Pour un croissant

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La ville défilait sous leurs pieds. Les pavés lisses et parfaitement alignés du trottoir étaient rarement arpentés à cette heure de la journée, la plupart des travailleurs étant déjà arrivés à leur travail depuis au moins une heure. Seuls quelques retardataires couraient en s’excusant auprès de leur chef, les mains libres d’avoir abandonné les valises, les papiers et les stylos pour le tout numérique, stocké dans leur implant et sur les serveurs d’INRIS. À côté d’eux, le tramway glissait silencieusement sur la route. Partout, les pigeons s’en donnaient à cœur joie. Les façades végétalisées, les arbres plantés tous les dix mètres, les toitures presque exclusivement composées de panneaux solaires, le silence dû à l’absence de voitures, l’architecture de verre, de métal et de pierres et la Dame de Fer, toujours aussi majestueuse, surplombait une ville nouvelle, la première de ce nouvel ordre mondial, mais surtout le berceau de l’entreprise la plus puissante du monde.

- T’es pas gentille ! répéta Kazumi pour la quinzième fois, les bras croisés sur sa poitrine.

- Pardon ! C’est que je n’ai pas l’habitude, tu vois…

- Ah bon ? Pourquoi tu as pas l’habitude ?

- Je fais un métier dangereux, je n’ai pas d’enfants, alors tout est un peu différent, tu vois, résuma-t-elle en lui passant la main dans les cheveux. Pour moi, ce genre de chose, c’est un peu… irréel…

- Tu fais quoi comme métier ?

- Je combats des méchants pour pas qu’ils s’en prennent à des gentils comme toi.

- C’est super cool ! s’enthousiasma l’enfant en se tournant vers elle avec ses grands yeux brillants. Et tu as une arme et tout et tout ?

- Oui, mais pour l’instant je n’ai pas le droit de l’utiliser. Je suis en congé, tu vois.

- Congé ? C’est comme des vacances ?

- C’est ça, des vacances, mais j’ai un peu de travail quand-même…

Leurs deux estomacs grondèrent de concert et avec tellement de force qu’un retardataire qui passait à côté d’eux se retourna. Zelda, gênée, se tourna vers le petit qui, sans un mot, la fit céder. On ne pourrait pas lui reprocher de nourrir un enfant affamé, si ?

- Alors, qu’est-ce que tu veux manger ? soupira-t-elle sans se départir de son sourire. Une crêpe ? Un croissant ? Un pain au chocolat ?

- Qu’est-ce que c’est un… Un pain au chocholat ?

Elle s’arrêta au milieu de la rue en lui lançant un regard dubitatif. Comment ça, il ne connaissait pas les pains au chocolat ? Tout le monde connaissait les pains au chocolat, c’était évident. Elle croisa ses grands yeux rouges dissimulés à l’ombre de sa capuche et s’avoua vaincue. Il n’avait vraiment jamais entendu parler de quelconques viennoiseries. Elle fut instantanément convaincue que ses parents devaient être vraiment mauvais, s’ils ne lui avaient jamais fait manger ce genre de chose. Elle-même, à son âge, elle en avait déjà mangé… La douceur d’un matin comme celui-ci lui revint et un sourire niais naquit sur son visage. Hors de question qu’il passe à côté de ça.

Ils s’installèrent donc dans un café qu’elle connaissait bien, en face d’une place réputée pour ses combats disponibles à toute heure et donc pour sa bouillonnante activité quel que soit le moment de la journée. Enfin, ce n’était pas cela qui l’attirait, mais plutôt la qualité de leurs viennoiseries. Elle laissa l’enfant commander ce qu’il voulait et reprit ses réflexions. Avec un enfant à charge, elle ne pouvait pas vraiment se cacher, même si les informations de Kazumi semblaient terriblement claires sur ce qu’on lui avait fait subir. Était-ce à cause de son albinisme ? Peut-être bien. Après tout, cette société acceptait difficilement ceux qui n’étaient pas comme les autres. Malgré ça, ses parents n’auraient aucun moyen de cacher sa disparition aux autorités, alors ils ne devraient pas tarder à lancer une alerte. Elle ne pouvait pas prendre le risque d’être reconnue comme une criminelle. Il fallait qu’elle l'emmène à un poste de police le plus tôt possible, pour être certaine de pouvoir conserver sa liberté et surtout ne pas entraver la bonne marche du plan du boss.

