Trois cent cinquante-trois mille trois cent vingt jours (réécrit)

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Navigateur Ernest Heinlein,

21 Juillet 2269 :

    Nous partons ! Après plusieurs années de patience et de négociations, le projet Centauri b est pleinement abouti ! Je crois bien que je n'avais jamais vu mes collègues aussi heureux. 

Le Verne III est déjà terminé depuis l'année dernière mais l'IWC (International Wireless Company) a tenu à ce que le grand départ se fasse aujourd'hui. Pour la symbolique sans aucun doute. L'équipage a été trié sur le volet : 

Andrew Seldon, notre expert en biologie et en robotique (je ne comprends pas comment il fait pour conjuguer les deux... ça doit être ça le génie), sera en charge de nos "yeux" une fois sur place.

Pauline Shepard: son goût pour la logistique et son expérience des voyages de colonisation sur la Lune et Mars l'ont désignée d'office pour prendre la tête de la mission.

Suzy Lucas, ses qualités d'ingénieur nous seront plus que nécessaires au cours du voyage.

Quant à moi, je suis le navigateur. Bon, j'ai aussi d'autres prérequis pour ce voyage. Je suis, sans vouloir me vanter, un brillant astronome. Étant donné que Verne III est presque entièrement automatique, c'est cette dernière qualité que je solliciterai le plus.

Pauvre vaisseau... la carlingue n'était pas encore montée que l'IWC l'avait déjà changée en panneau publicitaire ! Comme si on allait oublier la plus importante firme internationale de télécommunication et d'électronique... Déjà qu'il n'y a aucun hublots pour voir l'extérieur (trop dangereux).

Le départ est dans deux heures, je suis fébrile.


26 Juillet 2269 :   

    Comme prévu, aucun souci. Le départ depuis la station Skyline a été un succès total ! C'est dingue ce que la propulsion au laser peut être efficace ! Enfin, c'est relatif. Nous avons quand même trois cent cinquante-trois mille trois cent vingt jours de voyage devant nous avec la voile. Bon Dieu quand j'y pense... Ce facteur a été déterminant dans le choix de l'équipage: aucun de nous n'a de famille. Obligatoire. Comment pourriez-vous supporter d'avoir à voyager aussi longtemps (neuf cent soixante-huit ans pour être précis) dans l'espace sinon ? Même si je sais pertinemment que tous mes collègues restés sur Terre seront déjà mort depuis bien longtemps à notre arrivée. Le côté positif, c'est que nous ne verrons pas le temps passer. Littéralement. Nos modules de cryogénie nous réveilleront tous en même temps chaque dernier jour du mois. Cela signifie que nous resterons éveillés trente et un ans en tout... Wow ! Mon corps aura alors soixante-seize ans ! Ce qu'il y a de bien avec les modules cryogéniques, c'est que non seulement ils sont presque toujours fiables mais aussi qu'en ralentissant votre métabolisme, vous vieillissez moins vite en-dehors ! Nous aurons tous dépassés la soixantaine mais nous paraîtrons avoir dix ans de moins.

Une fois arrivés, il ne nous restera plus qu'à préparer les installations de base (panneau solaires, recycleur d'eau, filtres à air ect.) et nous aurons accompli notre mission une fois que Beacon aura été envoyé. Cette petite sonde ovale représente tous les espoirs de conquête de l'Humanité. Après, libre à nous de finir nos vieux jours de la manière dont nous l'entendons. En ce qui me concerne, je les finirais volontiers avec Suzy...   

Il nous reste encore deux jours d'éveil pour effectuer le tour de Verne III. Enfin c'est surtout pour tourner d'autre vidéos promotionnelles pour l'IWC. Dire qu'ils nous ont obligés à prendre leur dernier smartphone à bord. Dans l'espace intersidéral ! Des fois qu'on ait le temps d'aller sur Youtube à plus de quatre années lumières de la Terre ! Mais je ne devrais pas en dire du mal, ils sont peut être idiots mais ils ont l'argent...


31 août 2269 :

    Premier réveil. On est tous encore un peu ramollis par un mois entier de sommeil artificiel.

