L'inconnu du bord de mer

Après 3 heures d'un voyage en pointillés, à somnoler dans mon siège, j’arrive à destination. Je récupère mes affaires. La porte du train s’ouvre. Le hall de gare sent déjà bon l'iode . Des "tableaux cartes postales" au mur étalent les clichés des bords de mer. Je sors de la gare et me dirige à pied vers la plage.

Je traverse ces quartiers résidentiels remplis de maisons de vacances majoritairement vides en cette fin septembre. Je les regarde et rêvasse,  de ce temps des vacances d'été à la belle époque, les dames élégantes en chapeau, les messieurs moustachus en costumes fumant de petits cigares.

Ces maisons élégantes, d’un autre âge gardent toutes ce parfum d’autrefois, de ces riches parisiens venus quelques semaines en vacances en bord de mer emmenant tout leur quotidien luxueux avec eux. 

Devant moi une ruelle sombre dévoile la promenade puis la mer au delà. Bien sûr ce front de mer renferme moins de charme que ces maisons bourgeoises, défiguré par de grands immeubles géométriques, mais tout de même, quelle plage ! Ce croissant de plusieurs kilomètres étalé la devant, bercé par les vagues et les marées !

Je cherche mon hôtel dans lequel je vais rester ce week end.  Je le trouve avec une « vue imprenable sur la grande plage » comme le précisait le site de réservation.

Après avoir récupéré les clés de ma chambre et déposé mes affaires, je redescends au bar de l’hôtel pour me délasser un peu.

L’endroit est situé juste à côté de la grande porte d’entrée vitrée. La décoration « marine » fait voyager, des répliques miniatures de grands voiliers, des tableaux de nœuds, des  reproductions de cartes marines, etc… 

Confortablement installé dans un fauteuil club je jette un œil alentour. A ma droite un couple d’octogénaires prend le thé, lui plongé dans le journal du jour et elle un sourire aux lèvres tournant sa petite cuillère dans sa tasse pour y mélanger le sucre, regardant son mari avec tant de tendresse. Devant un moi un homme d’affaire seul, aveuglé par son I-phone, un verre à whisky vide devant lui, ne prêtant aucune attention à la superbe vue par la baie vitrée.

Enfin à ma gauche un homme d’une trentaine d’année, écrivant sur un bloc note à en-tête de l’hôtel. Son visage est si maigre! Ses pommettes saillantes aiguisées surplombent deux joues creuses qui soutiennent de fines lèvres trop claires. Son blouson un peu large s’affale comme épuisé sur ses épaules. Ses gestes sont lents. Il écrit péniblement, appliqué comme un écolier. Il regarde de temps à autre autour, le regard vide, semblant chercher quelque chose qu'il ne trouve pas.

Il parait perdu là dans cet hôtel, comme un enfant qui a perdu sa mère dans un centre commercial bondé, comme un Robinson tout juste débarqué de son île déserte, qui se heurte violemment au mouvement étourdissant de la civilisation.

Je commande au serveur mon péché mignon: « Un chocolat chaud s’il vous plait! ».

Apportée sur un plateau, tel un bijou précieux, une grande tasse couronnée de mousse laisse échapper ce délicieux parfum de cacao!

Je ne peux m’empêcher de regarder ce jeune homme. La tasse d’expresso devant lui est encore pleine et ne fume plus, sûrement froide et servie depuis un bon moment.

Arrivé en bas de son bloc note, il pose son crayon. Méticuleusement il arrache de fines bandes de papier et les porte à sa bouche, enroulées. Il les avale, une à une, sans se presser, le regard toujours aussi triste après les avoir mâchonnées sans plaisir. Entre chaque rouleau, il ferme les yeux quelques secondes, comme pour se concentrer sur ses sensations.

Sa feuille d’écriture « engloutis », il recule sa chaise et laisse lourdement tomber se mains sur ses cuisses. Ses yeux brillent. Je distingue sa pomme d’Adam monter et descendre comme s’il avalait encore ses petits rouleaux.

Il reste un instant dans cette position, paralysé. Son regard se perd dans le hall. Une larme perle sous son œil droit.