La petite voix enfantine la sortit de sa rêverie. Et la question la surprit au plus haut point, même si elle n’aurait pas dû.

- Dis, madame, comment tu t’appelles ?

- Je m’appelle Zelda Carmen, pourquoi ?

- Tu es implantée ?

- Comme tout le monde, oui.

- Alors on va pouvoir jouer ensemble !

- Sur Synestya ? demanda-t-elle, avant de réaliser que sa question était stupide.

- Ben oui ! Moi, c’est Robin !

- Et moi, c’est Renouveau.

- C’est vrai ? s’exclama-t-il les yeux brillants. Tu es la vraie Renouveau ?! C’est génial !

- Doucement, grimaça-t-elle en jetant un regard en biais sur les tables alentours, heureusement vides. Pas la peine de le crier sur tous les toits…

Elle soupira. Elle avait perdu l’habitude des enfants… Et son implant ne faisait pas grand-chose pour l’aider… Contrairement à ce que la publicité ressassait encore et encore sur les façades et dans les coins des champs de vision, il ne semblait pas se préoccuper de lui donner les conseils nécessaires à la bonne éducation d’un enfant. Et même s’il pouvait prendre en compte le fait qu’elle avait eu un petit frère, ce n’était pas une bonne raison pour décider qu’elle savait parfaitement gérer ces énergumènes…

La serveuse arriva, son plateau presque recouvert d’assiettes et de tasses, un air curieux sur le visage. Elle l’allégea considérablement devant eux et sourit en croisant le regard étonné de celle qu’elle prenait pour la mère. Mais il y avait quelque chose d’étrange derrière ce masque et cette grimace un peu crispée. Zelda eut beau la fixer, elle ne comprit pas pourquoi. Peut-être devenait-elle trop suspicieuse…

- Excusez-moi, murmura la femme en glissant son plateau sous son bras et en vérifiant que personne ne l’écoutait, j’ai entendu ce que vous disiez et… En fait, je ne devais pas travailler aujourd’hui pour aider les autres à détruire un monstre sur la place, mais on m’a demandé spécialement de venir, alors… Si vous êtes vraiment Renouveau, ça vous dérangerait d’aller leur donner un coup de main ?

Zelda leva les yeux au ciel et rencontra ceux de Kazumi, qui brillaient encore de savoir avec qui il petit-déjeunait. Elle soupira, tandis que sous la table, ses mains serrées lui rappelaient qu’elle avait son devoir à faire, qu’elle était censée se montrer, se battre et affirmer sa force, afin de convaincre le monde qui l’observait de sa volonté de le défendre, même s’il n’était pas réel. Ce n’était pas vraiment l’action en soi qui la dérangeait, mais plutôt la présence de l’enfant, qui risquait d’en savoir plus qu’elle ne le souhaitait.

- Disons que, en temps normal j’aurais dit oui, mais comme j’ai Kazumi aujourd’hui…

- Je m’en occupe, s’exclama la serveuse avec sourire de véritable joie. Si vous voulez bien, bien sûr… De toute façon, avec tout ce qu’il doit manger…

- Je vous fais confiance, alors, soupira la jeune femme, non sans inquiétude. Kazumi, tu joues quoi comme type de personnage ?

- Un monsieur tout vert avec un arc !

- D’accord. Mange bien, mais si je t’appelle, ne bouge pas et connecte-toi, je viendrais t’expliquer, d’accord ? La serveuse va s’occuper de toi le temps que j’aille aider les joueurs sur la place. Si jamais il y a un problème, appelle-moi.

- D’accord, je crierai Renouveau alors !

- Non, tu crieras Zelda et… Appelle-moi comme tu veux, capitula-t-elle en se levant, je me reconnaîtrai. C’est bon ? Tu ne fais pas de bêtises ?

- D’accord !

Avant de partir, elle vérifia que la serveuse ne quittait pas l’enfant. Elle n’était pas spécialement rassurée, mais elle n’avait pas vraiment le choix. Enfin, elle préférait ne pas avoir le choix, que faire si elle découvrait qu’elle était sortie ? Il fallait que Renouveau fasse son travail, comme si de rien n’était, pour qu’elle pût faire le sien. C’était le plan. Et elle ne pouvait pas prendre le risque de le faire tomber à l’eau.

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