Don du ciel (2)

11 minutes de lecture

  Ils entrèrent dans une grotte, Sibjorn lâcha la chaine tenant sa plaque pour prendre sa hache. Orm avait sa hachette à la main alors que Ogard avait la main à sa ceinture, sur son artefact. Sven à côté de lui, armé de sa lance. Dehors le vent résonnait toujours, comme un monstre affamé. L’odeur de la cavité naturelle était un mélange de poussière et de moisissure, ce qui pour le groupe, ne pouvait dire qu’une chose. Sven posa sa lance et son sac sur le sol. Il fouilla à l’intérieur et en sortit un cylindre métallique. Le jeune se redressa lentement, tapa le tube contre le mur une fois, faisant du bruit qui résonna dans la grotte. Mais rien ne se passa. Il réitéra son action avec plus de force. Orm haussa les épaules et leva les yeux au ciel quand Sijorn lui lança un regard. Les deux l’observèrent en se demandant s’il y arriverait.

 – Tu as tourné l’extrémité ? dit d’une voix calme Ogard en s’appuyant contre la roche pour reprendre son souffle.

Ils étaient tous trempés et gelés. Sven fit tourner le bord du cylindre qui fit un petit cliquetis. Il frappa de nouveau et une flamme en jaillit en crachant des gerbes d’étincelles. La chaleur envahissait déjà les doigts du blondinet mais il la lança dans l’obscurité de la grotte. La lumière se fit par passade, le cylindre roulant par terre, éclairant un instant un endroit, puis un autre, jusqu’à ce qu’il se fige. Rien… Tout était immobile, on voyait juste l’ombre des stalactites qui dansaient sur les parois. Personne ne bougea, chacun tenait son arme et semblait attendre quelque chose. Des bruits de pas se firent entendre, suivi de plusieurs grognements. Une silhouette se dessinait dans la pénombre, fonçant à vive allure vers la sortie.

  C’était un corps décharné, nu et la peau paraissait comme brulée. La chose hurla et courut vers Sven qui se tenait devant la sortie. Sibjorn fit siffler sa hache, percutant le torse de la créature décharnée. La lame s’enfonça dans la chair en faisant un bruit répugnant avant de projeter le cadavre ambulant au sol. Mais déjà une autre goule accourait. Ce fut Orm qui se mit sur son trajet, enfonçant sa hachette dans le crâne de la créature, la tuant sur le coup. Il laissa la goule s’écrouler, posa son pied dessus et extirpa sans arme. Sibjorn achevait le suivant d’un autre coup qui broya les os, le bruit résonna entre les murs. Sven avança d’un pas, désireux de montrer que lui aussi pouvait se charger d’une goule. Il en voyait quatre autres approcher. Orm se dirigeait déjà vers elles. Sibjorn arrachait son arme de la dépouille et Sven attendait son moment pour briller, lui aussi.

  Plusieurs coups s'étaient abbatus. Mais les goules tenaient debout, tenaces et hargneuses : comme si la douleur ne les dérangeait pas. Le jeune colla un coup de lance dans l’épaule d’une des créatures qui en se débattant, lui arracha l’arme des mains. Un coup au visage, Sven tomba au sol et la goule se jeta sur lui. Aussi décharnée et maigre qu’elle puisse être, la goule avait une endurance à toute épreuve et une force impressionnante. Sven senti la panique monter en lui, son rythme cardiaque frappant à tout rompre dans ses tempes, le bruit de ses mains repoussant la chose, ses grognements comme si tout le reste n’existait plus. La goule cherchait à le mordre, à lacérer sa gorge. En dernier recours, le blond lui offrit son avant-bras et le cadavre en sembla fort ravi. Jusqu’à ce que ses dents se brisent contre l’acier. La goule n’en démordait pas pour autant et l'adolescent devait continuer à se débattre, Orm commençait à se diriger rapidement vers son frère mais il le vit sortir de sa manche, la lame d’un poignard qu’il enfonça dans la gorge de la créature décharnée qui s’écroula sur le sol : morte.

