CHAPITRE 4 - INVESTIGATIONS

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Le moment était arrivé, après plusieurs années de questionnements, d'entamer des recherches comme Marie se l'était promis.

Elle n'avait pas beaucoup d'éléments, si ce n'était la commune et la date de sa naissance . Il fallait commencer par le début, c'est-à-dire prendre contact avec l'organisme qui s'occupait des abandons, la DDASS. Prenant son courage à deux mains, elle était entrée dans l'immeuble de l'organisme et avait déposé un formulaire de demande et de prise de contact. Bien sûr, la réponse n'était pas instantannée, il fallait attendre la réponse dans quelques jours, le service concerné devait faire des recherches !

Tant pis, elle avait patienté jusqu'à maintenant, elle n'était plus à quelques jours près. La réponse a finalement été négative. Pas de dossier ni aucun renseignement la concernant à la DDASS. Il lui a été répondu de chercher ailleurs, il fallait envisager un autre cursus.

Elle était donc allée à la mairie de la commune de sa naissance. Très bien accueillie par des personnes compréhensives, elle avait pu avoir un extrait d'acte de naissance intégral avec une mention en marge concernant le jugement de l'adoption et où figurait le lieu exact de la naissance, avec l'adresse et le nom de la maternité qui s'appelait « Le Berceau Fleuri ». Il s'agissait d'une clinique privée dans un quartier résidentiel où tout le monde n'avait pas forcément les moyens de venir y accoucher. Elle connaissait très bien ce quartier pour y avoir travaillé dans un office notarial, sans savoir que son lieu de naissance était si proche. Elle avait donc décidé d'aller voir de plus près cette maternité. L'établissement qu'elle avait découvert ne ressemblait pas du tout à une clinique, mais qu'était-elle devenue ?

Marie était donc entrée dans le bâtiment pour demander aux personnes qui se trouvaient là ce qu'ils faisaient, car rien était indiqué. On lui avait répondu que la clinique qui existait avait été transférée plus loin dans la commune et que maintenant le bâtiment avait été transformé en cuisines pour des cantines municipales. Aucun rapport en effet !

Ensuite, elle s'était rendue sur place à la nouvelle adresse indiquée. Il s'agissait, en effet, d'une clinique moderne, mais là, personne n'a pu la renseigner. Les personnes de l'époque ne travaillaient plus bien sûr. Les médecins, les infirmières et les sages-femmes étaient à la retraite ou décédés et les archives avaient disparu. Enfin c'est qui lui a été répondu, mais lorsqu'il s'agit de secrets on peut toujours raconter ce que l'on veut . On lui avait même dit qu'elle n'était pas la seule à chercher des renseignements sur sa naissance, d'autres demandes avaient été faites. Le médecin était en effet décédé mais il restait peut-être une infirmière ou sage-femme certainement âgée, mais encore vivante. Marie avait insisté auprès d'une responsable de cette clinique pour obtenir,ne serait-ce que le nom d'une personne, s'étant occupée des petits nés sous X dans l'ancienne clinique et cette cheffe de service a accepté de lui donner quelques informations : il s'agissait de Nathalie PICHON infirmière et une sage-femme, Odile MARCHANT, toutes deux à la retraite et âgées. La chef de service ne lui avait pas laissé beaucoup d'espoir pour les retrouver.

- Mais bon, on ne sait jamais, pensait Marie, je vais peut-être pouvoir en contacter au moins une !

Elle attendait encore des renseignements provenant de divers organismes qu'elle avait interrogés :

Archives départementales, l'organisme d'adoption après la naissance, déclaration de recueillement par l'organisme d'adoption, l'acte de mise sous-tutelle par un Conseil de Tutelle qui a nommé ses futurs parents adoptifs, l'acte authentique d'adoption passé devant notaire et enfin, la demande de renseignements au CNAOP (Conseil National pour l'Accès aux Origines Personnelles). Marie pensait recueillir quelques renseignements sur ces documents qui la mettraient sur la piste de ses recherches. Mais rien...Ce n'était que des formules administratives ou judiciaires, mais rien de concret pour lui donner une information qui fasse avancer son enquête. Apparemment, dès sa naissance les ponts ont été coupés avec la famille et rien ne serait connu par la famille adoptive. Tout était scellé, caché, emporté !

