dans le ciel. Je m’arrête et les observe un moment. Elles me calment et m’apaisent avec une facilité déconcertante. A part lors de rares occasions je n’avais vu autant d’étoiles. La pollution lumineuse de Chicago m’en a toujours empêché.

J’ai un beau jardin mais je ne peux même pas y aller pour observer les étoiles sans avoir peur d’être dévorée… C’était trop beau pour être vrai cette histoire…

La lune n’est pas pleine. Au moins ce n’est pas un loup-garou, c’est déjà ça. Je retourne dans la cuisine et range ma nourriture en regardant régulièrement par la fenêtre, anxieuse à l’idée que la bête revienne pour me manger moi, ou pire, mes restes de raviolis.

***

Il est 22h30 quand je me retrouve enfin dans mon lit. Je me contente de tirer les rideaux, trop effrayée pour ouvrir les fenêtres et fermer les volets. Le soleil me réveillera, tant pis. De toute manière j’ai du boulot demain ! En parlant de boulot, j’ouvre le grand livre de Grand Ours et relit la partie qui m’est adressée.

« PSS : Henson n’est pas méchant, s’il vous importune, foutez-lui votre poing dans les dents ! »

Donc Grand Ours le connaissait aussi ? C’est cohérent je suppose étant donné qu’il a habité ici lui aussi. Tout du moins c’est ce que je présume… Il ne me l’a pas dit clairement mais cela semble évident à en juger par la propreté et l’entretien de cette belle maison.

Et il me donne le même conseil que le policier… Le frapper… C’est une ville de fous, je vois que ça comme option. J’espère que ce n’est pas contagieux !

Je continue de lire. Il explique que la bibliothèque est ouverte seulement la semaine -un choix que je juge étrange, mais on n’est plus à ça près- et que lui faisait comme horaires… Midi-23h… Les gens vivent la nuit ici ou quoi ? Cela expliquerait pourquoi ils ont tous ouverts leurs volets au coucher du soleil. Mais c’est quoi l’intérêt de les ouvrir s’il n’y a plus de lumière dehors ? Et pourquoi dormir la journée et vivre la nuit ? Surtout si des loups de baladent… RIEN DE TOUT CA N’A DE SENS.

Il continue en me disant de changer les horaires si je le souhaite. Et comment que je vais les changer ! Puis il m’explique le fonctionnement de la bibliothèque. Rien n’est informatisé, tout se fait sur papier… Génial. Dans la réserve se trouve un dossier par membre dans lequel je dois mettre un papier pour attester de l’emprunt une fois que le livre est rendu. En attendant, je dois mettre les papiers dans un casier à part pour savoir quels livres doivent être ramenés avant quelles dates. Simple. Basique. Même si le manque de technologie risque de me rendre malade… Mais après tout c’est moi qui aie voulu venir dans un trou paumé, je ne vais pas m’en plaindre.

Il m’explique rapidement quelques clients particuliers, comme l’un handicapé qui toque trois fois et à qui je dois ouvrir la porte, ou bien la venue une fois par semaine des enfants de l’école du village. Mais à aucun moment il ne parle de la partie Blanche et la partie Noire.

« Evitez de laisser les enfants aller dans la partie noire. »

Bon bah j’ai rien dis… Mais pas plus d’explications. Peut-être dans les prochaines pages. J’en tourne une et mes yeux se ferment tout seul. Je les rouvre tout de suite, surprise. Bon hé bien il semblerait qu’il est l’heure. Je pose le grimoire sur ma table de chevet pour ne pas l’abimer et ferme les yeux, confortablement installée sous ma couette en observant le plafond peint en blanc, comme les autres murs de la chambre.

Je n’arrive pas encore à savoir si je vais me plaire ici… Mais ce n’est que mon premier jour après tout. Ce n’est que le début d’une longue aventure !

***

Nouveau jour ! Le soleil m’a réveillé lentement, mon cerveau souhaitant continuer de dormir pour rattraper toutes ces journées de conduite au travers de notre beau pays. Je me sens tout de même requinqué, j’avais vraiment besoin de ce sommeil ! L’histoire du loup me semble être qu’un lointain souvenir. Peut-être même l’ais-je rêvé ?

Mon téléphone indique 8h. On est samedi de toute manière, et d’après ce que j’ai lu, Grand Ours n’ouvrait jamais le samedi. Je commence ma nouvelle vie par un jour de repos, sorte de signe du destin qui me fait extrêmement plaisir, surtout en une si belle journée ! En tirant le rideau, je vois que le ciel est bien bleu, un magnifique azur sans aucuns nuages ni problèmes à l’horizon. Je compte bien en profiter pour découvrir un peu plus la ville. Je dois également finir de lire mon livre pour être bien opérationnelle lundi.

Le matelas était confortable, la couverture était bien chaude et le quartier plutôt calme. Par contre je ne sais pas si j’ai rêvé lors de mon sommeil, mais je crois avoir été réveillée par les voitures de mes nouveaux voisins. Il semblerait donc qu’ils vivent réellement la nuit… Serais-je dans une ville de vampires ? Cela expliquerait bien des choses.

J’ai toujours préféré Jacob à Edward de toute manière. Mais en repensant au loup d’hier, peut-être devrais-je me tourner vers la boule à facette plutôt que la boule de poils.

Je me lève -difficilement, je sens que ce lit et moi allons avoir une relation très fusionnelle- et pars me faire des céréales avec du lait dans la cuisine.

Et bien évidemment, je mets les céréales AVANT le lait, comme toutes les personnes censées.

