La terre promise (2)

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  Serrant sa pipe entre ses dents, Noa posa la main sur le manche fait d’os et de bois de son arme. Elle expulsa une fine fumée par le nez, imperturbable, les yeux posés sur Nobu. La seconde manche allait donc débuter. Contrairement à Jack, elle avait suffisamment de patience pour attendre que son adversaire fasse le premier pas. Et elle ne doutait pas que sa tirade un peu plus tôt sur son manque d’honneur, devait l’avoir motivé à passer à l’offensive. Nobu ne se fit pas prier, il s’avança en armant son bras pour une frappe rotative. Noa bondit en arrière, le battant de sa veste glissa sur la lame du hachoir. À peine ses pieds touchèrent-ils le sol qu’elle se jeta en avant, dégainant son katana dans le même mouvement pour jouer de son élan et de sa vitesse. La lame siffla dans l’air avant de percuter l’immense guerrier.

  Son katana s’était arrêté contre le torse musclé de Nobu, entaillant à peine sa peau. Noa écarquilla les yeux devant cette surprise. Pourtant Jack l’avait blessé ! Avait-il une force si supérieure à la sienne ? Nobu effectua une autre rotation du bras, repoussant la jeune femme d’un coup de coude. Faisant quelques pas en arrière, le souffle coupé par le choc, Noa se mit rapidement en garde. Le guerrier la foudroya du regard, il lui en voulait donc pour ses répliques. Un puissant coup passa devant les yeux verts de la sauvageonne, un autre frôla son épaule et déchira une partie de sa veste. Les attaques répétées de Nobu passaient proches sans jamais toucher Noa, qui esquivait avec le moins de gestes possible. Ceux qui regardaient la scène, avaient comme l’impression que la jeune femme dansait. Petits pas à gauche, plusieurs foulées à droite, une rotation sur elle-même, puis elle s’accroupit pour éviter une attaque horizontale. Mais quand elle tenta de se redresser, Nobu la bouscula pour la projeter au sol.

  Elle s’en voulut d’esquiver en restant si proche de lui. Obligée de rouler pour éviter le coup suivant dont la lame fissura le marbre dans un fracas assourdissant. Noa bondit sur ses pieds, serra son katana entre ses mains et dévisagea son adversaire. Jusque-là, elle n’avait pas voulu porter d’assaut, ayant compris qu’elle n’arriverait pas à le blesser. Elle cherchait pour l’instant à l’analyser : comprendre si c’était une mutation et si oui, comment passer outre cette faculté. Elle tourna sur elle, laissant la lame passer proche de son corps pour continuer afin d’être dans le dos de Nobu. Mais ce dernier lâcha son hachoir pour attraper la veste flottant dans l’air. Il tira avec force, le tissu craqua avant de se déchirer et ramener Noa dans les airs pour la jeter encore à terre.

  Noa toussa sous le choc, ses yeux se posèrent sur sa pipe non loin d’elle. D’un geste elle la récupéra tout en voyant le gros balèze ramasser son fendoir qu’il leva au-dessus de lui. D’instinct, elle tenta de balayer sa jambe avec son katana. La lame traversa la botte pour s’enfoncer cette fois dans la chair. Nobu brailla en abattant son arme, la jeune femme se contorsionna pour finir en boule, entendant l’acier percuter la pierre à quelques centimètres de sa tête. Le cœur battant, elle bougea un peu pour voir le visage de Nobu proche du sien. Elle mit sa pipe entre ses dents et souffla dedans avec force : crachant par la même occasion de la fumée mêlée de cendres incandescentes. Irritant les yeux, le nez et la gorge du lieutenant qui toussa avant de se redresser, déséquilibré par la surprise et la douleur, il tituba. Noa en profita pour coller ses pieds sur le torse de son adversaire et poussa de toutes ses forces. Elle fit reculer l’homme de quelques pas mais surtout, elle s’était propulsée sur le marbre glissant pour s’éloigner.

  Nobu se frottait les yeux avec son poignet, toussotant et reniflant à cause des cendres qu’il avait avalées. L’homme se sentit vaciller, sa vision était trouble.

 – Et tu oses fumer… ÇA ?!

 – On est pas des petites natures à Gaïa ! répliqua-t-elle.

Noa fit un sourire : ainsi il pouvait parler, pensa-t-elle. Car jusqu’ici, Nobu n’avait pas prononcé un seul mot. Son manche en os et en bois, proche de sa joue, qu’elle tenait de ses deux mains, la lame parallèle au sol. Ses jambes légèrement fléchie, elle fixait son adversaire, son torse pour être exact. Elle pouvait le blesser, elle y était parvenue. De ce qu’elle en avait compris, s’il contractait ses muscles, son épiderme en était bien plus résistant. Une mutation ou une musculature hors norme, Noa n’aurait su le dire. Elle fonça sur son ennemi, silencieuse telle un félin et porta un puissant coup d’estoc.

