Grain de sable

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Le lendemain matin, ravie de ne pas avoir fait d'autres cauchemars, elle s'étira longuement, profitant du temps libre qu'elle avait, et remonta un peu plus les draps sur elle. C'est à cet instant que le silence qui régnait dans la, maison l'interpella. Pas de radio à tue-tête ou de bruits domestiques. Pourtant, ses parents étaient toujours actifs dans un coin de la, maison. Elle descendit dans la cuisine, personne, mais un mot posé sur la table.

« Nous t'avons laissé dormir. Ta grand-mère est à l'hôpital, elle a fait un malaise, rejoins-nous dès que tu le pourras. »

Ni une ni deux, elle sauta sous la douche, s'habilla et entra dans sa voiture sans avoir même avalé quoi que ce soit.

Sa grand-mère habitait Concarneau, à environ une heure de là. Elle y vivait seule depuis la mort de son mari et, à plus de quatre-vingts ans, la fatigue se faisait sentir de plus en plus. Comme beaucoup d'autres, Maïwenn n'appréciait pas les hôpitaux et c'est donc à contre-cœur qu'elle poussa la porte d'entrée et demanda son chemin à l'accueil. Devant la chambre qu'on lui avait indiquée, elle retrouva ses parents, la mine grave.

— Alors, comment va-t-elle ? s'empressa-t-elle de demander.

— Elle a chuté, rien de très grave, mais vu son âge... Elle était désorientée et délirait à notre arrivée. Le médecin est venu, ils vont lui donner des calmants, lui répondit son père. Une infirmière sortit alors de la chambre. Celle-ci les autorisa à la voir, mais à la condition d'y entrer un par un. Maïwenn entra la dernière et salua Jeanne, sa grand-mère, tout en s'asseyant à ses côtés. Elle n'était pas très proche de cette femme qui lui avait porté peu d'attention et qui avec le temps, était devenue acariâtre. Les cheveux blancs courts et le regard froid accentué par de nombreuses rides, elle était allongée dans son lit, visiblement affaiblie. La vieille dame lui saisit alors les mains et la regarda tendrement comme pour la remercier de sa présence.

— Mamie, tu as fait une chute, tu devrais te reposer tu sais et ne pas t'agiter comme ça.

— Mon Guide, je ne t'ai jamais oublié. J'espère que toi aussi, tu connaîtras ça Maïwenn. Il m'a laissée seule et maintenant, ils me veulent du mal.

— Papi nous a quittés il y a longtemps. Personne ne te veut de mal, au contraire, si tu es ici, c'est pour ton bien.

— Je ne parle pas de lui, idiote ! Je parle de mon Guide... Tu ne comprends rien.

— D'accord mamie, d'accord, il faut te reposer...

— Me reposer alors que vous êtes tous en danger ! dit la vieille femme en sortant de son lit.

Trop faible, elle vacilla et dut être soutenue par sa petite fille pour ne pas tomber. L'infirmière, alertée par le bruit, entra alors dans la chambre, aida la vieille femme à se remettre au lit puis demanda à sa petite fille de sortir.

Une fois dans le couloir, Maïwenn jeta un regard vers son père qui semblait effondré. Madeline, elle, était debout à ses côtés, la main posée sur son épaule pour lui témoigner son soutien. Cependant, mis à part ce geste, elle n'avait pas l'air affectée par ce qui était en train de se passer.

Depuis quelques semaines, sa mère, d’habitude enjouée, semblait devenir de plus en plus agressive et cette impression avait été confirmée la veille lors de leur dispute. Un instant plus tard, l'infirmière ressortit de la chambre pour les informer que Jeanne s'était endormie. Ils quittèrent alors l'hôpital pour se rendre là où Lionel avait grandi. Sa mère allait être hospitalisée plus longtemps que prévu et avait besoin de vêtements de rechange.

Maïwenn pénétra dans la chambre de sa grand-mère alors qu'elle n'avait jamais eu le droit d’y entrer. La décoration y était quasi inexistante, mais elle remarqua tout de suite la photo de mariage sur la table de nuit. Elle regarda avec attention cette femme sublime à l'air si mélancolique même le jour de son mariage.

Qu'avait-il pu lui arriver de si terrible ? s’interrogea-t-elle.

Puis elle ouvrit son armoire, impeccablement rangée et commença à fouiller.

De quoi aurait-elle besoin ? Une chemise de nuit… Et ça, qu'est-ce que c'est…

Sa main venait de buter contre quelque chose sous une pile de linge : un journal. Elle hésita un instant, mais sa curiosité prit le pas. Elle le sortit, s'assit sur le lit et commença à lire :
« Juillet 1937, ma tante vient de m'offrir ce journal pour que je puisse y écrire mes secrets et j'en ai beaucoup depuis quelque temps ! »

Referme ça, c'est privé. Remets-le à sa place, non mieux, je vais lui amener pour qu'elle se souvienne, se résonna la jeune femme.

Elle le mit dans le sac des vêtements destinés à sa grand-mère et ressortit de la chambre pour saluer ses parents. Elle voulait quitter au plus vite l’atmosphère pesante qui régnait dans cette maison, entre son père au plus mal et sa mère glaciale.