Elle a donc décidé de faire d'autres recherches sur internet à commencer par la sage-femme, Odile MARCHANT qu'elle a trouvée après plusieurs appels. Cette femme avait dit être la fille de Odile MARCHANT, sage-femme, et elle acceptait de recevoir Marie. Cette personne était gynécologue et elle avait donné rendez-vous à Marie qui y était allée donc pleine d'espoir. Mais, Madame MARCHANT-fille, n'était pas très coopérative. Elle lui avait dit que sa mère, qui avait travaillé effectivement dans la maternité concernée, était décédée depuis peu et que de toute façon, le médecin qui avait exercé avec elle était décédé en emportant tous les secrets dans sa tombe. Elle ne comprenait pas non plus pourquoi Marie cherchait à connaître ses origines et elle lui avait dit que ça ne servait à rien ! Cette réflexion n'a pas plu du tout à Marie - on ne parle pas aux gens de cette façon ! avait-t-elle pensé ; ce n'est qu'une égoïste qui peut parler ainsi et qui ne se met pas à la place des autres ! Mais à quoi bon discuter avec des gens bornés !Marie avait essayé de trouver des arguments pour se justifier et cette femme ne les a même pas écoutés. Sans doute attendait-elle une patiente dans son cabinet pour le rendez-vous suivant et Marie lui faisait perdre son temps. Du coup elle est partie en disant à peine au revoir et certainement pas en lui disant merci !

Il fallait passer à « l'opération » suivante : trouver Nathalie PICHON, l'infirmière ! A nouveau quelques recherches sur le internet et à nouveau contact avec la clinique pour savoir s'il leur était possible de lui donner une piste sur cette infirmière. Le nom correspondait à une adresse et Marie a pu retrouver le numéro de téléphone qu'elle a appelé.

- Allo ! Madame Nathalie PICHON ?
- Oui elle-même..
- Je m'appelle Marie BERTIN et je vous appelle de la part de la clinique où vous avez travaillé il y a plusieurs années. Je suis à la recherche de mes origines et je voudrais savoir si vous pouvez m'aider ?
- Je ne peux rien vous promettre, mais je faisais des carnets où je notais les petits qui naissaient sous X...écoutez, je vais regarder dans mes documents et je vous rappelle si je trouve quelque chose !
- Oh merci beaucoup pour votre aide ! Je vous laisse mon numéro de téléphone et vous pourrez me recontacter si vous avez du nouveau. Au revoir Madame.

Marie était pleine d'espoir.

Quelques jours plus tard, elle a reçu l'appel tant attendu de Nathalie PICHON, qui lui donnait rendez-vous dans une brasserie, le lendemain après-midi. Cette attente, qui n'était pourtant que de quelques heures, lui semblait longue ! Le lendemain après-midi, Marie s'est préparée, nerveuse, elle a pris le tram jusqu'à la brasserie choisie pour le rendez-vous et y est entrée. Elle cherchait des yeux une personne qui pouvait correspondre à la description faite et a repéré à une petite table seule une femme qui regardait vers elle.

Elle s'est approchée et lui a demandé :

- Vous êtes Nathalie ?

- Oui, lui a répondu la dame.

- Je suis Marie ! Bonjour.

- Bonjour Marie, asseyez-vous, vous prenez quelque chose ?

- Oui, un café, merci.

Nathalie lui avait expliqué sans attendre ce qu'elle pouvait lui apprendre :

- Vous savez, je n'ai pas retrouvé grand chose. J'avais noté que ce jour du 14 décembre où vous êtes née, il y a eu une terrible tempête qui s'est abattue sur toute la région et ça je m'en suis souvenue très vite en relisant mes notes. Ensuite, j'ai noté qu'une patiente était venue ce jour-là aussi, mais elle ne devait pas accoucher sous X. C'est pourquoi j'ai relevé son nom, elle s'appelait Isabelle PATOT et comme ce n'était pas secret, j'avais également son adresse de l'époque. Par contre je n'avais aucune indication concernant votre mère biologique, comme il se doit dans le cas d'une naissance sous X.Tout ce que je sais, c'est qu'elles ont fait connaissance quand elles se sont croisées à la clinique, pendant des examens. Votre mère biologique s'est peut-être confiée à elle ! Essayez donc de retrouver Isabelle PATOT à l'adresse que je vous donne.

