Le chant de l'Homme-renard

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Dans la forêt de Miroris, un Roxomme se tient accroupi sur un rocher. Le museau en l’air, ses longues oreilles dressées, il regarde les étoiles scintiller dans le ciel. Malgré la nuit profonde, il est possible d'observer les nuances rougeâtres de son beau pelage roux, le distinguant de ses congénères. Plus couramment surnommés hommes-renards, ces bipèdes omnivores sont les maîtres des lieux. Agiles et puissants, ils sont également dotés d’une immense intelligence. Leur taille, d'environ deux mètres pour les plus imposants, leur donne accès aux plus hauts arbres fruitiers. Leurs grandes mains armées de griffes, ainsi qu’une multitude de crocs acérées, leur permettent de chasser n’importe quel type de proie. Ces caractéristiques leur ont fait atteindre le sommet de l’organigramme de prédation de Miroris. Malgré cette morphologie effrayante, le Roxomme est aussi connu pour son magnifique pelage. Généralement roux, leurs poils peuvent posséder différentes nuances de couleurs pouvant rendre certain individu unique. Vivant en solitaire ou en couple, on ne sait dire combien d’espèces coexistaient dans ces sous-bois. Se nourrir, contrôler un territoire, former un couple et protéger sa famille incarnent leurs quatre raisons de vivre.

Du haut de son rocher, la tête dans les étoiles, le Roxomme au teint rouge est songeur. Il atteint aujourd’hui sa quinzième année et a vécu de nombreux événements. Soudain, un son provenant d’en bas lui fait reprendre ses esprits. À l’affût, prêt à bondir, il constate finalement qu’il s’agit d’une Roxamme, une femme-renarde. Elle possède une belle fourrure rosée et chante gracieusement, comme une invitation à aller à sa rencontre. Cette sonorité le rend nostalgique. L’Homme-renard, décide de descendre de son rocher, intrigué. Continuant sa mélodie tout en s’approchant de lui, elle met en avant ses atouts pour le séduire. Elle se frotte au pelage du Roxomme, se tenant immobile. La femme-renarde brille par sa beauté et sa voix magnifique. Il est hypnotisé par l’élégance qu’elle dégage. Cela faisait une éternité qu’il n’avait pas ressenti cela. Trois fois par le passé, il avait été ébloui de cette façon. Une période où il chantait encore…

Vers ses trois ans, notre Homme-renard était devenu indépendant et avait quitté les bras de sa mère. Même s’il ne savait pas tenir sur ses deux jambes, il pouvait déjà survivre seul. Lors de l’une de ses ballades quotidiennes, il croisa à l’orée du bois une jeune femme-renarde. Elle possédait un poil orangé et une longue queue épaisse. Tout comme lui, elle marchait encore sur quatre pattes. Tombé sous son charme, le Roxomme commença sa parade. Il détenait en effet un don. Pas une force ou une intelligence supérieure. Mais une voix. Ses glapissements résonnaient dans la forêt comme une belle mélodie. Tournant autour de la femme-renarde, il chantonnait afin de la séduire. Captivée par cet air, la femelle le suivit et ils s’amusèrent ensemble, gambadant dans les bosquets. Mais après quelques semaines, la Roxamme, lassée, décida de partir. Elle donna un coup de queue sur son visage, tel un plumeau, en guise d’au revoir, puis disparut dans un buisson. L’Homme-renard désappointé venait de perdre son premier amour. Quelle déception ! Mais au vu de sa jeunesse, il ne s’inquiétait pas de trouver une partenaire avec qui partager sa vie.

À ses six ans, le Roxomme rougeâtre avait grandi. Debout sur ses deux pattes, il fredonnait quotidiennement dans les bois. Une femelle allait bien être captivée par ses vocalises. Un jour, une Roxamme aux yeux verts le trouva. Mais l’Homme-renard ne se contenta pas de ses talents de musicien. Tout en chanson, il lui montra ses prouesses physiques. Il devait lui prouver qu’elle serait protégée et ne manquerait de rien. Au bord des cours d’eau, il lui pêcha, avec une grande agilité, des truites arc-en-ciel. Il escalada des arbres pour lui attraper macaques ailés, fruits et œufs d’oiseaux tigrés. Ce bonheur à deux dura quelques mois. Un matin, en plein déjeuner, un Roxomme tacheté interrompit le couple. Il était massif et possédait des pattes imposantes et de longs crocs. Il grogna en direction du jeune Homme-renard. Une seule chose à faire : s’enfuir avec sa compagne. Il serait détruit en quelques coups de griffes s’il essayait de riposter. Perdre un repas n’était pas dramatique si cela leur évitait la mort. Mais, à sa grande surprise, la Roxamme s’avança et tourna autour du Roxomme tacheté, stoppant ses grognements et gonflant son torse musclé. Il n’était pas venu pour de la nourriture, mais bien pour une femelle. Le jeune Homme-renard essaya de s’interposer, mais fut arrêté net par l’aboiement du vétéran. Il eut le bon réflexe de s’enfuir immédiatement, car la bête avait bondi vers lui. Sentant presque les canines de son adversaire s’abattre sur sa queue, il détala au loin et ne les revit plus jamais. Le Roxomme était fortement blessé, mais pas physiquement. Il se voyait grandir et vieillir à ses côtés. Pourtant, elle l’avait trahi sans hésitation.

