Chapitre 3-4

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Un grognement, provenant du bas des escaliers, arracha Dimitri à sa lecture. Henri venait de rentrer. Il rouspétait car rien n'était prêt pour le repas de midi, alors qu'ils devaient se rendre chez Maître Salain à quinze heures. Dim, absorbé, avait complètement oublié ! Il dévala les marches, exécuta une sorte de danse dans la cuisine, démarra la cuisson d'un sachet de riz, ouvrit des boîtes, prépara une vinaigrette, espérant contenter son grand-père d'une salade composée. Anxieux, le vieux tournait dans l'appartement en râlant. Tout en virevoltant, Dimitri repensait au manuscrit qui, lui semblait-il, prenait un tournant militant. Sa mère n'y était pas allée de main morte, comme aurait dit Alice. Le combat féministe était-il aussi celui de sa grand-mère ? Dim avait beau fouiller sa mémoire, il ne se souvenait pas d'avoir un jour abordé ce sujet. Alice, son cheval de bataille c'était la promotion de la lecture, pour tous et partout. Plus il réfléchissait et plus il se rendait compte que le rayon des livres engagés pour la cause des femmes était absent de la "lilibrairie".

Henri le rejoignit et s'attabla. Lorsque, plutôt satisfait de son efficacité, Dim posa le gros saladier entre leurs deux assiettes, son grand-père lui jeta un regard noir. Il se servit, puis commença à trier les petits pois. Décidément, Henri n'était pas facile à vivre, il n'était jamais content ! Se souvenant soudain qu'il n'en mangeait plus depuis le diagnostic de son diabète, il s'excusa. Le vieux se contenta de mâcher.

Après le repas, Henri grogna à Dim de le réveiller à quatorze heures. Il le pria de ne pas oublier, en insistant lourdement sur ce mot, pour ne pas arriver en retard chez le notaire, puis il disparut dans sa chambre.

Rageant intérieurement, Dimitri débarrassa et lava leurs couverts. Allait-il supporter cette ambiance encore longtemps ? Henri croyait-il être le seul à souffrir du départ d'Alice ? Il serait bienvenu qu'il y mette un peu du sien... Contrairement à sa grand-mère, qui l'essuyait et la rangeait, il laissa la vaisselle sécher sur l'égouttoir et fonça lire la suite du livre de sa mère.

Quelque temps plus tard, à la Taverne...

Julien gare son tracteur sur la petite place devant le bistrot. Tous les jeudis matin, jour de marché, il s'octroie un apéro, le seul de la semaine. D'habitude, il n'y a jamais beaucoup de femmes au café, mais il n'en manque pas dans les rues. Là, bizarrement, pas la moindre jupe, pas la moindre robe, pas la moindre paire de seins à l'horizon. Impossible de ne pas le remarquer ! Même les sons autour de lui sont différents. Fronçant les sourcils, il s'engouffre dans le bar-tabac :

« Salut les gars ! Quelqu'un sait ce qui se passe ? Elles sont passées où les nanas ?

— C'est vrai que tu es célibataire et que tu n'as pas la télé, toi ! Donc, tu n'es pas au courant, le taquine Nicolas.

— Au courant de quoi ? Il y a les Chip-en-dailes et elles sont allées se rincer l'œil sur de beaux corps, pour changer un peu ? réplique Julien.

— Tu n'y es pas du tout mon vieux ! Elles font de la politique. Elles veulent prendre le pouvoir, lui explique Alain.

— Qu'est-ce que c'est encore que cette connerie ? s'esclaffe Julien en commandant, d'un signe du menton, sa Suze hebdomadaire.

— C'est pas des conneries mon vieux, précise Nicolas. Elles se sont toutes rassemblées ce matin, direction la capitale !

— Elles sont toutes parties à Paris ? s'étonne Julien.

— Oui, monsieur, toutes ! Même les gamines et les grands-mères, précise Alain.

— Et ça leur a pris comme une envie de pisser ? ironise Julien.

— Tu rigoles ! Ça fait des semaines que Sylvie me casse la tête avec ça. Elles ont lu un livre. Elles se le sont prêté. Elles ont même fait des soirées débat, ici, dans le café ! Si tu venais plus souvent, tu le saurais, glisse le patron.

— Elles ont lu un livre et hop, elles veulent faire un coup d'État ! Et, elles sont armées ? demande Julien en riant aux éclats.

— L'idée, c'est qu'elles se rassemblent toutes pour tirer au sort laquelle d'entre elles va se présenter à l'élection présidentielle dans six mois.

— C'est une blague ? insiste le célibataire.

— Ah non, je t'assure que non, répond Nicolas amusé.

— Et toi tu ne dis rien ! Tu laisses faire ! s'indigne le Papé, assis à sa table habituelle.

— Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Et puis franchement, pourquoi pas leur laisser prendre les choses en main ? Ça peut pas être pire que nos trois derniers présidents.

— Ce qui fait bizarre, c'est de se retrouver qu'entre hommes, renchérit Alain, dont la femme a elle aussi suivi le mouvement.

— Elles seront de retour dans la nuit, précise Nicolas comme pour se rassurer. C'est qu'elles se sont super bien organisées ! Mieux que nous quand on est allés à la finale du Top 14... Je les ai vues faire, tout était prévu, rien n'était laissé au hasard, des vraies guerrières !

— Et elles croient qu'elles vont être élues présidentes ? questionne Julien, qui n'en revient toujours pas.

— Ben, entre nous, si elles décidaient de toutes voter pour la même femme, alors qu'en face il y aura plusieurs mecs à se partager les voix des hommes, elles ont toutes les chances d'y arriver. C'est mathématique, assure Alain.

— Au premier tour c'est bien possible, crache le Papé d'un ton sarcastique, mais au second ça m'étonnerait !

— Va savoir, répond Alain en faisant un clin d'œil à Nico. Il suffirait que quelques hommes votent comme elles et l'affaire serait faite.

— N'importe quoi ! Vous voteriez pour une gonzesse, vous ? s'offusque le vieux.

— Et pourquoi pas, répond le patron. Elle n'est pas si mauvaise gestionnaire que ça ma Sylvie. C'est elle qui fait tourner la baraque. Moi, à part servir les canons, je ne m'occupe pas de grand-chose, faut être honnête...

— Ah ben, nous v'la beaux, l'interrompt le Papé. Et c'est quoi leur programme ?

— Ben ça, c'est pas compliqué : elles veulent qu'on s'aime les uns les autres et que plus personne ne meure de faim ou de froid.

— Des banquets et des orgies ! Je signe où ? renchérit Julien enthousiaste.

— N'importe quoi, quelle andouille ! s'esclaffe le Papé dans son coin.

— Elles ont laissé plusieurs exemplaires de leur « Livre des femmes », propose Nicolas en riant. Prenez-en un si vous voulez, vous saurez tout. Par contre, faut l'acheter, il paraît que ça coûte cher la révolution.

— Pas la peine ! Jamais je voterai pour une greluche ! Vous êtes malades les jeunes, soupira le vieux en sortant.

— Moi, je vais le lire, leur bouquin, conclut Julien. Mieux vaut savoir ce qui se trame ! Sers-m'en un autre Nico, je ne vais pas partir sur une jambe. Alain qu'est-ce que tu bois ? C'est ma tournée. Quand-même, quelle histoire...

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