Pauline a tout sous contrôle : elle tient les gros bonnets informés tant que nous pouvons encore communiquer. Seldon a eut la même idée que moi, il écrit tout dans un petit journal. J'hésite à lui demander s'il en a prévu plusieurs parce que je doute que le papier tienne neuf cent soixante-huit ans, on ne cryogénise pas un livre... Pour ce qui est de Suzy, elle a déjà fait le tour des vérifications de routine. Elle et moi avons bavardé un peu pendant le déjeuné. Nos réflexions tournaient principalement autour du voyage et de notre avenir sur une nouvelle planète. Elle nous voit déjà en Robinson Crusoé moderne. Cela m'a fait sourire. J'ai ajouté que nous possédons tous des ressources que Robinson n'avait pas la chance d'avoir avec lui. 

Notre route vers Centauri b se poursuit à merveille, nous devrions atteindre l'orbite dans les temps. Il nous faudra alors nous placer pile au dessus du terminateur. C'est la ligne sur laquelle on ne risque pas d'étouffer ou de crever de froid. Elle a beau être habitable, cette planète n'en est pas moins hostile ! Comme elle est très proche de son étoile il faut compter sur la température et les rayonnements. C'est mauvais pour le matériel. 

Le terminateur... amusant comme nom de destination.


31 octobre 2272 :

    Je fais de drôles de rêves... Pauline me certifie que c'est dû au sommeil artificiel. Disons que l'on ne rêve pas vraiment sous cryogénie. En fait, chaque cellule est mise en stand-by, le cerveau garde juste ce qu'il faut d'activité pour émettre des bribes de pensées sans queue ni tête.

Andrew ne trouve pas cela normal. Je le sens tendu mais il est toujours comme ça, alors...


30 - 2296 :

    C'est étrange, le calendrier a arrêté de tourner... Heureusement qu' Andrew et moi, nous tenons un journal. Suzy accuse les concepteurs du vaisseau, ils auraient mal codé le calendrier électronique. 

Les rêves s'intensifient, je m'en souviens de mieux en mieux. Cela repose principalement sur le but de notre voyage. Je vois des paysages magnifiques entourés par des montagnes rocheuses immenses. Des oiseaux étranges avec plusieurs paires d'ailes virevoltent autour de moi. Le décor change un peu à chaque fois mais apparaît toujours après un grand éclair blanc. J'aime bien ces rêves.


2658 :

    Le calendrier n'est toujours pas réparé. Et Andrew commence à paniquer. Juste à cause d'une petite pane de rien du tout, le voilà qui s'emballe... Heureusement que Pauline a réussi à le calmer. Elle a vraiment un don avec les gens. Malgré ça, il n'arrête pas de répéter que l'IWC a négligé la sécurité pour faire des économie. Je trouve cela absurde. La moindre négligence ferait de Verne III un investissement trop risqué et ce n'est pas leur genre de prendre des risques. 

On sait qu'on avance. C'est ça qui motive tout le monde. 


295- :

    Notre première grosse frayeur. On a failli déchirer la voile à cause d'un nuage de poussière. Finalement,  mes talents de navigateur se sont révélés utiles. On peut dire qu'on a eu beaucoup de chance ! Le système de sécurité des modules nous a réveillés un peu tard pour corriger la trajectoire au bon moment. Heureusement qu'on a toujours des doses d'adrénaline au cas où. J'ai réussit à nous stabiliser au dernier moment, sinon nous dériverions dans l'espace avec des réserves d'énergie plus que limitées. Il me semble avoir vu Andrew s'évanouir et entendre Suzy crier... 

Je vois le bon côté des choses. Il n'y aurait pas de vrai voyage sans petits pépins. Si ?

Mes rêves sont tellement agréables.


---- :

    Cette fois c'était tout sauf agréable ! J'avais la sensation de me noyer et je n'y voyais plus rien. Je me suis débattu pendant plusieurs minutes qui durèrent une éternité. C'est toujours comme ça dans les rêves, le temps semble plus long. 

Le calme est revenu, je peux ouvrir les yeux maintenant. 

Je me réveille alors que les bords du module s'écartent pour me laisser sortir.

Qu'est ce que c'est que cette lumière ? Elle inonde l'intérieur du vaisseau.

Je repense à notre destination et à son étoile brûlante.

J'ai eu de la chance d'être réveillé en premier, nous sommes arrivés.

  

 

 

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