À ses neuf ans, l’Homme-Renard n’avait toujours pas fondé de famille. Il possédait un large territoire qu’il défendait corps et âme. Même un ours-glaçon, créature terrifiante venant des déserts gêlés de Catirys à la recherche de nourritures minorisiennes, n’oserait s’en approcher. L’eau et la nourriture s’y trouvaient en abondance. Un bon matin, il chassait des cerfs à crinière dans la forêt. Mais à la place, il tomba sur une magnifique créature. Une Roxamme à la fourrure d’or. Elle se reposait au milieu d’une clairière. Sa longue queue ornée de boucles blondes recouvrait son corps. Une mèche dorée descendait sur sa nuque. Elle ouvrit ses yeux violets en entendant arriver le mâle. Il commença sa parade amoureuse, comme à son habitude, par une douce mélodie. La femme-renarde, blasée, l’esquiva et partit à la recherche d’un coin plus calme. Cela ne démotiva pas l’Homme-renard.

Jour après jour, il chanta pour la Roxamme blonde. Tous les soirs, il surveillait qu’elle soit en sécurité. Et à chaque lever du soleil, elle trouvait près d’elle une proie capturée par le prétendant, de plus en plus grosse à chaque refus. Cette obstination la fit succomber. À la suite de cette victoire, le Roxomme leur creusa un grand terrier au travers d'un talus. Ils y vécurent heureux pendant une année. Mais, en pleine nuit, l’Homme-renard fut réveillé par une douleur insupportable. Une vision d'effroi. La Roxamme se tenant sur lui, ses griffes plantées dans son bassin, les yeux virant aux rouges. Il ne comprenait plus rien. Elle attaqua à nouveau sans prévenir, le mordant jusqu’au sang au niveau de la clavicule. Il hurla de douleur. Elle n’allait pas lâcher prise. Son instinct reprenant le dessus, le Roxomme lui infligea un coup de patte, le libérant de ses crocs. Il lui avait tranché l’œil et une partie de la gorge. Profitant de ce moment de repis, l’Homme-renard s’enfuit à toute vitesse de la grotte, laissant derrière lui son logis et sa compagne. Il ne savait pas si elle allait survivre, mais qu’importe, il voulait partir loin d’elle. Loin de tout ça. Loin de la douleur. Loin des Roxammes. Courant tout en recouvrant sa blessure. Mais il avait mal, si mal…

Cinq ans après cet accident, cette cicatrice le brûle. Elle le fait souffrir tous les jours. Il lève la tête et pousse un hurlement. Sous lui, la Roxamme au teint rosé est allongée. Incapable de bouger, elle est immobilisée sous le poids du mâle. Elle est en train de suffoquer de douleur. Tailladée de toute part, elle se vide de son sang. Elle n’a pas pu voir venir l’attaque furtive. Sans prévenir, alors qu’elle glapissait, il l’a agressée et plaquée au sol. Puis, il lui a porté plusieurs coups de griffes sur son corps paralysé. Toujours vivante depuis une dizaine de minutes, la femme-renarde rosée ne voit pas arriver le voile noir de la mort. Elle reste allongée, agonisante, baignant dans son propre sang. Le Roxomme couleur pourpre continue de hurler. Pourquoi a-t-il si mal ? Cette douleur ne partira donc jamais ? Que ce soit cette cicatrice à l’épaule, ces griffures sur son bassin, cette impression de morsure à sa queue, cette gifle au visage. Dans un dernier excès de colère, il lève son bras armé, prêt à décapiter sa victime pour abréger ses souffrances.

Mais, il décide de stopper son geste meurtrier. Ses blessures ne le brûlent plus pour l’instant. Il l’abandonne au sol et se dirige dans la forêt. Cette Roxamme n’est pas une proie qu’il compte dévorer ou tuer par plaisir. Un simple jouet qui lui a servi à libérer sa rage. Elle était juste là au mauvais endroit au mauvais moment. Comme toutes les autres femmes-renardes de Miroris qu’il rencontre depuis cinq ans… Mais elle survivra comme les autres et guérira de ses blessures. Celles de notre Roxomme mettent seulement plus de temps que la moyenne. Un jour, il rencontrera peut-être, à l’orée du bois, une Roxamme pour laquelle son désir de chanter reviendra…

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