  Ogard était resté derrière, silencieux. La main sur son arme, observant la scène sans rien dire pour ne pas distraire ses compagnons. Orm moins soucieux, achevait sa troisième goule alors que Sibjorn faisait voler sa cinquième contre la roche. Le silence revint alors, les deux hommes restèrent immobiles et silencieux à côté du tube projetant des étincelles et servant à présent de lanterne. Ils restèrent ainsi plus d’une minute et enfin Sibjorn s’appuya sur son immense hache couverte de sang, de cervelles et d’os. Il soupira et se tourna vers Sven toujours au sol avec sa goule couchée sur lui.

 – Tu t’es fait une copine ? ironisa Sibjorn.

 – Elle me semble un peu trop collante, tu m’en débarrasses avant qu’elle ne me demande en mariage ?

Orm vint l’aider à pousser le mort pour qu’il se relève. Lui faisant un sourire après lui avoir demandé s’il allait bien.

 – Ça va, pratique ce protège bras finalement non ?

 – Y dissimuler le poignard était aussi ingénieux que stupide… T’aurais pu ne jamais réussir à le sortir.

 – Je réfléchirai pour arranger ça, ouais.

Soulagé, Orm lui ébouriffa les cheveux en rigolant. Etonnamment, personne n’en voulait au vieux de ne pas être intervenu. Considéré comme trop faible pour se battre ou pour une autre raison ? Reste qu’il avait lâché son artefact et qu’il s’était avancé après avoir ramassé le sac du gamin. Il en sorti un autre tube métallique qu’il craqua et alluma.

 – Oui, ça suffira pour la nuit je pense. On devrait même pouvoir faire cuire un peu de cette bonne viande… Avant qu’elle ne congèle. Z’en pensez quoi les jeunes ?

Orm acquiesça, disant ensuite à Sibjorn de vérifier les alentours pendant que lui et son frère sortaient les corps des goules.

  Ils les trainèrent sur le sol et les jetèrent dehors dans le blizzard, récupérant le traineau de fortune qu’ils rapprochèrent le plus possible de l’entrée de la grotte. L’ancien s’était déjà affairé à préparer une casserole pour y faire fondre de la neige. Avec l’aide de Sven, ils découpèrent des lamelles de viandes pour en faire sécher puis faire cuire de plus gros morceaux. Rapidement une bonne odeur se répandit dans la grotte : Ogard ayant mis des champignons et des herbes dans l’eau bouillante accompagnée de plusieurs bouts de viandes et des cailloux pour garder la chaleur avait-il expliqué. Sibjorn revint alors et haussa les épaules pour lâcher sur un ton rauque :

 – Rien… Enfin y a un long tunnel plus loin qui continue mais l’odeur de merde des goules y est moins présente qu’elle l’était ici, dit-il en se tournant vers la gamelle bouillonnante. Du ragoût ? J’en rêvais. Les soupes de champignons commençaient à me constiper !

 – Monsieur Volkov, si ma nourriture ne vous convient pas, vous pouvez toujours aller chercher autre chose à manger, rétorqua le vieil homme, bougon.

 – Je n’y connais rien en champignons ou mousses comestibles. Mais je peux ajouter un peu de ces goules si tu veux ?

Le vieux fit mine de tousser pour dissimuler son rire et Sibjorn semblait fier de sa tirade. Sven observa le ragoût qui cuisait doucement, il remarqua que tous grelottaient. Après avoir crapahuté pendant des heures dans la neige puis dans le début du blizzard, leurs tenues étaient trempées. Il se tourna vers son sac et en sortit un petit flacon avec un liquide ambré à l’intérieur. Il la débouchonna et la tendit à Orm qui tendit d’abord le flacon à Sibjorn puis à Ogard et enfin à Sven.

