Prologue.

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Mardi 8 Mars 2016.

  • Maëlys, c'est l'heure !! Hurle de l'arrière-boutique, Caroline, ma patronne.
  • Oui, oui, je sais.

Elle est pressée ce soir, son fils de douze ans participe à un concours de poésie et elle ne veut absolument pas rater ça. Je la comprends. Comme la boutique est vide, j'en profite pour fermer la porte.
Je bosse ici depuis quatre ans comme vendeuse et j'adore mon boulot. C'est un petit magasin qui vend les pièces uniques de petits créateurs en tout genre. Je trouve ça riche en culture. Du petit collier en perle fait main au tableau abstrait. On vend de tout.
Il est temps de compter la caisse et de passer un coup de balai, après je rentre chez moi. Rien que d'y penser, ça me déprime. À vingt-cinq ans, vivre chez ses parents, ce n'est déjà pas un plaisir. Mais rentrer en sachant ce que l'on va retrouver, ça devient carrément déprimant.

J'enfile ma veste, vérifie que j'ai bien tout fermé à clé et je prends la route à pied jusqu'à chez moi. Un quart d'heure de marche dans Paris. Je traîne, je le reconnais. Je m'arrête devant une agence de voyages. Je me prends à rêver qu'un jour, je m'envolerai en Irlande, dans une contrée perdue loin de tout. Marcher sur la chaussée des Géants. M'imprégner de l'air frais de la mer. En fait, je partirais n'importe où plutôt qu'ici.

Je distingue ma rue, j'en profite pour allumer une clope avant de franchir le seuil de cet enfer. Inspire, expire. Ça va aller, ce soir, j'y crois. Je m'approche en traînant des pieds. Je salue, en prenant mon temps, chaque voisin que je croise. Mais rien n'y fait, je suis arrivée.
Je soupire un bon coup et entre à pas de loup, espérant être seule, mais je déchante très vite quand je l'entends hurler. Je ferme les paupières, la soirée va être longue, très longue.

  • Espèce de bonne à rien ! Même pas capable de m'acheter ce que je te demande ! Hurle-t-il sur ma mère.

Et comme à son habitude, elle s'excuse. Limite à plat ventre devant lui. J'en ai assez de la voir ramper devant lui sans rien dire.

J'entends la claque résonner dans l'appartement suivi des sanglots de ma mère. Je serre les dents. Si seulement je pouvais lui faire avaler son dentier !
J'ai supplié ma mère de partir tellement de fois, mais elle s'y refuse. Elle l'aime et n'imagine pas vivre sans lui. Malgré les coups, les humiliations. Elle a prêté serment devant dieu "pour le meilleur et pour le pire" et elle s'y tient.

Je vis encore ici pour elle. Je ne supporte pas l'idée de partir et la laisser seule avec ce monstre. J'ai peur qu'un jour, elle ne s'en relève pas. Mais plus les années passent et moins j'arrive à supporter tout ça. Depuis le plus loin que je m'en souvienne, il a toujours levé la main sur nous.

Mon père s'approche, je distingue son ombre arriver dans l'encadrement de la porte. Quand il me voit, il se fige. Son regard est trouble, il est saoul, encore. Pathétique, pitoyable. Et dire qu'il est mon père. Il s'approche de moi en titubant et m'agrippe le bras violemment. Je tente de m'en défaire, il resserre son étreinte. Il me fait mal. Les larmes me montent aux yeux. Je sais ce qu'il va se passer. Je suis tellement fatiguée de tout ça.

  • T'as eu ta paye, donne la moi. Ta bonne à rien de mère m'a pris un pack de bière de merde.
  • Il n'y avait plus rien au magasin. J'ai pris ce qu'il restait. Se justifie-t elle. Comme si, il en avait quelque chose à foutre.
  • Désolée p'pa, mais non, je n'ai pas encore été payée. Demain normalement.

C'est pareil tous les mois. Je n'ai même pas le temps d'encaisser mon chèque que déjà, il l'a bu. Mais ce soir, ma réponse ne le satisfait pas et je n'ai pas vu venir la gifle magistrale qui me propulse contre le mur. Je suis sonnée, j'ai mal. J'ai à peine le temps de me remettre droite sur mes jambes qu'il m'attrape par les cheveux pour me secouer.

  • Petite merdeuse. Tu me pourris la vie comme ta conne de mère.
  • Je t'en prie chéri, lâche la. Tu lui fais mal.

Dans un excès de rage, il me jette sur le sol, m'envoie un coup de pied dans les côtes et s'en va en claquant la porte. Je me relève tant bien que mal, choquée par ce qu'il vient de se passer. Ce n'est pas la première fois qu'il lève la main sur moi, mais ça fait toujours aussi mal, j'arrive à peine à reprendre mes esprits.

Ma mère, face à moi, me caresse les épaules. Elle me parle doucement.

