Chapitre 1   Le mirage

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Avant-propos

L’histoire de 3 femmes algériennes, travaillant comme ASH (femmes de service) dans l’hôpital où était soignée ma tante, m’a inspiré ce texte que j'avais commené à rédiger il y a 10 ans. Deux d’entre elles ont péri dans des attentats au cours des années de plomb en Algérie. La troisième est revenue, meurtrie dans sa chair et son âme, raconter cette souffrance à ma tante qui me l'a rapportée par la suite. J’ai tenté de communiquer mon ressenti en mélangeant leurs histoires dans celle d’un seul personnage et en terminant ce triste récit maintenant que Zohra est décédée l'an dernier d'une tumeur au cerveau à l'âge de 54 ans.

I

Elle était éreintée, accablée par le poids du malheur, épuisée par la misère, écrasée par la vie ! C’était une lassitude qu’aucun repos ne pouvait soulager. Une fatigue accumulée au fil des ans, petit à petit, insidieusement.

  Des années de frustrations, d’humiliations, de craintes et de souffrances. Des années sombres de labeur sans joie, d’étreintes sans plaisir, de prières à peine exprimées mais jamais prises en compte, de vœux non exaucés.

  Et maintenant, de retour dans le pays de sa jeunesse qu’adolescente, elle avait tant voulu quitter, elle était presque heureuse, le dos appuyé sur le vieux mur de pierre et de terre blanchi à la chaux, face à la montagne sublime et rassurante de sa jeunesse. Elle contemplait les moutons qui paissaient dans le lointain, sur les prairies pentues où s’attardaient des écharpes de brume matinale vite dissipée par un soleil triomphant et dominateur. Ce soleil brûlant qui lui manquait tant là-bas, dans sa terne vie d’avant, cette existence grise qu’était sa condition dans le mirage.

  Le mirage…

  Au début, c’était comme dans un rêve. Il lui suffisait de fermer les yeux et elle voyait les contours d’une ville se dessiner dans le lointain, dans la brume, comme aujourd’hui. Une ville un peu floue car elle manquait de références pour la rendre plus nette, mais colorée, lumineuse, aussi grande qu’elle pouvait l’imaginer, aussi haute que les nuages qui caressaient la montagne.

  Une cité qu’elle imaginait grouillante d’une vie trépidante, chargée de senteurs nouvelles et exotiques, pleine de sons harmonieux, de musique, remplie de visages avenants, d’enfants riants mais également de voitures luxueuses circulant en flot continu, de commerces débordant de marchandises de toutes sortes. Tout ce dont elle avait entendu parler à demi-mots, conversations surprises au détour d’une rue, en passant devant le café du village ou en écoutant ses frères. Elle devinait le bonheur, la liberté, l’argent, toutes notions qu’elle ne connaissait pas vraiment et dont on ne lui disait rien, mais qu'elle magnifiait dans son désir inconscient de connaissance d'un monde tellement éloigné de son quotidien qu'elle ignorait même les mots permettant de le qualifier.

  Un jour, un homme vint d’un village voisin avec des cadeaux pour son père, il disait travailler en France et discuta un long moment avec lui. Après son départ, ses parents eurent une conversation à voix basse au cours de laquelle ils n’arrêtaient pas lui jeter des coups d’œil tout en chuchotant.

  Ce soir-là, après le repas, tandis que son père était sorti pour fumer, seule avec elle, sa mère lui apprit qu’elle allait se marier avant la fin du mois et partir en France avec son mari, Faredj, l’homme qui était venu aujourd’hui. Zohra ne sut pas quoi dire, d’ailleurs personne ne lui demandait son avis. Sa mère paraissait heureuse pour elle et cela lui suffisait.

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