À cœur ouvert

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ÉPISODE 3 : Qu'est-ce que la vie ?

À cœur ouvert

   –  Bien, nom, prénom, date de naissance, c'est bon. Vous êtes bien à jeun ?

   –  Oui monsieur.

   –  Oh, Madame Ride, j'ai vraiment l'air d'un ''monsieur''. Je fais si vieux que ça ? C'est la barbe peut-être ?

   –  Mais non mon p'tit. Continuez, je vous ai interrompu.

   –  Bien. Le médecin vous a expliqué le déroulé de l'intervention ?

   –  Pas vraiment. Heureusement qu'il y a Google, répond-elle en ricanant.

   –  Oui enfin vous savez, Google c'est pas forcément fiable. Il faut se méfier. Vous voulez que je vous explique brièvement ?

   –  Vous êtes bien brave, mais non merci. De toute façon, je n'y survivrai pas. Vous direz à mon fils et à ma petite fille que je les aime beaucoup.

   –  Mais non, tout va bien se passer.

   –  Dans quelques heures je serais morte je vous dis.

   –  Madame Ride, vous ne mourrez pas, je vous assure. Ce genre d'opération on en pratique tous les jours. Tout va bien se passer.

   –  Arf, gémit-elle. Vous verrez, mon enfant. Je vais mourir et c'est pour bientôt. Voyez cela comme un pressentiment. Et puis, appelez-moi Mamy'G, c'est plus cool.

   –  Mamy'G, je vous assure que tout se passera bien, répète le jeune infirmier en manque d'argument.

   –  Croyez la parole d'une vieille dame qui sent venir ces choses-là. La vie est ainsi faite. Mais s'il faut que cela se produise ici, alors procédez à l'intervention. Au moins, je serais endormie.

   –  Vous n'avez que la soixantaine Mamy-G ! Vous n'êtes pas une vieille dame, rétorque-t-il en souriant.

   –  Oui, si vous voulez, répond-elle en détournant le regard. En tout cas sur cette terre.

   –  Je ne saisis pas.

   –  Laissez, jeune homme. Je réfléchissais à voix haute. Quoi qu'il en soit, je suis prête à partir. Procédez à l'anesthésie quand vous le devrez.

   –  Bien. On se retrouve après Mamy-G.

   Voilà déjà trois heures que l'opération a commencé. Mamy-G est sédatée, intubée et perfusée. La sternotomie est impressionnante. La cage thoracique découpée à la scie chirurgicale est maintenue ouverte par deux écarteurs musclés, rigides et froids. La zone est aseptisée et l'odeur de Bétadine mélangée à celle de l'hémoglobine risque d'être insupportable. On ne distingue que ce thorax déstructuré, tandis que tout autour, de nombreux champs verts stériles sont déployés, recouvrant intégralement Mamy-G. Une imposante machine de dernière technologie remplace le cœur arrêté de la patiente. Les turbines tournent sans cesse et rythment les afflux sanguins dans le corps de l'opérée qui se trouve à un mètre ou deux. Ajouté à cela, il y a tous ces opérateurs qui s'activent pour maintenir une vie qui ne tient qu'à un fil. Chirurgiens, internes, externes, infirmiers de bloc et tant d'autres s'accordent et coopèrent avec minutie ; une précision millimétrée que rien ne peut faire faillir.

   Quand soudain, une coupure de courant surprend l'équipe. Toute source de lumière et tout instrument électronique s'éteint instantanément, avant de se rallumer. Tout le monde est immobile. Alors que le chirurgien s’apprêtait à remettre les mains dans la poitrine de sa patiente, la machine qui substitue le cœur de Mamy-G se met à fumer.

   –  Ça c'est pas normal, c'est pas censé faire ça ! s'exclame un interne.

   –  Essayez de …

   Explosion ! La machine vole littéralement en éclat, éjectant des litres de sang à travers la pièce. L'onde de choc est si puissante qu'elle couche à terre certains soignants. Un grondement sourd et mystique se fait alors entendre, puis les ampoules qui éclairent la pièce éclatent, plongeant dans le noir cette scène qui tend à prendre des airs d'horreur.

   –  Allez chercher de l'aide, aller !

   –  Oui tout de suite.

   –  On ne panique pas, ça va aller, suggère le chirurgien.

   Un des externes tente d'ouvrir les portes du bloc, en vain. Toutes les issues sont verrouillées. C'est alors qu'un vivifiant halo de lumière trahit l'obscurité. Son intensité est indescriptible, profonde et effrayante. Sortie de nul par. Elle semble flotter au milieu de la pièce. Puis elle éclate instantanément, ne laissant à personne le temps de comprendre ce qu'il se passe. Cette fois, tous les corps sont propulsés contre les murs, disloqués, éclatés, puis ils s'effondrent sur le carrelage sous l'effet de la gravité. Mamy-G quant à elle est toujours sur cette table d'opération.

   Elle semble émerger de ce sommeil provoqué. Comme hypnotisée, elle se redresse sur cette table, arrache les cathéters qui étaient implantés dans ses deux bras avant de s'extuber ; le tuyau qui était inséré dans sa bouche jusqu'à la trachée est retiré d'un geste précis. Elle s'assoit sur le bord de la table puis, alors que son sternum est toujours écarté par ces outils chirurgicaux, elle se lève, dévie d'un quart de tour et marche vers ce mur, ou plutôt vers cette silhouette. Celle d'une femme.

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