Comment te dire...

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Qui n'a jamais été amoureux ?

Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire une complainte de l'adolescence frustrée qui n'a pas réussi à avoir celui qu'elle voulait. Non, ma tristesse vient d'ailleurs, mais pour que vous la compreniez, il faut d'abord que je vous raconte comment tout cela a pu prendre autant d'ampleur pour moi.

Pour répondre à ma propre question, bien des gens, en vérité. J'ai compris que je n'avais jamais réellement aimé le jour où ça m'est tombé dessus par inadvertance. Et encore, réduire ça à la simple expression "le jour où" est un terrible erreur. Aimer, c'est long. Aimer c'est une chose de tous les jours. Aimer c'est quelque chose qui ne se voit pas toujours. C'est quelque chose de tellement violent que parfois, on préférerait en être épargné.

Quand je suis tombé amoureuse, j'ai aussi compris que je ne savais pas aimer. Mon corps était capable de générer ce sentiment, me faire me sentir bredouillante et libérer les signaux chimiques dans mon cerveau qui me shootait à un bonheur béat. Mais moi, je n'étais pas apte à y réagir. Je ne savais pas le faire comprendre, le dire avec des gestes, l'indiquer délicatement. Les plus francs diront qu'en bref, je ne sais pas draguer.

Mais il y avait plus que ça. Tomber amoureuse m'a fait tomber tout court. Ca a réveillé mon complexe d'inférieur et mon syndrome de l'imposteur. Il ne pouvait pas m'aimer. Parce que j'étais trop ceci, trop cela. C'est ce que je me disais. Et le jour où j'ai compris qu'effectivement, il n'avait pas ces sentiments  à mon égard, j'ai eu l'impression que cela confirmait tout ce que je pensais de moi - en mal.

La suite a été pire que tomber amoureuse, parce que j'ai sombré dans le fantasme. Le fantasme, c'est comme des sables mouvants. On y enfonce un pied, au début on s'y plaît : c'est chaud, c'est confortable. On laisse son imagination nous guider : s'il était là, je dirais ça, s'il faisait ça, j'agirais comme celà. C'est facile de se laisser piéger. Puis la réalité nous rattrape, et plus le fantasme est présent, plus elle fait mal. Alors on se raconte deux fois plus d'histoires pour se protéger. Finalement, j'ai fini par ne plus réellement être amoureuse de lui, mais de l'image que mon imagination s'était faite de lui. Quelque chose qui n'existe pas, qui n'existera jamais. Et comme dans les sables mouvants, lorsque je me suis rendue compte que je m'enfonçais, j'ai paniqué, j'ai voulu m'en sortir et j'ai continué de sombrer.

Bien sûr, il n'y a pas eu que cette histoire d'amour pour moi durant un an. Il y a eu tant d'autres choses, familiales, personnelles, amicales. Mais disons qu'elle y jouait une part importante. Et surtout qu'elle réveillait en moi les pires humeurs et désespoirs.

Pourquoi je te raconte tout cela ? Peut-être pour justifier l'existence de ce livre. Peut-être pour te dire que tu n'es pas seul face à ce genre de problème. Peut-être pour attirer ton attention sur ce qui est entrain de t'arriver en ce moment même, pour t'aider à sortir de tes erreurs - pas à les éviter, c'est en tombant qu'on apprend. Peut-être parce que ça me fait du bien aussi, de dire ce que moi j'en pense. D'écrire ce que je ne pourrais peut-être jamais raconter à personne, par honte, par peur. J'ai toujours l'impression d'en faire trop, de ne pas être légitime pour me plaindre - c'est normal. Ici, j'aimerais pouvoir continuer à écrire ce que je veux.

Il est évident que cette relation à sens unique m'a plombée l'existence. J'ai fini par m'imposer une distance - parce que croyez le ou non, il n'y avait bien que ça à faire, aucun autre remède n'était possible. Je restais ainsi trois mois, sans le voir ni lui parler, récupérant doucement, l'oubliant doucement. Croyez le ou non, ces trois mois furent les trois meilleurs mois pour moi depuis longtemps. Mais ce n'est pas cette histoire d'amour ratée qui fit que je ressentis en moi une tristesse sans borne.

Au terme des trois mois que j'évoquais, j'ai appris quelque chose qui m'a poussé à lui parler à nouveau.

Pour faire court, j'ai appris par le biais d'un ami commun qu'il avait ce que je qualifierais d'un mal au corps dont on ne se défait pas. Plus clairement : il souffrait à 19 ans à peine, d'une maladie qui risquait presque à tout moment de lui faire passer l'arme à gauche.

Là où j'aurais dû continuer à couper les ponts, j'ai décidé sans trop savoir pourquoi de raccrocher avec lui. J'ai supporté petit à petit, ses insomnies, ses humeurs noires, ses rendez vous hebdomadaires à l'hôpital. Comment en êtions nous arrivé là ? Je n'en sais fichtrement rien. Tout ce que je sais, c'est que plus je l'aidais ainsi, et plus l'idée qu'il puisse un jour tomber à terre sans se relever demeurait, insuportable.

Je ne souhaite à personne, de vivre ce genre de situation, de flirter avec la mort à un âge aussi bas que le notre. C'est à dire qu'on était suffisamment adulte pour comprendre ce qui se passait et tenter de relativiser - il passait son temps à me citer Epicure et son foutu "La mort n'est rien pour nous" - , et encore trop enfant pour pleinement l'accepter.

Je me retrouvais au milieu de tout ça avec mes sentiments mals éteints, et une tristesse dévorante qui me tuait moi aussi à petit feu. Le quitter ? Au risque de le perdre ? Non, je ne pouvais pas, je ne peux toujours pas. J'ai choisi de rester près de lui comme amie. Choix somme toute, totalement irrationel : le perdre serait moins douloureux si je n'étais pas redevenue si proche de lui, mes sentiments ne seraient pas revenus me bourriner la poitrine, et je crois que chacun aurait plus heureux.

Au delà de tout, c'est ce choix irrationel qui me rend triste. Triste parce que je sais que ce je fais n'est pas une solution. Triste, parce que pour me soulager d'un poids, je me sens obligée de raconter ça à des inconnus sur une plateforme. Je me sens presque honteuse en écrivant ces mots, parce que même si je ne suis pas entrée dans les détails, même si je n'ai donné aucun nom, j'ai l'impression de donner une information que j'aurais dû garder pour moi - et que j'ai gardé pour moi vis à vis de mon entourage.

Pour surmonter tout ça malheureusement, je ne connais qu'un remède : le temps. Et parfois l'écriture.

Merci de votre attention.

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