Chapitre 5, Miraza

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April, c’est le prénom que j’ai lu sur son dossier il me semble, a cet air de dédain propre à ceux qui ne s’estiment que par leurs succès et ce, même s’ils sont moins nombreux que leurs échecs. April est ce genre de personne que tout le monde admire sans vraiment savoir pourquoi. Le genre de personne que j’aurais préféré ne pas avoir à fréquenter. Et avec cette allure de Bad Guy qu’elle laisse flotter dans son sillage comme une traînée de braises mal éteintes, on la croirait sortie d’une série policière où le personnage est voulu tellement séduisant et mystérieux, qu’il en devient absurde à l’extrême. C’est la réflexion que je ne peux m’empêcher de faire quand je la vois traverser le poste en suivant les deux patrouilleurs du S.P.C.P. qui conduisent l’arrêté en salle d’interrogatoire. April tourne les yeux vers moi et m’adresse un micro-sourire à peine visible qui disparaît aussitôt. Elle insère sa carte dans la machine à café et commande un double expresso sans sucre. C’est lorsqu’elle me tourne le dos que je m’autorise à la regarder vraiment et à me poser les bonnes questions. Qui est-elle et surtout qu’est-ce qu’une personne apparemment si compétente vient faire ici, presque en bas de l’échelle ? Ça ne peut être que parce qu’elle a fait une faute grave, personne ne régresserait par choix. Reste à découvrir ce qu’elle cache.

Elle récupère son gobelet de café et se faufile habilement entre les agents, les rares civils, les secrétaires, jusqu’à s’échapper, comme un nuage de fumée par une fenêtre ouverte, dans le couloir menant à la salle d’interrogatoire. Même une fois disparue de mon champ de vision, il reste un semblant d’empreinte stagnante de sa présence là, autour de moi. Mais je suis peut-être la seule à m’en rendre compte.
— Alors ? Vous en pensez quoi ?
Je sursaute quand mon patron me tire de mon délire d’observation.
— Elle a conduit comme si elle savait exactement où aller et puis, il y avait ses deux hommes en train de dealer. L’un d’eux s’est fait descendre et elle a poursuivi et attrapé l’autre, expliquai-je brièvement. Aucune procédure n’a été respectée. Elle a enfreint à peu près toutes les règles du service en à peine trente minutes.
Il affiche une mine dubitative et ses lèvres s’étirent en un large sourire.
— Vous n’êtes pas superstitieuse Miraza ?
Je secoue négativement la tête en attente de la moquerie à venir.
— Et bien moi non plus ! S’exclame-t-il avant de se pencher vers moi. La seule raison pour laquelle elle a pu savoir où aller, c’est qu’elle a organisé elle-même la rencontre entre le dealer et le client, voire même le meurtre.
J’ouvre de grands yeux surpris. Quoi ?
— Vous pensez ?
— Elle fera une erreur tôt ou tard, c’est pourquoi je veux non seulement que vous assistiez à l’interrogatoire, mais aussi que vous continuiez de garder un œil sur ses faits et gestes.
Je m’apprête à répondre mais il me prend de court.
— Ne vous inquiétez pas, je vais lancer une procédure pour que vous ne soyez pas hors-la-loi.
Il a une lueur de satisfaction malicieuse dans les yeux alors que je disparais dans le couloir qu’elle a emprunté un peu plus tôt.

Les clés tournent dans la serrure de la porte et je pénètre dans la petite pièce adjacente à la salle d’interrogatoire. Elle ne peut pas savoir que je suis là, les clés ne s’obtiennent que par autorisation de la hiérarchie et même les agents du S.P.C.P. ne les ont pas. Privilège d’inspectrice. Je reste à un mètre de la vitre, les bras croisés, et savoure la situation. Je vois tout et entends tout alors qu’elle ne peut ni me voir, ni m’entendre. La salle d’interrogatoire est curieusement plus sombre que d’habitude, la plupart des lumières ont volontairement été éteintes de sorte qu’elle se trouve tapie dans le noir, augmentant la pression exercée sur l’homme.
— … Pourquoi avoir fait ça si c’était ton dealer régulier ? entendis-je.
J’ai loupé tout le début de l’interrogatoire, merde. Elle lui a sûrement déjà posé les questions sur son identité et celle de la victime, ainsi que sur ses habitudes de deal et son lien avec l’organisation et la voilà arrivée au fameux pourquoi. L’homme esquive la question et tente de fuir son regard, l’unique chose qu’il peut percevoir d’elle dans la pénombre ambiante.
— Répond-moi !
Elle frappe du poing sur la table et nous fait sursauter l’homme et moi. Le geste était bien trop soudain, je fronce les sourcils et serre les poings. Réaction disproportionnée. On dirait qu’elle n’a pas de mesure et je parierais même qu’elle perd très vite le contrôle.
— C’est une nouvelle, explique-t-il alors, elle est très puissante. Je ne voulais pas qu’ils sachent que j’étais au courant, je suis un consommateur mais c’était trop pour moi. Je ne voulais pas être mêlé à quelque chose d’aussi dangereux, alors je l’ai tué et j’ai essayé de m’enfuir.
April s’avance d’un pas mais sa silhouette reste difficile à distinguer. Il faut l’imaginer pour voir sa silhouette se découper dans la masse d’obscurité qui l’entoure. La lumière qui se réfléchit dans ses pupilles profondes illumine ses iris d’un gris-blanc immaculé. Je frémis d’effroi. Elle s’avance encore, pose ses deux mains sur la table et ses lèvres deviennent visibles lorsqu’elle lui demande :
— Comment s’appelle-t-elle ?
— Lyse… répond l’homme.

Les deux cercles blancs de ses iris se braquent sur moi, comme dans une scène de film d’horreur. Je recule d’un pas, elle ne peut pas me voir. Un micro-sourire. Je retiens mon souffle… Elle répète lentement en détachant les syllabes.
— Lyse…
Et sa présence s’évanouit quand elle sort rapidement en laissant une porte grande ouverte. Je reste plantée là comme une conne, à fixer la vitre qui nous séparait, comme si son regard me foudroyait encore. Mais au moins, je respire.

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