31. Dispute

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Assis au fond de l’amphi, ma capuche sur la tête et mes lunettes de soleil sur le nez, j’avais qu’une envie : disparaître. Céleste allait pas tarder à arriver et elle verrait forcément ma sale gueule. Comment j’allais me justifier ? Elle allait m’en vouloir de ne pas avoir cherché un vrai taff. J’étais trop con. Mais putain, ça m’avait fait du bien de me défouler sur ce pauvre mec.

Ça loupa pas. À peine arrivée, à trois rangs de moi, elle fronça les sourcils en voyant ma dégaine. Et quand elle s’assit près de moi, elle m’ôta mes lunettes et en resta bouche bée. J’avais pourtant pas pris si cher que ça. Mais de belles marques ornaient quand même mon visage.

— Pourquoi tu… Mika… couina-t-elle. Je croyais que tu ne faisais plus ça, que tu cherchais un taff et…

Alors non. Je t’ai peut-être un peu menti à ce sujet.

— Céleste, s’te plait, commence pas. Laisse-moi gérer ma vie comme je veux.

Trop agressif, là !

Elle resta silencieuse et détourna le regard. Elle était déçue. Et elle m’adressa plus la parole de la journée. En fait, elle ne parla pas une seule fois, même à Alexis. Pas même pour répondre à une question du prof. J’étais pourtant sûr qu’elle en brûlait d’envie, en bonne fayotte. Mais non. Elle boudait.

Alex en avait eu marre. Il était allé trouver compagnie auprès d’autres étudiants de la promo. Il supportait pas le silence. Il avait dû en avoir marre de parler tout seul, parce que c’était pas sur moi qu’il fallait compter pour faire la conversation. Alors, on était resté tous les deux muets avec Céleste, à pas se regarder, à se tenir assez loin pour pas se toucher. Et, moi, à regretter d’être aussi bête et d’être celui qui la mettait si mal.

— Cél… soupirai-je, tandis qu’on se dirigeait vers le métro, sans un mot. Arrête, tu peux pas me faire la gueule pour ça. C’est ma vie…

— Je pensais que tu voulais te sortir de tout ça, Mikaël.

Elle m’appelait par mon prénom entier, ça puait. Elle l’avait plus fait une seule fois depuis qu’on s’étaient rapprochés. Elle accéléra même le pas, comme pour m’échapper. Et moi, toujours comme un con, je restai en arrière.

Les jours passèrent et Céleste ne fit aucun pas vers moi. Ceci dit, je campais aussi sur mes positions. On se parlait presque plus. On s’asseyait juste à côté en cours, on déjeunait ensemble et on faisait le chemin jusqu’au métro ensemble, mais c’était tout. On discutait pas quand Alex était absent. On passait plus nos week-end ensemble. Notre relation se dégradait et aucun de nous ne faisait quoi que ce soit pour la sauver. Après tout, Céleste avait raison de me laisser en plan. C’était toujours à elle de me tendre une perche. Elle devait en avoir marre.

Le problème était que, même s’il restait presque plus rien de notre amitié, je sentais encore dans son regard à quel point je la rendais triste. Et puis, au fond, y avait ce désir qui nous avait fait céder une nuit. Il était toujours là, dans ses yeux bizarres. Dans les miens aussi. Je la dévorais. Mais je faisais rien.

Pire ! Incapable de gérer ma frustration grandissante, j’avais enchaîné les combats durant les deux semaines qui suivirent. Mon corps entier n’était que douleur et bleus. Mais ça me suffisait pas. Je devenais complètement obsédé par les yeux tristes de Céleste et ses lèvres qui ne me souriaient plus. Elle me faisait payer mon obstination. Parce que j’en étais sûr, elle avait espéré que je mette toutes ces conneries de côtés et qu’une fois plus posé je la laisserais entrer dans ma vie, autrement en tout cas. J’aurais pu faire ça. Mais je l’avais pas fait, parce qu’au fond de moi j’avais l’impression que j’en valait pas le coup. Mon père m’avait fait plus de mal que je le pensais. Ses mots, sa violence étaient ancrés en moi. J’arrivais pas à m’en défaire.

— Mikaël ! couina la blondasse avec qui je venais de passer la soirée.

Elle posa une main sur ma cuisse. Y avait aucun doute sur ses intentions. J’aurais dû la repousser, parce que j’avais pas envie d’elle, mais de Céleste. Mais je me dis, avec la même débilité que d’habitude, que ça me permettrait d’oublier ma nuit avec ma Céleste. Alors, très vite, on se retrouva dans ma chambre d’hôtel, j’enfilai une capote et je la fis gémir. Sauf que c’était une musique bien moins agréable que quand Céleste m’avait susurré quelques mots à l’oreille quand on faisait l’amour.

J’avais trouvé ça vraiment nul. J’avais pas pris mon pied. C’était mécanique. Je l’avais juste baisée, sans rien ressentir. Pas comme avec Céleste. Et je l’avais dégagée juste après. Ça eut au moins le mérite de m’aider à dormir. J’avais vraiment l’impression d’être un clébard. C’était ridicule. C’était Céleste que je voulais. Mais je voulais pas l’admettre.

Alors pendant les trois mois qui suivirent, je continuai le même schéma. Combat. Baise avec une inconnue sans intérêt. Silence avec Céleste. Entraînements intensifs avec Hakim. Révisions, quand j’avais encore un peu d’énergie. Plus les jours, les semaines et les mois passaient, plus je me sentais glisser vers une facette de ma personnalité que j’aimais pas du tout. Céleste avait réussi à me sortir de cette noirceur à coups de grands sourires, mais maintenant qu’elle me souriait plus, j’y retournais comme un connard. Elle me manquait, putain !

On étaient redevenus des inconnus. On ne se parlait que pour bosser. Et, souvent, ça finissait en engueulades parce que j’étais pas aussi intelligent qu’elle et que je comprenais rien à ce qu’elle me disait.

Et puis un soir, elle trouva une de mes conquêtes dans ma chambre d’hôtel. Elle venait bosser. Ce fut la meuf qui ouvrit. J’eus à peine le temps d’apercevoir ma Céleste qu’elle partit déjà en courant. Le temps que je renfile mes fringues, elle était déjà plus là.

À partir de ce jour, elle ne s’assit plus à côté de moi.

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