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Gaspard reste sans voix, perdu encore dans son passé et ignorant comment « faire monter une bouteille de vodka ».

— Décroche et appelle l’accueil, tu veux bien ?

Gaspard cherche des yeux un téléphone et se concentre sur son appel, ne percevant pas les froissements de tissu. Quand il se retourne, il sursaute sous le choc. Cette femme s’est complètement déshabillée et gît nue sur le lit, une petite culotte en dentelle verte peinant à dissimuler la blondeur suprême.

— Je ne vous choque pas, j’espère. Il fait tellement chaud. Vous savez, dans nos pays, malgré le froid, on est souvent nus…

Elle continue sa litanie, inaudible par Gaspard, qui se retrouve du haut de ses treize années à l’entrée du Nirvana. Non seulement elle est plus belle que sur les images, mais elle est vivante. Son odeur emballe les sens de Gaspard, brutalement ramené à la réalité par une frappe discrète à la porte.

— Eh, va ouvrir !

Il attrape le plateau dont les verres s’entrechoquent.

— Ce doit être le contrecoup. Je comprends, mon chéri. Tu as été formidable ! Tu m’as si bien défendue. Relaxe-toi, viens te mettre contre moi.

S’il ne tenait qu’à lui, Gaspard commettrait immédiatement le péché de fornication, mais il se retient comme un gentleman.

N’arrivant toujours pas à prononcer le moindre mot, il se dirige vers le plateau, espérant qu’une gorgée de thé le remettra sur pied.

— Oh, que tu es gentil ! Avant que nous trinquions, tu veux bien aller me chercher un verre d’eau ?

Le sourire est tellement charmant qu’il prend le téléphone.

— Mais non, mon chéri ! Dans la salle de bain !

Une « salle de bain », dans une chambre d’hôtel, avec sur le lit la plus belle femme du monde… Gaspard se demande s’il est mort et arrivé au paradis. Effectivement, il trouve derrière l’autre porte une pièce avec une baignoire, un lavabo et un bidet. C’est la première salle de bain qu’il voit. Il revient portant le breuvage demandé, le tend à la femme en détournant le regard : il est si près de ces seins phénoménaux, si attirants sur lequel il a une vue plongeante, car elle est assise près du plateau.

— Assieds-toi, tu sembles tout chose.

Elle prend la bouteille, se verse une énorme rasade de vodka et lève son verre pour toquer le petit verre de thé.

Zdorov'ye ! crie-t-elle avant de le descendre d’un trait.

Gaspard avale une gorgée de son thé, qui lui parait beaucoup plus amère que la première. Il sirote sa boisson, tandis que Barbara avale un second verre.

Ce thé lui a fait du bien, car il se sent soudainement détendu. La dame lui tend gentiment la main et sous sa conduite, s’étend à côté d’elle, dans une béatitude complète.

Le lendemain matin, Gaspard se réveille nu dans une chambre inconnue, dans un lit immense. Il découvre alors la plus belle des créatures endormie à côté de lui. Il contemple le spectacle avec extase avant de revenir à l’horrible réalité : est-il possible qu’il ait commis le péché de turpitude avec cette personne ? Il ne se souvient de rien. Ah, si, une poursuite, une chambre d’hôtel, un verre de thé… il regarde le bas de son ventre, un peu douloureux, comme quand, plus jeune, il s’apaisait de trop nombreuses fois, jusqu’à l’épuisement. Pourtant, il est choqué de cette réaction qui reprend et qu’il ne maitrise pas. Il ne peut pas se montrer dans cet état à une dame qui n’est pas son épouse. Il cherche ses habits, les trouve éparpillés comme par une tornade. Il veut quitter au plus vite cet endroit maléfique.

— Gaspard, mon chéri, tu t’en vas ?

La voix est tellement implorante qu’il suspend ses gestes. Il se souvient ! Elle lui a dit son nom : Barbarella ? Barbie ?... Bar… Barbara, c’est ça !

— Non, madame, je veux dire oui, je dois aller travailler…

— Tu as été tellement merveilleux ! J’ai besoin encore de ta protection ! Tu reviens ce soir, hein ?

— Euh… Oui… Bien sûr.

Il sort, demande à un mec en uniforme sur le trottoir où est le métro le plus proche. L’autre tend le bras, jugeant inutile de prononcer un mot pour un moins que rien qui utilise ce mode de transport. Gaspard reprend ses esprits. Il constate sur un plan que son lieu de travail est proche, mais c’est mercredi et il doit rapporter les gâteaux. Il arrive en retard, mais comme tout le monde le connait, cela passe inaperçu. La journée, il délaisse un peu sa mission prévue pour le soir, l’esprit entièrement pris par cette rencontre fortuite. Son corps n’arrive pas à se calmer, car il revoit sans cesse le corps de Barbara et ses jambes infinies mettant en valeur le petit bout de dentelle qui l’échauffe.

Il décide de ne pas retourner la voir : c’est trop tentant et il pressent que cet attrait soudain pour sa personne cache quelque chose. Depuis le coup des Américains, il se méfie. À peine sorti du travail, il se rue dans le métro, inquiet de ce qui aurait pu arriver à sa protégée. Il veut juste s’assurer que tout va bien : il n’est pas question de se laisser tenter, mais il doit le secours aux âmes menacées.

Il se souvient bien de la chambre et passe sans hésiter devant l’homme en uniforme. Il frappe doucement à la porte et, ne recevant aucune réponse, il la pousse doucement. Ne pas s’enfermer alors qu’elle est menacée est une erreur et il compte bien le lui dire.

Barbara est étendue nonchalamment sur le lit, une cigarette à la bouche, un verre de vodka à la main, un journal en cyrillique étalé sur les genoux, ouvert à la page des mots croisés. Ils seraient mariés, elle ferait une épouse parfaite, avec la soupière fumante sur la table attendant le travailleur harassé. Myriam est une gentille fille, douce et jolie, mais tellement différente de cette femme ! Gaspard se met à imaginer sa demande en mariage. Il devra aller en Lituanie. Il faudra savoir si c’est loin, si ça coute cher. Et ses parents à elle, parlent-ils français, comme elle ? Elle ne l’a toujours pas entendu arriver. Le journal ayant glissé, il voit que son seul vêtement est cette minuscule culotte de dentelle verte. Il aime sa pudeur, même si elle exacerbe ses émotions. Il se souvient de la nuit dernière dont il ne se souvient pas. Il toussote.

— Oh ! Tu es revenu ! J’ai eu si peur !

Elle se lève et vient se blottir dans ses bras. Gaspard ne sait quoi faire de ses bras et surtout de ses mains, n’osant les poser sur une rondeur, alors qu’elle n’est que douces sphéricités.

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