  Orm le récupéra, huma l’odeur toujours aussi âcre du liquide. Il en prit une gorgée, sentant sa langue et son palais brûler puis sa gorge fut comme en feu. Un frisson parcourut son corps, il avait l’impression d’avoir avalé des braises, le goût était infect et amer. Une bouffée de chaleur se répandit en lui, bloquant un instant sa respiration, lui donnant la chair de poule. Il souffla alors avec force, pensant qu’il allait cracher des flammes tellement sa gorge et son corps étaient chauds. Les larmes aux yeux, il ferma le flacon et le tendit à Sven qui le rangea précautionneusement dans le sac en peau. Tout le monde semblait avoir repris des couleurs et le jeune homme se leva pour retirer la peau de bête sur ses épaules, décrochant son manteau et son haut pour se mettre torse nu.

  Après plusieurs minutes le quatuor était en sous-vêtements, étendant leur linge après des stalagmites proches du foyer incandescant pour les faire sécher. Chacun prit dans ses affaires de quoi se couvrir car même si les fusées éclairantes et le feu de camp chauffaient suffisamment l’endroit, il y faisait encore un peu frais, surtout avec l’entrée à une vingtaine de mètres, laissant passer des courants d’air violents.

  Ogard s’était mis un châle sur les épaules, Orm et Sven avaient des débardeurs en lin et Sibjorn avait sorti sa couverture pour s’emmitoufler dedans. Le vieil homme touillait le ragoût de temps à autre et avait sorti une bouteille en verre qu’il ouvrit avec les dents. Il but une longue gorgée et poussa un râle de satisfaction avant de la poser à ses côtés. Le jeune chef lui lança un regard malicieux.

 – Pendant que ça cuit et qu’on mange, tu n’as pas une histoire à raconter ? Une sans femme trop saoule pour faire attention à ta sale trogne.

 – Ma sale gueule a sûrement vu plus d’entrejambes que toi Orm. Et je n’ai pas ce joli minois alors tu devrais mieux écouter : tu apprendrais des choses.

 – Peut-être. Enfin je te rappelle que si je suis ici, dehors et avec toi, je ne risque pas de voir de jolies femmes en ville.

 – Certes… Tu es un banni, enfin un chasseur, pour quelle raison déjà ?

Orm se renfrogna et attrapa la bouteille du vieux sans lui demander son avis. Il prit une longue gorgée et toussota avant de la reposer. Des larmes perlaient de ses yeux vairons.

 – La liqueur c’pas pour les gamins. Et donc, ma question ?

 – Meurtre…

La lueur des flammes dansait dans les yeux du jeune homme dont la mâchoire était crispée. Ogard se contenta de l’observer en silence, doué d’une patience à toute épreuve il savait que le jeune allait parler de lui-même. Mais ce fut Sven qui apporta des explications.

 – C’est plus compliqué que ça. Orm travaillait aux machineries en ville et il y a surpris cet enfoiré de Runolf qui piquait du matériel en douce. Comme toujours : Ser Orm a voulu faire le justicier et ils en sont venus aux mains et…

 – Je l’ai tué.

 – C’était un accident ! intervint Sven.

 – Ouais je vois, coupa Ogard en levant la main. À Spindelsinn, les faits sont généralement contre nous. Un mort, un suspect c’est suffisant pour faire de toi le coupable. Et pour ça, tu as pris quoi… Trois ans ? Quatre ?

 – Cinq… Le père de Runolf est un ingénieur. Il a joué de son influence…

  Orm poussa un soupir puis afficha un sourire pour montrer que ce n’était pas si grave. Comme si être exclu de chez soi n’était pas si grave. Spindelsinn était le nom de cette immense ville souterraine : un ancien laboratoire qui datait d'avant la Grande Catastrophe. Les survivants en avaient fait une ville pour y vivre, baptisant le continent couvert de neige et de glace du même nom car personne ne se souvenait du nom qu’il avait autrefois. Cela faisait plusieurs siècles que la Grande Catastrophe avait eu lieu et il ne restait de cette époque que des rumeurs et des légendes.