- Est-ce que vous notiez les personnes qui accompagnaient les jeunes femmes qui devaient accoucher ?

- Non, malheureusement ce n'est pas possible. Quand les accompagnants arrivaient dans le service, la famille ou les amis ne rentraient pas plus loin avec elles.

- Mais ce n'est déjà pas mal de savoir tout ça, dit-elle à Nathalie, je vais essayer de creuser un peu pour retrouver cette Isabelle.

Marie et Nathalie avaient encore un peu bavardé sur le sujet des enfants nés sous X et sur sa profession d'infirmière à l'époque. Puis Marie est repartie, contente d'en savoir un peu plus sur les quelques moments qui ont précédé sa naissance. Elle va poursuivre sa quête en cherchant cette Isabelle avec l'adresse donnée par Nathalie.

L'adresse correspondait à un immeuble en plein centre ville et Marie y était allée sans savoir ce qu'elle allait trouver. Devant cet immeuble ancien et cossu, elle avait regardé sur la plaque installée à côté de la sonnette, mais le nom était différent. Tant pis, elle sonna donc un peu inquiète de savoir qui allait lui répondre. L'ouverture de la porte s'était déclenchée, il lui restait à la pousser. Elle s'était retrouvée dans une cour intérieure à peu près carrée, avec des pots de fleurs et quelques décorations de jardin, un petit bassin et des statuettes, où dominait un grand immeuble en pierre. - Vous cherchez quelqu'un ? Avait demandé une dame d'un âge moyen, assez élégante et très polie.

- Oui ! avait répondu Marie, s'il vous plaît, connaissez-vous Isabelle PATOT ? Habite-t-elle ici ?

- Ah non ! avait répondu la dame, je suis la nouvelle propriétaire. Les parents d'Isabelle sont décédés et c'est moi qui ai acheté leur immeuble. Mais j'ai connu leur fille qui habite maintenant au nord du département. Son mari travaille dans l'import-export du vin. Vous les trouverez au nom de la société PATOT dans l'annuaire.

- Merci beaucoup madame, au revoir et excusez-moi de vous avoir dérangée.

Marie pensait : - Allez, c'est reparti pour une nouvelle rencontre ! Mais ça vaut la peine de tout tenter jusqu'au bout ! Google va m'aider à retrouver cette Isabelle PATOT, apparemment PATOT est bien son nom d'épouse. Elle était déjà mariée à cet homme quand elle avait rencontré sa mère biologique, que l'on appellera Rosine. Elle avait pris rendez-vous avec Isabelle par téléphone après lui avoir expliqué la raison de son appel et celle-ci l'avait invitée à la rencontrer chez elle pour en parler. Isabelle PATOT vivait dans une belle maison à l'extérieur de la ville, dans une campagne vallonnée agréable et reposante. Elle l'avait accueillie chaleureusement, l'avait faite entrer et lui avait offert le thé et les petits gâteaux. Elle était d'un certain âge, puisqu'elle avait sûrement à peu près le même que Rosine. Marie se sentait à l'aise pour discuter de cet événement qui la perturbait toujours autant quand elle y pensait. Isabelle avait eu le temps de rassembler dans ses souvenirs quelques détails pour répondre à Marie qui n'a fait qu'écouter le récit qu'elle lui rapportait. :

- J'ai croisé votre mère quelques jours avant, lors d'un examen médical où nous attendions ensemble et nous en sommes venues à discuter. Je me souviens d'elle car elle semblait très triste, ce qui m'a paru bizarre, car attendre un enfant et être sur le point d'accoucher, procure plutôt du bonheur !...Elle ne parlait pas beaucoup non plus. Bref, j'ai pensé que peut-être elle était timide, mais elle a fini par se confier un peu quand même. Elle m'avait raconté qu'elle connaissait bien un jeune homme qui s'appelait Juan et elle ne m'en avait pas dit grand chose. J'ai deviné qu'elle devait avoir des sentiments pour lui. Elle ne m'a pas dit comment elle s'appelait et je voyais bien que cela la dérangeait d'en parler, aussi je n'ai pas insisté.