Lorsqu’elle arriva à l’hôpital, elle déposa le sac d'affaires dans un placard prévu à cet effet puis posa le journal sur la table de chevet alors que sa grand-mère semblait dormir paisiblement. — Tu t’en vas déjà ? demanda la vieille femme en lui prenant le bras.

— Je croyais que tu dormais mamie, je ne voulais pas te réveiller, désolée.

— Je ne dormais pas, même si les médicaments m'assomment. Qu'est-ce que tu as posé là ?

— J'ai retrouvé ça dans ton armoire, je me suis dit que ça te ferait plaisir de le relire.

— Aide-moi à me relever. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas lu ce journal. C'est ma tante qui me l'a offert avant la guerre, précisa sa grand-mère tout en le prenant. Je suis déjà au courant, se dit Maïwenn.

— Garde-le. J’aimerais que tu le lises et ensuite, tu comprendras que je ne suis pas sénile, reprit Jeanne.

— Mamie non, c'est personnel.

— Lis-le je te dis, je ne sais pas combien de temps je vais rester ici et j'aimerais que tu le gardes.

— Bon, d'accord si tu y tiens, céda sa petite fille avant de prendre congé.

Maïwenn était très perturbée en sortant de la chambre, car elle ne s'attendait pas à ce que sa grand-mère lui laisse son journal. Sur le chemin du retour, son regard était régulièrement attiré par ce dernier posé sur le siège passager et elle s’imaginait déjà lire l’histoire de Jeanne tranquillement sous la couette. Pourtant, à peine était-elle rentrée dans son appartement que l’on frappait à sa porte. C’était Mylie qui tenait elle aussi un livre dans ses mains.

— J’ai peut-être une explication à tes cauchemars, mais j'ai peur que tu ne sois pas prête à l'entendre, dit cette dernière en entrant.

— Mon psy m’a expliqué que c’était le stress, c’est bon.

— Tout ce que je te demande, c'est de m'écouter, précisa la voisine en s’asseyant sur le canapé. Alors voilà, c'est un livre qui a été écrit dans les années quatre-vingt par un historien. Son père était un grand scientifique pendant la seconde guerre, mais perturbé par d'affreux cauchemars qui le rendirent quasiment fou.

— Ok…Je sors d’une maison de repos alors vas-y mollo avec tes histoires, je suis encore fragile, intervint la jeune fille.

— Laisse-moi finir avant de critiquer.

— D’accord, mais fais gaffe quand même, consentit Maïwenn. Mylie leva les yeux au ciel et reprit :

— Donc, son père tenait un journal dans lequel il notait ses rêves et à chaque fois, le même homme venait le torturer pour connaître l'avancée de ses recherches. Dans le but, d'après lui, de donner des informations à l'ennemi.

— Ne me dis pas que tu crois à cette histoire ? Quel est le rapport avec moi ?

— Je ne sais pas encore. Il explique que la plupart des Guides, comme il les nomme, sont bien intentionnés. L'écrivain s'appelle John Clerks, il est anglais, c'est une sommité du genre.

— Du genre barge ? plaisanta Maïwenn.

— Si tu te moques, j'arrête. Débrouille-toi !

— Excuse-moi, mais pour ton information je suis sous traitement car j’ai eu des hallucinations et je ne pense pas que ce genre d’histoire puisse m’aider à aller mieux, précisa la jeune femme.

— Laisse-moi au moins finir cette histoire, supplia Mylie.

— Soit, mais vite.

— Génial. Une nuit, alors que le Guide essayait de soutirer des informations au père de l'auteur, un autre homme est apparu pour le défendre. Il a aidé le père de Clerks à reprendre ses esprits pour changer les plans qu'il avait conçus. Les nuits suivantes, son père a ainsi pu donner de fausses informations. Après cela, les deux hommes ont souvent communiqué en rêve. C'est fou non ?

— C’est le mot oui. Toutes ces histoires me donnent la chair de poule, même si pour être honnête, je n'y crois pas deux secondes, s’agaça Maïwenn.

— Il faut penser au côté spirituel de la chose. Tu n'es pas encore assez ouverte. D'après lui, ce n'est pas un rêve, tu peux y communiquer comme tu veux.

— Oui, mon psy te parlerait de schizophrénie.

— Et ton psy aurait tort.

— Bref ! lâcha énergiquement Maïwenn pour conclure cette conversation qui ne lui plaisait pas du tout, j’ai trouvé le journal intime de ma grand-mère aujourd’hui.

— Intéressant ! Que raconte-t-elle de beau ? demanda sa voisine faisant mine de ne pas remarquer la diversion.

— Je n’ai lu que quelques lignes, mais ma grand-mère a insisté pour que je le lise en entier. Étrange, non ?

— Elle a dû y écrire tous les secrets de ta famille. Tu vas apprendre que ton grand-père n'était pas vraiment ton grand-père, rétorqua Mylie malicieusement.

— Arrête tes conneries !

— Il s'en est passé des choses pendant la guerre. Elle veut peut-être soulager sa conscience, qui sait. Finalement, c'est peut-être pour cela que tu fais des cauchemars, insista la quadragénaire en riant.

Après une bonne heure de divagations sur ce que sa grand-mère aurait pu faire étant plus jeune, les deux femmes décidèrent d'aller se coucher. Encore une fois, le sommeil ne semblait pas vouloir venir et Maïwenn céda à la tentation du journal de Jeanne.

Juste quelques pages, se promit-elle.

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