Il se lève sans toucher à sa tasse, laisse quelques pièces sur la table et part vers la grande porte de verre. Courbé tel un vieillard, il sort de l’hôtel ne prêtant aucune attention à ce qui l’entoure. Il traverse la route sans modifier son allure ni vérifier qu’aucune voiture ne risque de le percuter. Il part alors à droite pour suivre la promenade le long de la plage. Ses mains plonge dans ses poches de pantalon trop profondes, son visage fait face à la mer et au soleil de cette fin d’après-midi qui caresse presque l’horizon. 

Ahuri, il continue son chemin. Je le perds de vue.

Curieux cet individu ?!

Je ferme les yeux pour accueillir les derniers rayons de soleil rasants qui traversent la baie vitrée . Rassasié de cette douce lumière, je rouvre les yeux et remarque que l’homme à laissé le bloc note de l’hôtel sur sa table. Je m’interroge : pourquoi mangeait-il ce qu'il écrivait? Que pouvait-il bien écrire?

Je règle ma consommation et m’approche de la table à l’expresso froid.

La lumière à jour frisant fait apparaître des reliefs sur le bloc note, les sillons des écritures de ce jeune homme. Je me saisit du crayon de bois juste à côté et grise la surface du papier.

Sous mes yeux des lettres bien tracées, des mots  renaissent en négatif. 

Alors que je les lis, la lumière semble décroître, plus vite encore. Le bar, le hall de l'hôtel disparaissent autour de moi. Je suis debout au milieu de nulle part, ce papier grisé sous les yeux. J’ai froid et me sent seul. 

Les mots s’organisent en courts textes poétiques :

 

Assis sur le parapet, à tes côtés

Le soleil comme compagnon,

la mer pour décor.

 

Ce matin, j'ai vu la couleur du vent,

entre gris, blanc et bleu,

qui glissait sous tes yeux

 

La mer s'étale inlassablement sur le sable endormi,

et redessine à chaque instant

la ligne de notre présent

 

Les vagues se jettent autour du rocher,

Les nappes d'écumes se rejoignent et s'étreignent,

Nos deux mains qui se serrent.

 

Ces petits poèmes, à la façon d'« haikus » sont les fragments d’une vie à deux, d’une vie passé. Peut être s'agit il de ce bord de mer d'ailleurs.

Le dernier haiku me dévoile l'être cher associé à ces souvenirs:

 

Au hamam,

la vapeur qui fleure bon s'élève,

puis ruisselle sur ton corps alangui.

Si belle sur ces faïences bleues marine,

je t'aime Caroline.

 

 

Cette vie appartient au passée. Une rupture? Un décès ? La marche du temps a brisé cette mélodie disparue, dont les ombres sont dévoilées ici.

Je me plais à penser qu'en mangeant ces bouts de présent, il souhaitait les revivre, les déguster une dernière fois, les graver à jamais dans sa mémoire, au plus profond de son être.

Toutes mes pensées orientées vers lui, je quitte l'hôtel et profite d'une promenade de fin de journée. Arrivé au bout de la plage je m'enfonce derrière les dunes sur un mince sentier. De jeunes trembles aux feuilles brillantes s'organisent en petits bosquets denses répartis le long du chemin. Le vent souffle et anime toutes ces feuilles.

Je m'arrête et écoute cette jolie musique. A mon tour je me risque à me perdre complètement, sincèrement dans ce moment présent. En une respiration, en un souffle, je déclare tout bas :

 

A l’abri, derrière les dunes,

des arbres dansent dans le vent,

Des soupirs s'échappent, vers la lune

Un inconnu pleure dans la forêt d'argent.

 

 

 

 

 

 


 

AmourPoésie
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Table des matières

En réponse au défi

Le mangeur de mots

Lancé par Eleonore O
Vous vous retrouvez assis dans une auberge à la décoration mystique, et observez les gens attablés autour de vous. Un homme précisément, qui écrit. Quand brusquement vous vous rendez compte qu'il arrache les pages une à une, et les MANGE.

Imaginez la suite, et quelle serait la réaction de votre personnage. Essaierez-vous de deviner pour quelle raison cet homme ingurgite ses propres lignes ?

Commentaires & Discussions

L'inconnu du bord de merChapitre4 messages | 6 ans

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