Marie n'en revenait pas d'entendre tous ces détails. Elle touchait presque au but... Isabelle avait poursuivi :

- Elle m'avait raconté aussi, que ses parents ne voulaient pas qu'elle fréquente ce jeune homme. Et quand elle était tombée enceinte, elle l'avait caché à ses parents et avait rompu avec ce garçon qui n'était pas au courant non plus. Ces derniers, catholiques très pratiquants, ne pouvaient pas tolérer une telle situation. Lorsqu'elle a été obligée de leur avouer la vérité de son état, pour éviter l'humiliation d'avoir une fille déshonorée, mère célibataire, et le -qu'en dira-t-on-, cela était impensable, ils la forcèrent à accoucher sous X.

Marie était navrée d'une telle décision pour cette jeune femme qu'elle ne verrait jamais, pas de nom, pas d'adresse...L'entretien prenait fin et Madame PATOT était désolée de raconter une telle histoire, voyant bien que Marie était très émue. - Je vous remercie Madame PATOT pour tous ces détails. C'est une chance que vous vous soyez rappelée de tout cela ! avait dit Marie.

- Oui en effet, ça m'avait choquée, reprit Madame PATOT. Nous n'étions que toutes les deux, et cette jeune femme m'avait fait peine. Moi j'étais mariée, j'étais heureuse de mettre mon bébé au monde, alors qu'elle avait tout et tout le monde contre elle. Heureusement que de nos jours cela ne se passe plus de la même façon. Les naissances sous X sont plus rares, alors qu'à cette époque c'était beaucoup plus courant. Voilà, c'est tout ce que je peux vous dire, je n'en sais pas plus, car l'heure de nos examens était arrivée et nous avons été séparées sans nous revoir !

Marie avait pris congé de Madame PATOT, le cœur gros. Elle se rendait compte qu'elle était au pied du mur, un grand mur infranchissable derrière lequel étaient ses origines qu'elles ne connaîtraient jamais. Elle en voulait à ces gens qui s'étaient débarrassés d'elle, surtout aux grands-parents qui avaient un esprit, pour le moins étroit, au nom de la religion, mais peut-être et surtout au nom de « que vont dire les autres...les relations...les amis ! » Le « paraître » devant la société. On préfère abandonner l'enfant à n'importe qui, et mettre cette fille à l'écart sûrement ! Ce sont ces préjugés qui sont une honte ! Elle repensait à ce que Madame PATOT lui avait dit à propos du jeune Juan que la jeune femme avait connu et était presque persuadée que c'était de lui qu'elle était tombée enceinte. Il était très vraissemblable qu'il devait être son père biologique. Ce prénom à consonnance espagnole ne la surprenait pas, car elle savait que beaucoup de réfugiés politiques espagnols étaient arrivés en France et notamment dans la région de Bordeaux et un peut partout en France pendant ces années-là pour fuir le régime franquiste. Avoir appris ces détails permit à Marie de se rendre compte que finalement sa mère biologique n'était pas coupable de son abandon, car telle était la volonté de ses propres parents qui étaient, eux, à blâmer. Maintenant, il fallait vivre avec cette idée que sa mère avait été peut- être enfermée quelque part, comme une prisonnière, peut-être décédée, peut-être religieuse, peut-être « libérée » après quelques années ? Le MUR ! Tout était possible, mais tout était là derrière. Marie était juste au pied de ce grand mur et ne pouvait pas le franchir.

La vie continuait et elle devait se faire une raison. Elle voulait révéler la vérité à ses filles qui étaient arrivées à l'âge de comprendre et de supporter ce secret auquel, elles non plus, ne s'attendaient pas. Pour Fred, elle ne lui dirait rien, après tout il ne voulait pas savoir et il ne l'avait pas aidée.

C'est un chamboulement dans une vie que d'apprendre que l'on a été adopté ; on vous voit autrement, qui êtes-vous vraiment ? Les filles de Marie ont très bien réagi, elles ont soutenu leur mère et ont compris les émotions que Marie pouvaient ressentir et toutes les questions restées sans réponses. C'était un manque que Marie n'avait jamais pu combler. Elle devrait se faire une raison pour apprivoiser ce vide dans son passé et privilégier l'avenir pour ses enfants.

F I N

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