  La lame traversa le bas du ventre, touchant peut-être le foie, du sang gicla sur le marbre froid. Et la voix de Nobu résonna dans le hall à cause de la douleur. Son regard froid croisa celui de Noa, celle-ci voulut reculer en extirpant son arme mais elle ne le pouvait pas. Forçant pour la retirer, en vain, elle vit bien trop tard le revers de la main de Nobu arriver. La puissante gifle souleva la jeune femme du sol, la projetant en l’air pour l’envoyer un mètre plus loin telle une poupée de chiffon. Le katana effectua plusieurs rotations dans les airs avant de rebondir bruyamment sur le marbre. Le lieutenant s’avança vers la fille au sol, sa main sur sa plaie au ventre, le sang dégoulinait et teintait déjà sa ceinture et le haut de son pantalon. Le souffle court, il posa son pied sur le torse de Noa.

 – Tu as bien combattu, femme. Je vais donc accéder à ta requête et t’achever avec honneur.

Son pied pressait de plus en plus le corps de la jeune femme qui crut que ses os allaient exploser. Rapidement, sa respiration fut impossible. Les yeux exorbités, elle regardait la mort en face : une sorte de démon de la guerre avec des tatouages d’autres démons qui dansaient sur sa peau. Bougeaient-ils vraiment ou était-ce une hallucination ?

  Sven assis à côté de Zenia observait la scène sur le moniteur. Il n’en revenait pas : ce type allait la tuer sans la moindre raison ? De ce qu’il avait vu ou que Zenia lui avait raconté, la fille au katana n’avait strictement rien fait aux hommes du ciel. Il se tourna vers sa compagne, lui demandant s’ils ne pouvaient rien faire. Celle-ci se contenta de hausser les épaules. Le jeune homme se jeta sur le clavier pour voir s’il pouvait accéder aux installations à distance, jouer avec les projecteurs, ouvrir une porte, n’importe quoi pour détourner l’attention et arrêter cette mise à mort. Il refusait de la regarder mourir sans rien faire. Certes, il l'avait vue tuer deux hommes, mais en lisant les informations sur les tribus de Gaïa que Zenia avait rassemblées, il savait que ces « sauvages » défendaient leur terre car dans le passé, ils furent attaqués très souvent. Il détestait les injustices, tout comme son frère et se surprenait lui-même à vouloir sauver la veuve et l’orphelin. Mais ce n’était pas le moment d’être impressionné ou amusé par ses états d’âme, s’il ne se dépêchait pas, elle allait mourir de suffocation ou l’homme lui briserait la cage thoracique. Alors qu’il bataillait sur l’ordinateur, l’Écorchée tapota sur son épaule pour lui dire de regarder l’écran. Sven releva les yeux refusant de croire qu’il était déjà trop tard. Qu’elle était morte. Le jeune homme voulait garder espoir même s’il devait bien l’accepter : d’ici, il ne pouvait rien faire.

  Mais au lieu de la voir mourir, il vit une autre femme, plus jeune, qui dévalait dans le hall, traversant les soldats en les bousculant. Elle semblait hurler sur le guerrier manchot qui avait relevé la tête vers l’adolescente. Celle-ci avait les cheveux étranges, autant par sa couleur que sa coupe. Le dessus de sa chevelure était blond, presque blanc même alors que le dessous : dans la nuque et vers les oreilles, était noir. Le côté droit était long, arrivant à son épaule alors qu’à gauche, la hauteur était au niveau de l’oreille, comme si ses cheveux étaient en spirale. Sven n’avait jamais rien vu de tel, c’était plus qu’original pour lui et trop extravagant également. La jeune femme devait avoir quinze ou seize ans, des yeux noisette avec des traits noirs pour accentuer son regard. Ses lèvres étaient couvertes d’une teinte verte, sûrement un produit de beauté. Le jeune homme savait que certaines aimaient se faire belle, enfin les riches de son pays. L’adolescente s’avança dans le no man’s land et Nobu retira son pied de sa victime.

 – Keiko, que fais-tu ici ?

 – Je suis venue arrêter ce massacre ! L’autre gaillard à la crête agonise déjà, on a pas besoin d’en tuer plusieurs ! Et en plus, celle-ci, elle fait même pas partie du groupe des autres ! Alors pourquoi la tuer ?

 – Par respect. C’est ce qu’elle voulait.

 – Et bien par respect pour moi, tu vas arrêter là et on récupère ce pour quoi on est venu ! Ça te convient ? Elle tourna les yeux vers Wanlia. Pas besoin d’impressionner ta petite protégée ! Continuer comme ça, va juste en faire une sadique psychopathe !

Wanlia s'avança mais Nobu levait la main dans sa direction pour lui dire de ne pas bouger. Le grand guerrier poussa un soupir avant d’éclater de rire.

 – Attachez celle-ci ! ordonna-t-il. Et allons voir ce que cache de si intéressant cet endroit !

Les hommes s’exécutèrent et Sven fut soulagé sous le regard intrigué de Zenia qui ne comprenait pas son intérêt soudain pour une parfaite inconnue.

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