***

Je retire mon pyjama licorne -que je trouve GE-NIAL- puis ouvre ma valise de vêtement. Je prends la première chose qui me tombe sur la main, un t-shirt avec le blason de la maison Gryffondor dessus… C’est pas très sérieux, je dois donner une bonne impression ! Mais aucune de mes chemises ne sont repassées… et puis j’ai la flemme. Je décide donc de mettre mon sweat à capuche orange par-dessus, le même qu’hier, le même que tout l’hiver. J’enfile un jean, mes converses, puis pars de la maison avec mon livre dans les mains.

Je ne sais pas vraiment où aller à vrai dire… Peut-être devrais-je regarder sur google map. Non, c’est l’aventure, je dois arrêter de penser avec mon smartphone. Je dois réfléchir comme une aventurière ! Comme une chasseuse ! Une chasseuse de… Qu’est-ce que je chasse exactement ? De nouvelles rencontres je suppose. J’aimerai bien trouver quelqu’un de normal ici, même si je commence à douter de l’existence d’un tel être.

Alors que je me mets à marcher sur le trottoir, entre les maisons de mon nouveau quartier, je ressens une étrange sensation. Pas réellement étrange, mais plutôt inhabituelle. Je me sens reposée. C’est là que je réalise à quel point le bruit et l’activité de la ville peut avoir un impact négatif sur notre vie sans même que nous nous en rendions compte. A ma gauche, derrière les maisons, trônent les énormes épicéas. Leurs branches semblaient bien menaçantes hier soir. Pourtant, avec les rayons du soleil traversant leurs nouveaux feuillages bien verts, ils ressemblent à des chevaliers en armure qui veillent sur leur royaume.

Ma métaphore semble bien stupide en repensant au nom de la forêt. Demon Wood. Elle doit avoir une sacrée histoire pour avoir un tel nom. Je devrai chercher dans des livres. Après tout c’est plus ou moins mon métier, alors pourquoi s’en priver !

Je sens mon téléphone vibrer dans ma poche arrière. Heureusement qu’il y a tout de même un peu de réseau ici, je veux bien retourner à la nature, mais il y a des limites… Comment je suis censée continuer d’écrire mes histoires sur Wattpad sinon ?

Je l’extirpe de mon jean et l’observe.

L’enculé : Parle-moi s’il te plait

Ce surnom est encore bien trop gentil pour cette espèce de sac à merde. Il m’envoie des messages tous les jours, me suppliant de lui pardonner comme je l’ai fais tant de fois. Il croit vraiment que j’ai traversé tous les Etats-Unis pour lui pardonner et revenir dans ses bras ?! Qu’il crève cette ordure. Cette espèce de monstre, de psychopathe, d’énorme fils de pu-

Je ferme mon téléphone puis prend une grande inspiration. Je devrai le bloquer. Je suppose que ma curiosité me force à lire ses messages. Je ne sais pas vraiment ce que j’espère… Peut-être de vraies excuses. Mais comment pourrais-je les différencier des piles de mensonges qu’ils balancent depuis deux ans ? Je devrai le bloquer…

Mais je vais pas laisser cet trou de balle me pourir ma journée ! Si je me suis barré, ce n’est pas pour penser à lui. Je recommence à marcher en essayant de chasser ce batard de ma tête.

Une fois au bord de la mer, je me mets à marcher en direction du centre-ville, longeant l’eau. La plupart des emplacements de bateaux sont vides, seuls les pêcheurs retardataires ne sont pas encore partis.

J’en croise un. Je m’empresse de détourner le regard alors que l’homme musclé en marcel m’observe. Et il ne me lâche pas du regard qui plus est ! Je n’ai pas encore vu de fille depuis mon arrivée, peut-être n’en a-t-il pas vu depuis des années. Moi qui pensais être la chasseuse, je pourrai bien être surprise entre les vieux loups de mer et les loups traditionnels.

La mer est calme et reposante. Je profite de la douce chaleur alors que l’été semble déjà bien installé. Il risque de dépasser encore une fois tous les records, m’obligeant probablement à investir dans une climatisation. L’air marin devrait cependant être bien plus agréable à vivre en temp de canicule que la pollution étouffante de Chicago. Pour le moment, il fait juste assez bon, un petit 70°F qui en sweat me donne la sensation d’être encore sous ma couette.

Je quitte les bâtiments industriels pour arriver en ville. C’est à quinze petites minutes de chez moi à pied, parfait pour me forcer à bouger mon cul. Je quitte le bord de mer pour rentrer dans les rues toujours aussi désertes. Cela donne une ambiance assez mélancolique à ses maisons aux volets fermés. Je ne comprends toujours pas la logique de cet endroit qui m’intrigue de plus en plus.

J’entends un son. Je me retourne et voit un volet bouger. Heureuse -oui il m’en faut peu dans cet endroit- je m’approche de la maison… Tout ça pour réaliser que la personne était en train de le fermer. Je n’ai pas le temps de voir son visage qu’il rentre. Cela aurait pu être un fantôme que je ne m’en serai même pas rendu compte.

La bonne nouvelle, c’est que les maisons ne sont pas abandonnées. La mauvaise, c’est que je ne risque pas de rencontrer de nouvelles personnes si tout le monde vit la nuit. A part des pécheurs barbus et tatoués sur la jetée, mais c’est pas vraiment mon genre malheureusement. Je continue de marcher sans savoir où je vais quand je tombe sur un bâtiment différent de toutes les maisons. Des fenêtres me montrent l’intérieur. Un diner* ! Et j’aperçois quelques personnes dedans ! Alléluia !

Je décide de rentrer à l’intérieur. Avec un peu de chance, je vais tomber sur de vrais êtres humains, et non pas des loups ou des fantômes.

*******

*Diner : Type de restaurant typique des Etats-Unis servant principalement des plats traditionnels américain. Ils ont généralement un long comptoir et peuvent servir 24h sur 24.

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