Automne

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L'automne. Quelle jolie saison. Toutes ces couleurs qui s'entremêlent, de ces verts encore vifs aux orangés rougeoyants, de ce soleil de plomb à la douce grisaille qui arrive. L'été cède sa place tranquillement à l'hiver et l'automne est là pour l'aider. C'est ce qui est chouette avec l'automne ; c'est la saison des transitions. On change de couleurs, de temps, d'odeurs. D'humeur aussi. On croise de tout en automne : de ces enfants émerveillés par les feuilles tombantes à ceux reniflant dans le froid qui vient. Des adultes qui deviennent moroses, pensant déjà à l'été prochain, qui ressortent les écharpes, les pulls en laine et pour les plus frileux, les bonnets.

Nous sommes quatre. Quatre à gérer tout ce temps qui passe, ces saisons qui se succèdent. Elodie se charge du printemps, Hélie de l'été et Blanche de l'Hiver. Ils sont tous sympathiques, ont tous leur caractère bien trempé. On les aime ou on les déteste. On les adule ou on les craint. Hélie et Blanche sont les favoris. Bien que personne ne connaisse nos visages, tout le monde aime l'été et l'hiver. La chaleur et le soleil pour les uns, le froid et la neige pour les autres. Mais qui prête attention à nous ? Qui prête attention au printemps et à l'automne ? Personne. Car nous sommes là uniquement pour une transition, nous sommes ceux qu'on oublie, obnubilés par nos deux camarades.

Je pourrais passer des heures comme ça, à les regarder par la fenêtre. À regarder leur démarche, leurs sourires, leurs petites habitudes. Ces hommes me fascinent. Ils vivent leur vie tranquillement, sans se soucier du temps au dehors, seulement de leurs sensations, de leurs émotions, de leurs actions. Ont-ils seulement conscience de l'immensité qui les entoure, de la complexité des choses ? Je ne pense pas. Mais personne ne peut les blâmer, il y a tant de choses qu'ils ne peuvent voir. Nous par exemple. Nous passons au milieu d'eux, comme n'importe qui. Nous apportons des changements invisibles dans l'immédiat. Un degré d'écart, une fleur qui change, un nuage de plus. Comment peuvent-ils comprendre, s'ils ne voient pas ? Comment peuvent-ils nous aimer s'ils ne comprennent pas ?

Mes poings se sont serrés, mes yeux se sont fermés. Ils ne comprennent pas … À quoi bon continuer si aucun d'eux n’a conscience ! Je déteste cette journée. À partir de demain ils m'oublieront, préférant Blanche à moi. Je peux les comprendre, Blanche est belle. Sa peau pale, ses cheveux blonds, son regard bleu clair, la froideur émanant pourtant de la délicatesse de ses gestes. Mais non, non ils ne peuvent pas savoir eux non plus ! Ils ne la voient pas ! Alors pourquoi ? À mes côtés, le vase près de la fenêtre éclate en mille morceaux, tirant un sursaut à mes trois compagnons calmement installés dans le salon. Une main se pose alors sur la manche de ce pull de laine gris que j'arbore fièrement. Un regard vert rencontre le mien lorsque je daigne le regarder, accompagné d'un sourire. Elle comprend, elle. Elle lit la tristesse en moi, la colère aussi. La résignation, peut-être. Sa main caresse ma joue, dans un geste tendre et maternel. « Je sais que tu détestes ça, Donovan, avait-elle murmuré. Mais il le faut, c'est le cycle. »

Je ne peux retenir un soupire. Elle a raison, comme toujours. Comment fait-elle pour rester toujours aussi agréable ? D'un simple geste de la main elle a fait se recoller les morceaux du vase, un peu comme elle vient de recoller légèrement mon cœur. « Nous pourrons le faire ensemble, si tu le souhaites. » Mon silence lui offre mille et une réponses qu'elle saisit rapidement, tout comme ma main gantée.

Le froid extérieur me fait frissonner et fermer un instant les paupières. Mon dernier jour. C’est le mien. Pas celui de Blanche, ni de Hélie. Pas non plus celui d'Elodie à mes côtés. Non, c’est le mien. Mon dernier jour. Retirant mes gants, je me mets alors à déambuler dans les rues, empoisonnant les dernières fleurs, faisant tomber les dernières feuilles, retirant les derniers agréables degrés. Aujourd'hui, je passe de l'inconnu à l'empoisonneur. Celui qui retire le dernier souffle de chaque être, laissant la place à la froideur constante.

Je suis Donovan. Je suis l'automne. Et à la fin de la journée, je ne suis plus.

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