  Orm se souvenait de son enfance à jouer dans les tunnels sombres de la cité, de la fumée omniprésente que dégageaient les machines pour produire lumière et chaleur aux habitants. A cette époque, il rêvait de voir ces machines de ses yeux, de voir cette « technomagie » par lui-même. Quelle déception ce fut quand il devint un ouvrier qui devait réparer des pièces cassées ou les graisser. La technomagie maintenait tout le monde en vie, mais le bas peuple se tuait à la tâche pour la faire fonctionner… Seuls les ingénieurs, les nobles de la cité, ceux ayant des connaissances importantes ou de l’argent pouvaient vivre à l’écart de la pollution et participer à améliorer la ville. Enfin, c’est ce qu’il se disait mais Orm n’en savait rien. Peut-être se contentaient-ils de se la couler douce ? Il passa machinalement sa main dans ses cheveux mouillés.

 – Le pire, c’est que j’ai vu qu’il allait tomber. Mais je n’ai pas empêché les choses de se produire.

 – C’est comme ça, soupira Ogard. Et toi Sven, tu as fait quoi ? Un petit délit pour retrouver ton frère ?

 – Je me suis porté volontaire. Je n’ai qu’Orm, ça m’était impensable de l’imaginer mourir à la surface.

 – Sacrée folie que nous avons là… C’est notre deuxième sortie ensemble et j’aime bien l’idée de nouer des liens. Pour éviter que l’un n’abandonne les autres si jamais ça venait à se corser… Donner l’illusion d’un groupe soudé, pas de parias. Moi, j’en suis là… Pour une belle femme…

 – Et le voilà qui recommence ! s’exclama Sibjorn en riant.

Sven souriait également, trouvant le vieux si amusant de toujours tout ramener à une histoire de femme à la cuisse légère.

 – Pour une belle femme, j’ai vendu des artefacts sous le manteau. Je me suis fait un beau pactole, j’espérais m’acheter un navire, prendre la mer et partir avec elle. Mais on m’attendait sur le quai, elle et les gardes… Vente illégale d’artefacts et de secrets militaires de Spindelsinn. On m’a qualifié d’espion, de traître, d’avoir volé du matériel important. Comme si ce que j'avais pris, avait provoqué de nombreuses morts. Balivernes !!

 – Moralité : ne vous fiez jamais au décolleté aussi plongeant soit-il d’une belle femme.

Ogard éclata de rire à la réflexion de Sibjorn. Le grand costaud ne parlait pas souvent, mais il avait semble-t-il toujours la bonne réplique à placer pour taquiner. Les deux se connaissaient depuis longtemps : Ogard était un commerçant réputé autrefois et il embauchait parfois Sibjorn. Orm connaissait aussi le grand costaud, ils avaient grandi ensemble mais il ignorait comment Sibjorn en était venu à explorer la surface. Chasseur, ce terme l’agaçait : les hors la loi se retrouvaient envoyer à la surface, à chasser du gibier pour la communauté, à trouver des galeries et de la technomagie en guise de travail d’intérêt général. Si on avait la chance de trouver un artefact rare, le crime commis disparaissait. Sinon on devait survivre dans le blizzard tout le temps de sa peine. Avec tout de même le droit de vivre à l’entrée de la cité pendant quelques semaines entre deux explorations.

  Orm se leva alors, un peu frustré du sort qu’il avait subi en ayant voulu être un justicier. En voyant que son petit frère, qui avait trouvé un travail respectable chez un architecte, s’était porté volontaire pour le rejoindre. Sven ne méritait pas ça, il n’était pas fait pour ça… Aucun humain n’était fait pour vivre à la surface.

 – Je monte la garde vers l’extérieur. Sib’ surveille le tunnel au cas où. Mangez puis dormez. Sven je te réveille plus tard pour me remplacer. Demain on prendra ce tunnel en espérant qu’il débouche sur quelque chose d’intéressant.

Annotations

Vous aimez lire Isoshi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0