  • Ne lui en veux pas ma chérie. Ce n'est pas de sa faute, tu sais. Il a passé une mauvaise journée.
  • Non mais arrête là !! Tu ne peux pas prendre la défense de ce connard alors qu'il vient de me frapper. C'en est trop !

Je lui crie dessus, c'est plus fort que moi, je suis à bout. Je pars m'enfermer dans ma chambre. Je ne peux pas rester là, je peux plus.

  • Oh, ma chérie, ne sois pas fâchée. S'il te plaît. Ouvre moi. Laisse moi entrer.

Je tourne en rond dans ma chambre, sur les nerfs. Folle de rage, mais contre qui ? Lui, qui me frappe ou bien moi qui subis sans rien dire ? Comment supporter ça ? Si ma mère a décidé de vivre tout ça sans rien dire, c'est son choix, mais moi ? Ça ne peut pas être ça ma vie. Vivre avec un soûlard à la main lourde. Non, je m'y refuse. Je m'assois sur mon lit, je frotte doucement mes côtes, il n'y a pas été de main morte cet enfoiré. Si seulement j'avais le courage de l'envoyer chier. Je fais la morale à ma mère, mais je ne suis pas mieux qu'elle. Je ne m'oppose jamais à lui, de peur des coups qui vont tomber par la suite. Je ne suis qu'une hypocrite au final. Je m'en veux, j'ai honte de moi.

Sans réfléchir plus longtemps, j'ouvre mon armoire et en sors mon sac de voyage. Je vide mon tiroir à sous-vêtements, puis glisse quelques pantalons, pulls et t-shirts. Je me dirige vers mon lit et attrape Lilylou, un affreux nounours difforme, mais qui renferme tout mon trésor, soit pas loin de cinq milles euros que j'économise en douce depuis mes vingt et un ans. Quand j'ai compris que mon père boirait mes payes mois après mois. Je refuse de finir comme elle. Si je ne réagis pas maintenant, alors jamais je ne le ferai.

En sortant de ma chambre, ma mère ne comprend pas tout de suite. Mais quand elle pose ses yeux sur mon sac, je vois la peur dans son regard.

  • Non, non, non ma chérie s'il te plait. Ne pars pas. Pardonne lui.

Je la regarde avec tristesse. Comment cette femme, qui était si belle, a-t'elle pu devenir l'ombre d'elle-même. Négligée, peureuse, renfermée. J'ai de la peine pour elle, mais je ne peux plus rien faire. J'ai essayé, mainte et mainte fois, mais là, c'est trop tard. Je dois prendre ma vie en main. Je dois penser à moi avant qu'il ne soit trop tard.

  • Pars avec moi. Je te le demande une dernière fois, pars tout de suite avec moi.

Elle me prend dans ses bras, je sais qu'elle ne viendra pas. Elle en est incapable, mais je me devais, une dernière fois, de lui demander.

  • Prends soin de toi mon petit ange. Et ne m'oublie pas. Je t'aime tellement ma douce Mae.
  • Je t'aime aussi maman. Tellement. Fais attention à toi s'il te plaît. Je t'appellerai quand j'aurais trouvé un point de chute.

Je l'embrasse une dernière fois et me défais de son étreinte. Je sors de la maison sans me retourner, de peur de ne plus arriver à partir. Je ne sais pas trop où je vais, mais j'avance sans m'arrêter.
La nuit est tombée, les rues se font de plus en plus désertes. Je continue ma route droit devant sans trop réfléchir jusqu'à me retrouver devant la gare de Lyon. Et si c'était ça le changement. Tout quitter, partir loin. Refaire ma vie ailleurs.
J'entre dans le hall pratiquement vide, juste des militaires faisant leur ronde. Un S.D.F. assit contre une porte, pelotonné contre son chien. Quelques voyageurs. Je regarde les panneaux d'affichage. Il n'y a pas beaucoup de départs à cette heure-là. Dans quinze minutes, un train part pour Lyon. Dans une heure, un train pour Marseille. Mais je n'ai pas envie d'attendre. Lyon, ce n'est pas si mal après tout.
Je vais vite m'acheter mon billet puis tentes de trouver ce train dans cette gare immense.
Quand enfin, je le repère, il me reste cinq minutes avant son départ, j'ai le temps de fumer une cigarette.
Je monte dans mon wagon et m'installe contre la fenêtre. Je souffle enfin. Je n'en reviens pas de ce que je fais. J'ai le cœur serré, triste d'abandonner ma mère, mon boulot. Mais tellement soulagée de recommencer tout, loin de cet enfer que j'ai toujours connu.
Le train se met à bouger, ça y est, cette fois, je ne peux plus reculer. Je ne sais pas ce qu'il m'attend, mais ça ne peut pas être pire que, ce que j'ai déjà vécue...

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