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Un peu abasourdi, Gaspard sort du sombre bâtiment. Le soleil brûlant achève de l’assommer. Il reprend ses esprits quand une main se pose sur son épaule.

— Gaspard ! Quelle surprise !

Gaspard regarde l’escogriffe qui est en train d’agiter son bras tel le levier d’une pompe tarie.

— Gaston ! Tu ne te souviens pas ? Nous avons fait nos classes ensemble !

— Ah, oui. Gaston…

Le genre de mec qui la ramenait pour tout, qui savait tout, qui avait tout fait… Le gars pas méchant, mais saoulant au possible, certain d’être admiré et aimé de tous. Le pot de colle dont on ne peut se défaire.

— Qu’est-ce que tu deviens ?

L’originalité de la phrase arrache un rictus sur les lèvres de Gaspard.

Ils se retrouvent assis devant chacun un moitié-moitié. C’est Gaston qui cause, alors que Gaspard se demande comment il va faire pour l’aller-retour chez lui : le départ par l’avion hebdomadaire est le surlendemain après-midi. À ce moment-là, il entend son compagnon lancer :

— Tu sortais du 36 quand je t’ai vu. Alors, tu viens de te faire embaucher aussi ? Tu pars vendredi, comme moi ?

Son trouble l’empêche de dissimuler son nouveau statut.

— Bienvenue ! Moi, c’est SOS6. Et toi ?

— SOS7, avoue-t-il du bout des dents.

Gaspard est interloqué par la sonorité de ces appellations, d’autant qu’il avait toujours surnommé « la Saucisse » son ex-camarade et se refusant de penser au sobriquet que ce dernier risque de lui attribuer.

Il s’en veut d’avoir lâché aussi vite cette information, mais se rassure en se rappelant qu’il n’est qu’un débutant qui va être formé. Gaston se lance dans un long discours sur la fierté et la chance de servir ainsi leur nation, avant d’enchainer sur des souvenirs soi-disant communs.

Gaspard a juste le temps de se démêler pour sauter dans l’autocar du retour. Dans une demi-somnolence, il s’interroge encore sur la pertinence de cet engagement.

Le soleil est couché quand il arrive dans son village, après une heure de marche. Pendant tout ce trajet, il n’a pas arrêté de penser à ce qui lui arrivait. Pourquoi utiliser une enveloppe et du papier noir quand on veut être discret ? Pourquoi un service détaché des autres ? Pourquoi cette mise en scène ? Il sentait que les locaux avaient été aménagés, très sommairement, à la hâte. Pourquoi cet imbécile de Gaston lui tombait dans les bras ? Toutes ces questions lui évitaient de se poser la seule pertinente : pourquoi lui ? Il avait combattu, comme les autres. Il n’avait rien de spécial, aucune compétence ou aptitude particulière. Il avait eu la chance d’aller à la communale, comme les petits Européens. Le maitre l’avait pris sous sa coupe. C’est de là qu’il savait réfléchir un peu mieux que les autres, qui n’avaient eu que l’école de la campagne et des animaux pour apprendre.

L’heure tardive lui évite les questions de la vieille tante qui le loge. Sa maison familiale est toujours en ruine et il ne sait pas s’il aura le courage de la rebâtir quand il aura trouvé une épouse. Finalement, repartir à l’aventure lui va bien.

Le lendemain, il a trouvé une explication pour justifier son départ précipité : il retourne à l’armée, en mission de formation. Il démissionne, prend le temps de dire au revoir à ses amis, et c’est la tête libérée qu’il remonte dans le car.

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